Suite aux annonces de la ministre Roselyne Bachelot qui enterre les mesures du Rapport Racine, après 3 années intenses d’engagement, Samantha Bailly, actuellement présidente de la Ligue des auteurs professionnels, annonce cesser tous ses mandats. « Un tel mépris pour la parole des auteurs et autrices eux-mêmes et pour le dialogue social défie l’imagination », explique-t-elle dans une tribune diffusée ici dans son intégralité.
Le 13/03/2021 à 10:30 par Auteur invité
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13/03/2021 à 10:30
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Voilà désormais 3 ans que je suis engagée bénévolement au quotidien pour l’amélioration des conditions sociales de ma profession. Cela a commencé en 2017 au conseil d’administration de la Charte des auteurs et des illustrateurs pour la jeunesse puis en 2018 à travers la fondation puis la consolidation de la Ligue des auteurs professionnels. J’ai présidé ces deux organisations professionnelles avec enthousiasme et travail acharné, épaulée constamment par des auteurs et autrices formidablement engagés et compétents. Je tiens ici à les remercier du fond du cœur. Je n’aurais pas tenu une semaine sans la solidarité à toute épreuve de ceux et celles qui pensent constamment à l’intérêt collectif, à savoir : comprendre les clefs de cet écosystème complexe et agir avec fermeté pour améliorer la condition sociale de nos professions.
Car oui, il s’agit bien d’un combat. D’un combat syndical. Il nous aura fallu longtemps avant de prononcer le mot syndicat et d’en comprendre toute la signification, nous qui baignons dans l’univers du livre. Par sa représentation romantisée de l’acte de création, le monde de la culture tient méticuleusement à distance toute référence au travail pour les créateurs et créatrices. Et pourtant, sans ambiguïté, créer est aussi un travail. Le secteur de la culture emploie 670 000 personnes et pèse pour 2,3 % du PIB français : cette richesse économique vient de créateurs et créatrices d’œuvres qui cotisent comme des professionnels et à qui l’on nie encore aujourd’hui des droits fondamentaux en matière de droits sociaux.
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Les raisons de ce déni ? Notre singularité de créateur et créatrice nous exclurait de facto de toutes les règles de droit commun quand il s’agit de protéger nos professions (mais étrangement, pas quand il s’agit de contribuer !). Cette singularité ferait de nous des individus à part, pour le pire socialement et non pas le meilleur. Cette singularité en viendrait à nier que nous sommes des citoyens et citoyennes français à part entière.
Je voulais vous écrire aujourd’hui pour une raison bien précise. Le jour où la Ligue des auteurs professionnels a franchi la porte d’entrée d’une salle du ministère de la Culture, pour rencontrer la mission Racine, Denis Bajram et moi-même avions formulé une promesse à leur équipe. Si la mission Racine échouait, nous rendrions nos mandats. Non par défaitisme. Mais pour dire publiquement l’inaction des pouvoirs publics alors que ces derniers auraient, nous l’espérions, désormais toutes les cartes en main pour agir.
Le rapport Racine le démontrait brillamment : le cœur des enjeux est bien la reconnaissance d’une profession. Tant que cette profession sera niée, tant que le mot travail ne pourra pas être prononcé, alors nous continuerons à vivre le grand n’importe quoi que nous connaissons depuis des décennies – spoliation des droits à la retraite, dégradation des rémunérations, absence de minimums de rémunérations, absence d’élections professionnelles et d’une démocratie sociale, dialogue social entaché de conflits d’intérêts, accès aux prestations sociales plus que chaotique, etc.
Pour que rien ne change… il fallait enterrer les mesures Racine. C’est chose faite officiellement depuis les annonces de la ministre Roselyne Bachelot, qui a pris le parti de « reculer », comme l’indique Le Monde. Les pouvoirs publics ont une immense responsabilité dans la souffrance professionnelle des artistes-auteurs, par leur inaction qui correspond bien à un manque criant de courage face à des lobbies très installés.
Je vous épargne le traditionnel bilan des actions de ces 3 dernières années : les rapports d’activité des organisations professionnelles jouent très bien ce rôle. Je quitte aussi le conseil d’administration du Centre National du Livre, où ne siègent pas des organisations professionnelles, mais des « personnalités qualifiées ». Mon mandat arrive à sa fin, et comme répété mille fois aux pouvoirs publics : il faut que des organisations professionnelles siègent dans les instances concernant les artistes-auteurs, et non pas des personnes, aussi qualifiées ou compétentes soient-elles. Si la personnification importante a ses avantages dans le combat, notamment quand des créateurs et créatrices utilisent leur notoriété pour servir la cause, elle a ses limites.
