L’histoire semble se répéter avec une ironie cinglante : quand en 2003, Jean-Louis Lisimachio quitte la direction du groupe Hachette, un désaccord sérieux avec Arnaud Lagardère avait germé. Dix-huit ans plus tard, son successeur au poste, Arnaud Nourry, aurait rencontré les mêmes difficultés avec son actionnaire principal, assure The Bookseller.
Le 01/04/2021 à 13:45 par Nicolas Gary
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01/04/2021 à 13:45
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Le départ d’Arnaud Nourry, après une tournée médiatique jamais vue pour l’ex-PDG, a pris de court le petit milieu. Une stratégie de communication qui avait d’ailleurs intrigué, suscitant les commentaires et interprétations les plus variés.
Dans un effort de séduction, il faisait tour à tour valoir la rentabilité de l’entreprise — 11 à 12 % dans un contexte difficile — mais présentait également sa propre réussite, à travers celle de Hachette. « Peut-être envisageait-il d’apparaître aux yeux d’Arnaud Lagardère comme Le M. Édition, incontournable », soulignait-on. Stratégie peu payante, à en découvrir le débarquement ce 29 mars, sans autre forme de procès.
« Dans une boîte normale, dès sa première intervention, il se serait fait limoger : ce n’était clairement pas son rôle que d’endosser le costume du grand patron, plutôt celui de son actionnaire. D’abord, cela aurait eu plus de poids, mais surtout, chacun restait à sa place », poursuit l’analyste.
« Au final, son message se résumait simplement : face aux années difficiles que le Retail va subir, la pépite résiliente, et même en mesure de distribuer des dividendes, c’est Hachette, Lagardère Publishing. Comprendre : c’est moi, Arnaud Nourry. »
ActuaLitté n’a pas réussi à joindre les services de communication que l’ex-PDG s’était offerts pour lancer son ballet médiatique. Certaines questions resteront en suspens. Pour autant, difficile de savoir d’où vient l’écart : « Les dirigeants des groupes de Lagardère le savent bien : il est difficile d’obtenir des signaux clairs de ce qu’Arnaud [Lagardère] attend véritablement d’eux. » Une latitude qui aurait autorisé ce comportement agressif, en termes de communication ?
Possiblement, souligne un proche du dossier : « Quand on lit dans la presse que des discussions ont cours, auxquelles on n’est pas invité, entre Lagardère, Bolloré et Arnault, si l’on a de l’ambition, on se manifeste. C’est précisément ce que Nourry a pu faire. »
Or, pointe le Bookseller, le conflit avec l’actionnaire était latent : une source affirme que les interventions dans la presse visaient avant tout à écrire une autre version de l’histoire, « avant qu’il ne soit trop tard, essentiellement au bénéfice des employés de Hachette Livre ». Une version étonnante, quand on sait combien, en interne, régnait une certaine crainte, entretenue.
« En créant le mythe que, sans lui, le groupe allait disparaître, le PDG véhiculait un message inquiétant », nous assure une spécialiste de la communication. « Le problème est qu’il n’avait pas les commandes du groupe Lagardère : juste de Hachette. »
Au point que, dans les médias, des responsables syndicaux continuent de porter le message… Sans que personne ne semble se rappeler qu’au moment du démantèlement de Vivendi Publishing, ce même Arnaud Nourry avait pris sa part du gâteau, laissant Editis se constituer avec ce qu’il n’avait pu absorber.
Calife à la place du calife ? L’hypothèse soulevée d’un LBO — méthode de rachat d’une société par endettement de la structure rachetée — a été soulevée. Elle circulait depuis un moment : « Il faut cependant l’accord du vendeur », tranche immédiatement un observateur du livre. « Et à l’exception d’Amber, le fonds d’investissement, qui ne se préoccupe que de savoir s’il fera une plus-value, ou une moins-value, aucun des acteurs impliqués n’aurait laissé faire. Pour Vincent Bolloré et Bernard Arnault, cela n'avait aucun sens. » La théorie se tient…
Reste alors le désaccord — une habitude, finalement, si l’on considère le départ en 2003 de Lisimachio. « Avec Arnaud Lagardère, toute collaboration était exclue — elle était déjà très compliquée. À la mort du père, Lisi a estimé qu’il ne serait plus possible de servir les intérêts de l’entreprise : ayant le fils comme seul interlocuteur, ce serait inimaginable », nous rappelait une ancienne de Hachette, voilà quelque temps.
