Région forte d’une histoire pluriculturelle, le Maroc connaît depuis plusieurs décennies une crise culturelle et se voit dépasser dans le secteur du livre par l’Égypte et le Liban, leaders dans l’édition arabophone et la France, centre de gravité de l’édition francophone. À contre-pied des pays du Golfe, dont les moyens leur permettent de financer la traduction et la distribution des livres, ce marché n’a presque pas accès à des financements ou à des aides de la part de l’État.
Le 17/03/2021 à 14:23 par Auteur invité
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17/03/2021 à 14:23
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Après une très longue attache culturelle au monde arabe, la colonisation française a permis aux pays d’Afrique du Nord une diversification culturelle qui se perd de jour en jour due à une arabisation massive depuis une cinquantaine d’années. Aujourd’hui plus de 80 % des ouvrages publiés au Maroc sont en arabe contre 15 % en français (le reste étant des publications en anglais, espagnol et langues berbères). En édition numérique, 112 revues ont été éditées au cours de l’année 2018-2019 dont 88 sont en langue arabe contre 24 en langue française. De même que les ouvrages numériques : 439 en arabe et 255 en français pour 745 ebooks.
Cette répartition linguistique met en lumière l’importance de l’arabe dans le champ numérique. Quant aux disciplines, l’économie, les études religieuses et la politique sont les champs les plus représentés, en opposition au format papier où la littérature et le droit sont dominants [voir Édition et livre au Maroc, Rapport annuel sur l'état de l'édition et du livre au Maroc dans les domaines de la littérature, sciences humaines et sociales 2018/2019, fondation du roi Abdul-Aziz Al Saoud, Casablanca]. Toutefois, en jetant un œil aux éditeurs majeurs du champ numérique marocain, on remarque que les principales publications ne sont pas dues à des maisons d’édition indépendantes mais sont majoritairement publiques tels que les ministères de l’Économie et des Finances marocains ou Bank al-Maghrib.
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Les rapports publiés par ces institutions sont par ailleurs gratuits et ne sont donc pas représentatives de réelles publications littéraires. La raison de ce manque dans le paysage culturel marocain est la difficulté à développer des moyens de paiements en ligne ou même par abonnement téléphonique – moyen très prisé en Afrique sub-saharienne. Dans un pays où 60 % de l’économie est informelle, il est impossible de séparer le marché du livre de la politique gouvernementale. En effet, les étapes de distribution du livre au Maroc freinent l’épanouissement de la culture. Le livre doit d’abord passer par le ministère de la Communication pour obtenir un visa d’importation (autrement dit un contrôle de la censure) puis son prix doit être converti de l’euro au dirham, rendant son prix exorbitant en monnaie locale et donc inaccessible.
Aussi la distribution des livres locaux au sein même du pays est marginale et sous-développée. Ainsi la plupart des publications demeurent limitées à la ville des auteurs, voire au cercle de leurs connaissances. Les structures éditoriales privées, quant à elle, restent très fragiles et dépendantes des subventions du ministère de la Culture qui est souvent indifférent à leurs instabilités. D’autre part, bien que les livres scolaires soient le secteur le plus fructueux dans l’édition (car appartenant à l’État), le Maroc est particulièrement touché par l’illettrisme et l’analphabétisation avec 44 % de la population qui n’a jamais fréquenté un établissement scolaire ou est illettrée en 2018 [Voir Haut-Commissariat au plan, Les indicateurs sociaux du Maroc, direction de la statistique, édition 2018, Raba].
Ces phénomènes sont d’abord dus à un délaissement de ce secteur de la part du gouvernement, privilégiant d’autres, puis à l’abandon des populations des régions rurales.
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En définitive, seule la fondation privée Mouminun Bila Hudud (Les croyants sans frontières) reste la principale productrice de livres numériques en arabe (édition et traduction). Les principales publications sont d’ordre théologique et progressiste et ont beaucoup de succès dus aux sujets traités.
Mme Kenza Sefrioui, journaliste et cofondatrice des éditions En toutes lettres a répondu à quelques-unes de nos questions à propos de l’édition numérique. Sa maison d’édition, fondée en 2012, est spécialisée dans les essais d’écrivains, chercheurs et journalistes et présente un catalogue de 15 titres. Ses collections sont Enquêtes (sujets d’actualités et portés sur la société), les Presses de l’Université Citoyenne, Les Questions qui fâchent et Traduction (titres bilingues d’origine-arabe).
Les fondateurs de la maison ont tenté plusieurs fois auparavant la conversion de quelques-uns de leurs titres en version numérique avec Youscribe, mais le peu de bénéfices n’a pas encouragé à continuer.