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On l’a vu dans le cadre de l’affaire SGDL/Joann Sfar : la violence de certaines institutions à l’encontre des auteurs et autrices eux-mêmes, des individus donc, a redoublé. Il est bien plus facile de cibler des individus engagés pour tenter de faire taire un mouvement. À ce titre, j’ai moi-même fait l’objet de nombreuses menaces et tentatives d’intimidations depuis le début de l’exercice de mon mandat — et je passe sur les attaques sexistes. Ce n’est pas acceptable. Nous avons besoin d’organisations professionnelles puissantes qui protègent des individus qui se retrouvent de facto en position de partie faible.
J’insiste sur l’importance de distinguer la défense du droit d’auteur de la défense de nos intérêts professionnels. Le droit d’auteur est fondamental, mais ne correspond pas toujours à la défense des intérêts professionnels des auteurs. Le droit d’auteur, par essence, est un droit de propriété qui a en France la particularité de se transmettre aux exploitants des œuvres sans véritables garde-fous concrets pour que nous puissions en contrôler l’exploitation. Il est vital d’établir enfin des règles de représentativité conformes à une démocratie sociale, en cessant de confondre les organismes de gestion collective (sociétés privées sous tutelle du ministère de la Culture) et les syndicats.
Comme il a été vital d’enfin faire comprendre que les intérêts des maisons d’édition sont parfois convergents avec ceux des auteurs et autrices, mais souvent divergents. Il y a peu de temps encore, on entendait dire que les auteurs et autrices étaient représentés par les maisons d’édition…
Rien ne change institutionnellement, et pourtant tout change dans nos mentalités. Car il existe bien désormais un mouvement inédit de solidarité entre artistes-auteurs. Une compréhension de plus en plus fine et accrue des enjeux et des points de blocage vers l’obtention de droits sociaux. Et surtout, une détermination à gagner en expertise. Car soyons clairs : les artistes-auteurs ont peu de moyens, en revanche ils auront toujours pour eux leur solidarité, leur créativité et leur capacité à saisir l’outil du droit pour se défendre.
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C’est avec beaucoup d’émotion que je vois aujourd’hui la Ligue des auteurs professionnels, simple collectif il y a deux ans, mettre au vote sa transformation en puissant syndicat. Je quitte ma fonction de présidente avec espoir : l’espoir de voir tout ce travail collectif se consolider. La joie à ma petite échelle d’avoir contribué à ce combat collectif si essentiel pour l’avenir de nos professions plus malmenées que jamais.
Mais j’éprouve aussi une tristesse profonde : celle de voir qu’aujourd’hui, l’argent du droit d’auteur, l’argent des auteurs donc, est utilisé dans un lobbying à l’encontre de leurs intérêts professionnels. Il y a un gouffre immense entre la représentation que l’on se fait des auteurs et autrices, et la réalité très concrète de leurs droits qui sont constamment bafoués. L’application des mesures du rapport Racine aurait pu changer la donne de façon inédite et historique, elle aurait pu avoir des effets très concrets sur la vie des créateurs et créatrices… Cette chance n’a pas été saisie par les pouvoirs publics. Le combat continue. Il est plus nécessaire que jamais dans cette période.
crédit photo : ActuaLitté, CC BY SA 2.0 ; Dessin de Sandrine Bonini
10 Commentaires
LOL
15/03/2021 à 07:39
À force de se disperser dans des combats dont les auteurs eux-mêmes ne se retrouvent pas, la plupart de nos « représentants » ont aussi scié la branche sur laquelle reposait leur crédibilité.
Alors, à vouloir être inclusif, on finit par exclure.
Vae Victis, comme qui dirait. Ou bien la version plus actuelle : cocu un jour, cocu toujours !
L'auteur masqué
15/03/2021 à 11:16
Message affligeant, digne d'un éditeur (peut-être l'êtes-vous l'anonyme).
Samantha Bailly fait un travail extraordinaire au sein de la Ligue des auteurs professionnels, et ça sert à tous les auteurs.
LOL
16/03/2021 à 21:00
Dieu me préserve d'être un éditeur... Je note simplement que la ligue a poursuivi plusieurs lièvres à la fois et qu'à force de courir partout, on ne va nulle part.