ÉDITION: Lisimachio, l'homme qui voulait Amazon pour Hachette
« Nourry était en conflit avec la maison mère sur l’avenir de Hachette Livre depuis six mois », poursuivait cette même source auprès du Bookseller. « La situation est devenue assez tendue et pour Nourry, il était clair que, comme c’est toujours le cas, le manager finirait par perdre sa bataille contre le propriétaire. Connue pour sa discrétion, Nourry a livré des entretiens dans lesquels il avertissait qu’il ne se tiendrait pas à l’écart, tant qu’un découpage de Hachette était prévu. Parce qu’il voulait laisser une trace publique des raisons pour lesquelles il quitterait l’entreprise. »
Récemment, Le Monde apportait quelques autres explications : d’un côté, les relations tendues avec Bolloré, possiblement futur patron de Hachette (ou d’une partie du groupe), de l’autre, les difficultés avec Lagardère qui reviennent. Les contacts que l’ex-PDG avait pris avec des fonds d’investissement auront pu causer sa perte — de même que le courrier adressé personnellement à Emmanuel Macron, sans avertir sa direction…
« Faire pression sur son actionnaire n’apporte jamais rien de bon », relève un financier. « Ce qui intrigue encore, c’est la raison pour laquelle Lagardère l’a laissé prendre la parole aussi facilement. À chaque intervention, Nourry demandait des éclaircissements, s’adressant tout à la fois à son patron et aux possibles racheteurs : il comptait, et entendait le rappeler. » Mais la méthode n’a pas porté ses fruits, bien au contraire.
« C’est un comble de croire qu’on fait plier son boss de cette manière », indique une ancienne collaboratrice. « Par voie de presse, c’est encore plus audacieux. Cela en dit long sur le personnage. »
Et presque autant sur l’actionnaire en question : on se souvient en effet des déclarations d’Arnaud Lagardère sur la préservation de ses actifs. La presse devait être protégée — bilan : elle a été revendue, et d’autres parutions avec. « C’est systématique », poursuit-elle, « Lagardère annonce toujours le contraire de ce qu’il fait. » Quand il s’adresse à son comité d’entreprise pour jurer qu’il empêchera une dissolution du groupe, que comprendre ?
Considérant que 70 % du chiffre d’affaires du groupe était réalisé à l’international, il faut tout de même prendre en considération le devenir de ces structures. Affaibli pour l’heure, ce volet international de Lagardère Publishing avait avant tout Arnaud Nourry comme véritable patron — quasi une position d’actionnaire. « Avoir Fabrice Bakhouche et Pierre Leroy en interlocuteurs, cela change tout de même la donne pour UK et USA. »
À vouloir voler trop près du soleil, on finit dans la mer Égée. « Arnaud Nourry a tout de même quelques qualités », reconnaît avec un sourire un observateur, au goût prononcé pour l’euphémisme. « En s’exprimant à tour de bras dans des médias nationaux, il envoyait nécessairement des signaux à d’autres groupes, qu’il serait susceptible d’intéresser. »
Et parmi eux, les Allemands de Bertelsmann, qui viennent justement de racheter une pépite très convoitée : Simon & Schuster. Certes, l’entreprise est moins glamour : son résultat opérationnel pour 2019 affichait 814 millions €, quand Hachette Livre dans son ensemble représente 2,4 milliards sur 2020. « S&S n’est pas assez gros pour l’intéresser : ce serait une régression », note une éditrice. « On ne passe pas du troisième groupe mondial à cette structure, quand bien même il avait convoité son rachat, pour Hachette justement, depuis un bon moment. »
L’option chinoise se profile alors : en 2010, une joint-venture associant Hachette et Phoenix Publishing Group était mise en place. Leurs accords furent consolidés en 2017. « Les perspectives qui s’ouvriraient ont de quoi séduire, en ce cas », reprend un commentateur. « Il part en grand seigneur, en ayant écrit sa version de l’histoire, comme le font tous les gagnants : même renvoyé, restera sa marque. Et au passage, Hachette comme Editis ont pris des coups, au profit de son futur employeur. »
D’ailleurs, phénix, Arnaud Nourry le deviendra peut-être : s’il est seul en mesure de savoir laquelle de ces projections s’avérera juste (voire aucune, restons humbles), le dirigeant n’étonnerait personne en renaissant de ses cendres.