À la foire du livre de Francfort, la société ABC leur a proposé leurs services. Le modèle économique de l’African Books Collective est de transformer les livres papiers en fichiers numériques, la facture étant dégressive en fonction du nombre de signes. Cependant les ventes très minimes des ebooks et les difficultés dans le processus des ventes n’ont pas encouragé En toutes lettres à s’engager. Par ailleurs, la prolifération du piratage n’aide pas ce secteur à s’épanouir et à jouir d’une stabilité. Le premier réflexe quand on recherche un livre est d’essayer de le télécharger illégalement (et gratuitement) en PDF.
La cofondatrice a décidé finalement de poursuivre une formation numérique à l’Université de Caen afin de réaliser les ebooks au sein même de la maison. Ainsi les éditeurs, accompagnés de leurs stagiaires, ont pu débuter la préparation d’un catalogue numérique de leurs ouvrages édités afin de valoriser commercialement ce qu’ils continuent d’exploiter en papier. Ce nouveau catalogue contiendra la plupart des publications de la collection Les Presses de l’Université Citoyenne et quelques titres d’Enquêtes. Ce catalogue ne sera, en revanche, accessible qu’à l’exportation. Les éditeurs réfléchissent également à proposer la collection Enquêtes au sein d'une plateforme de streaming, afin d’encourager une nouvelle génération d’auteurs à une création littéraire partagée et bien plus stimulante.
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Finalement, une des rares représentations du livre numérique au Maroc est la maison d’édition Le Manifeste. Cette jeune maison fondée en juillet 2018 propose plusieurs objectifs à atteindre : des solutions innovantes basées sur l’édition numérique afin de promouvoir le livre auprès d’un large public à travers des supports électroniques (tablette, smartphone, ordinateur, liseuse...) ou en papier ; un service de prêt des livres numériques à un prix raisonnable des livres numériques à lire gratuitement et la numérisation des livres marocains et étrangers.
Aussi, nous pouvons relever la librairie Livre-moi, située à Casablanca. Bien qu’au départ, Livre-moi tentait de devenir l’Amazon marocain, en vendant exclusivement ses livres sur internet, la réticence des lecteurs à payer en ligne n’a pas permis l’exploitation de ce marché, pourtant bien développé dans beaucoup de pays. La librairie a alors permis le paiement et la collecte des colis dans leurs locaux. Elle présente par ailleurs un partenariat avec la librairie numérique ePagine, qui édite quelques romans ainsi que des BD, en petites quantités.
Maroc Télécom, qui encourage vivement le développement du numérique, a lancé une bibliothèque en ligne de 10.000 ouvrages numériques (en français et arabe) appelée Maktabati5 et spécialisée dans la jeunesse (de 3 à 15 ans). Cette initiative est accessible par un abonnement journalier, hebdomadaire ou mensuel (le pass mensuel coûtant moins de 2 euros).
L’avenir de l’édition numérique connaît plusieurs embûches dans ces avancées, mais si le ministère de la Culture ainsi que les institutions pouvaient s’y pencher sérieusement, en formant des compétences dans ce domaine et en développant un vrai travail éditorial — en se penchant sur la correction et l’établissement du texte au format numérique — il y a espoir que le marché du livre se développe sur le long terme.
Par Nour Guezmir
Article publié dans le cadre des travaux du master de Villetaneuse, Métiers du livre
Crédit photos : Nour Guezmir, CC BY SA 2.0
5 Commentaires
Alx2casa
18/03/2021 à 14:26
Un des problèmes, papier ou autre de l'édition au Maroc, est le mépris complet des auteurs. Si la situation est dramatique en France, elle est abyssalle ici. Voici mon expérience : https://shtonk.blogspot.com/2020/06/pourquoi-je-ne-suis-plus-illustrateur.html
Editions du Sirocco
19/03/2021 à 18:47
Les éditions du Sirocco, basées à Casablanca, ont commencé à numériser leur catalogue. 3 titres d'auteurs marocains (fiction francophone) déjà disponibles en format ebook sur de nombreuses plateformes : https://www.numilog.com/ResultatRecherche/Editions-du-Sirocco/16306.Editeur
Editions Le Manifeste
07/04/2021 à 17:12
Bonjour,
Nous sommes prêt à travailler avec vous sur l'édition numérique.
Nous avons commencé à signer des partenariats avec les éditeurs papier au Maroc pour la numérisation d'une sélection de leur catalogue.
Un premier contrat a été signé avec Tarik editions.
Editions Le Manifeste
07/04/2021 à 17:05
Bonjour,
Notre maison d'édition Le Manifeste a publié à ce jour 15 livres numériques et en préparation une dizaine d'autres.
En plus, nous avons signé un partenariat avec Tarik Editions, éditeur de livre papier, pour éditer en version numérique une sélection de leurs livres.
Moos
12/08/2022 à 20:55
Je ne lis pratiquement que sur mes liseuses , je dois donc passer via le store de l'appareil (amazon et kobo ) , et de ce fait je suis obligé de payer en devises étrangères. Avez vous des plans pour ouvrir un store pour ebook au maroc , ça serait très bien ( format epub , pas pdf ) ?