C'est bien dommage pour les auteurs !
L'auteur masqué
16/03/2021 à 21:41
La ligue ne poursuit qu'un seul lièvre, celui du droit des auteurs à vivre de leur travail et à être reconnu comme des travailleurs à part entière (avec la représentativité syndicale qui en découle).
LOL
19/03/2021 à 06:23
Au temps pour moi, je me suis un peu trompé sur la Ligue... Avec tous ces communiqués ces derniers temps, je les voyais soutenir l'écriture inclusives et autres âneries du même genre...
À ma décharge, le très pénible et non français « auteur et autrice » systématiquement mis en avant dans les comm de la Charte m'avaient induit en erreur.
Mea culpa.
En revanche, ce n'est pas en démissionnant qu'on fait avancer le schmilblick !
koinsky
16/03/2021 à 01:56
La question est : si les artistes-auteurs font gréve, est-ce que les maisons d'édition seront suffisamment impactées pour être obligées de s'asseoir à la table des négociations ?
LOL
22/03/2021 à 23:56
La demoiselle "démissionne", avec cris et fracas, de son mandat d'administratrice du CNL... le lendemain de la parution d'un arrêté de nomination où elle découvre qu'elle ne serait pas renouvelée dans sa fonction...
Cela s'appelle tenter de sauver les apparences...
L'auteur masqué
23/03/2021 à 12:56
Vous êtes d'une totale mauvaise foi.
Samantha Bailly quitte la présidence de la Charte des auteurs et des illustrateurs pour la jeunesse et de la Ligue des auteurs professionnels. Quant au CNL elle le dit elle-même dans l'article "Je quitte aussi le conseil d’administration du Centre National du Livre... Mon mandat arrive à sa fin".
Vous êtes un bien triste personnage, on reconnait vos méthodes, tenter de discréditer vos adversaires, ceux qui vont vous faire perdre vos petits privilèges.
Arti'Plume
05/04/2021 à 19:39
Chacun connait, bien sûr, le dicton "diviser pour mieux régner".
Et, en lisant ces textes, ces diatribes qui servent de "menu" aux uns et aux autres, je me dis que la pseudo "culture ministérielle" est en train de réussir son pari !
Travailler à un même combat dans le respect des opinions des uns et des autres, défendre les droits des auteurs de façon coopérative, tout en acceptant que certains n'aient pas les mêmes opinions que soi... serait-il uniquement du domaine du rêve ou est-ce encore possible ?
Je suis persuadée que, dans toute entreprise de sape, qu'elle vienne de l'état, d'un ministère, ou d'un groupement, le plus aisé est de monter les entités ennemies les unes contre les autres : on commence par dire un désaccord, on enchérit sur une réflexion désobligeante... puis on finit par être tellement occupé à se mordre qu'on en oublie le sujet initial du débat.
Du coup, ici, le sujet initial, qui me semblait être la défense des droits des auteurs à une vie décente et reconnue comme "travail culturel" est passé à :
' la démission de Miss Bailly est-elle acceptable ou non ? et la chasse aux lièvres a-t-elle été bonne ? "
La question intéressante du pauvre koinsky est passée sous silence et les ministres qu'il soient de l'Aculture ou de l'Édulcoration Nationale se frottent les mains"...
et l'on se demande pourquoi le Schmilblick n'avance pas !
Krys de Plume
Alina Reyes
25/12/2021 à 21:01
Il faudrait parler du népotisme qui règne dans ce milieu. J'étais encore jeune auteure quand, au CNL, on me conseilla de "faire la cour" au président pour obtenir les subventions que ce Centre, comme d'autres instances, distribue aux auteurs qui se plient aux exercices de courtisans qui leur sont nécessaires pour vivre, une subvention et autres aides et résidences après l'autre, des années durant aux frais du contribuable, sans la moindre justice et sans déranger tout ce petit milieu, à commencer par les éditeurs qui aiment les auteurs dociles au système, on sait pourquoi. N'étant pas née pour faire la cour, pour réseauter ni me soumettre à qui ou quoi que ce soit, j'ai vécu de mes droits d'auteur exclusivement, jusqu'à ce qu'on me rejette complètement. Peu importe mon histoire, c'est juste pour illustrer la mafiosité de ce milieu, que tout le monde a intérêt à voir rester politiquement correct, c'est-à-dire sans changement.