« Il a son bilan pour lui, incontestablement. Il a sorti le carnet de chèques pour offrir des best-sellers au groupe — le couple Obama chez Fayard, Guillaume Musso, pris à Editis — qui lui a pris Joël Dicker, quoi qu’il en dise. Mais il est évident qu’il a porté Hachette Livre, dans les conflits contre Amazon, contre Google Books. Après 18 années du règne Nourry, le groupe a une position enviable, des résultats impressionnants… » D’ailleurs, Musso restera-t-il chez Hachette s’interroge-t-on…
Reste également la dernière hypothèse, celle qui se murmure dans les couloirs, à l’abri de la machine à café : « Il était en roue libre. » Un autre point commun avec Icare, peut-être : l’hubris, cette démesure qui pousse les hommes à se mesurer aux dieux.
crédit photo : Arnaud Nourry © Eric Couderc ; Hachette - ActuaLitté, CC BY SA 2.0
Par Nicolas Gary
Contact : ng@actualitte.com
8 Commentaires
Tlaciar
02/04/2021 à 09:51
"Un autre point commun avec Icare, peut-être : l’hubris, cette démesure qui pousse les hommes à se mesurer aux dieux"...
Vous voulez donc dire qu'Arnaud Lagardère est un dieu ?????
Sans commentaires...
Nicolas Gary - ActuaLitté
02/04/2021 à 10:28
Bonjour
Il y a des divinités qui se plantent régulièrement : le statut divin n'est pas corrélé à des qualités quelles qu'elles soient. Mais disons-le clairement, un actionnaire de groupe n'est pas un dieu. Si c'est l'unique chose que vous retenez de ce billet, je m'interroge.
En outre, je noterais les choses différemment : en 2003, le PDG part, à cause de l'actionnaire. En 2021, le PDG part, à cause de l'actionnaire. Le point commun ? Je vous laisse suivre mon regard.
LOL
03/04/2021 à 09:37
Le point commun ?
Le PDG part spontanément ? :-D
Nicolas Gary - ActuaLitté
03/04/2021 à 09:39
Spontanément ? L'adverbe est délicat !
arthur
02/04/2021 à 23:06
Nous verrons lors des prochaines échéances de la guéguerre (aux conséquences probablement catastrophiques) Hachette-Bolloré si le lâchage de Nourry était bien un gage de bonne volonté de la part de Lagardère à Bolloré…
quellehonte
04/04/2021 à 23:52
En attendant de racheter Hachette, on dirait bien que Vivendi / Bolloré ont mis la main sur Actualitté ou tout du moins soudoyé quelques uns de ses journalistes.
Article à charge, mal construit, bourré de ragots à peine croyables, provenant de personnes qui ont visiblement envie de nuire à l’image d’Hachette et de son ancien patron.
Le décalage entre les commentaires pernicieux cités dans cet article et les hommages unanimes des gens de la profession et des salariés d'Hachette envers M. Nourry est ahurissant.
Il faut vraiment n'avoir aucune conscience journalistique pour relayer cela.
Nicolas Gary - ActuaLitté
05/04/2021 à 10:59
Bonjour monsieur honteux,
1/ Vincent Bolloré n'a mis la main sur personne de la rédaction, certainement pas moi.
2/ Vos affirmations mériteraient un peu de légitimité, que votre anonymat ne peut hélas vous accorder
corollaire : notez que vous commentaire apparaît tout de même
3/ la charge n'existe que dans votre lecture, et dans une interprétation dont je vous laisse évidemment seul responsable
4/ Les faits, uniquement les faits, tous vérifiés.
Je vous souhaite une bonne continuation. Mon email et mon identité sont publics. Faites-en de même, vous serez pris au sérieux.
Mel
05/04/2021 à 09:54
Ce n'est pas le résultat opérationnel de Simon & Schuster qui est de 814 mios ($ pas €) mais le chiffre d'affaires. L'ebitda (OIBDA) était de 143m$.