Il est difficile d'être auteur et de faire valoir ses droits. Heureusement, certains organismes soutiennent les démarches et appuient la volonté de faire reconnaître l'existence des droits numériques. Suite à l'échec des négociations entre le Conseil Permanent des Écrivains (CPE) et le Syndicat national de l'Édition (SNE) entreprises débutées le 15 septembre 2011 dans le cadre du Conseil Supérieur de la Propriété littéraire et artistique (CSPLA), la Charte offre à ses auteurs d'interpeller directement la rue de Valois.
Le 19/10/2012 à 13:26 par Clément Solym
Publié le :
19/10/2012 à 13:26
Le CPE, on s'en souviendra, demandait que les éditeurs proposent des contrats séparés pour l'édition numérique de leurs oeuvres. Une réclamation qui n'avait débouché que sur un cul-de-sac, le 15 juin dernier. Après près de trois années de négociations, le désaccord restait, portant sur deux points précis, expliquaient Eduardo Manet, le président et Marie Sellier, la coprésidente du CPE.
D'une part, sur les modalités de récupération des droits numériques lorsque l'œuvre est épuisée sous forme imprimée, l'auteur étant en droit de demander la résiliation automatique du contrat d'édition signé. D'autre part, sur les bases de la rémunération des auteurs pour des modèles économiques qui ne sont pas en usage lors de la signature du contrat. Le CPE plaidait pour « un contrat séparé pour l'édition au format numérique et une durée limitée (trois ans) pour la cession des droits numériques ».
Pourtant, le Syndicat national de l'édition, regrettant qu'il ne soit pas possible de parvenir à un consensus, assurait que, pour les éditeurs, l'espoir d'arriver à un accord restait vivace. C'est que les éditeurs considèrent qu'il leur revient d'assumer les deux rôles de commercialisation, numérique et imprimé. « . Les exploitations sont distinctes et appréciées de manière autonome, mais elles se retrouvent au sein d'un même contrat, permettant une approche globale et cohérente de leur commercialisation. »
C'est dans ce contexte, et alors que la reprise des négociations entre auteurs et éditeurs n'est pas à l'ordre du jour que les membres de la Charte, plus de 1200 personnes », ont pris le parti d'interpeller le ministère de la Culture, dans son ensemble, et Véronique Chatenay-Dolto, conseillère en charge du livre et de la lecture auprès d'Aurélie Filippetti, plus particulièrement. Bien entendu, le courrier invite à mettre plein de monde en copie - Alexandre Tiphagne, adjoint à la chef de Cabinet en charge du livre, Nicolas Georges, directeur adjoint du livre et de la lecture, Rémi Gimazane, chef du département de l'édition et de la librairie.
Un auteur vous parle : accéder à la lettre et aux indications
« Pratiquement, il est maintenant temps que chacun d'entre nous se manifeste auprès du ministère de la Culture afin d'appuyer les démarches qui sont entreprises au sein du CPE (Conseil permanent des écrivains) pour faire valoir une cession limitée de nos droits numériques », explique la Charte C'est donc un auteur qui tente de parler aux instances gouvernementales pour attirer l'attention sur la question des droits numériques - là où les organisations professionnelles butent finalement.
Madame la Ministre,
A l'heure de l'édition numérique, j'aimerais attirer votre attention sur la spécificité de la littérature jeunesse en matière de droits d'auteur.
Par une aberration historique, les auteurs jeunesse perçoivent des droits inférieurs de moitié – quand ce n'est pas du tiers ou du quart – à ceux perçus en littérature générale.
La raison, invoquée par les éditeurs, du coût élevé de fabrication d'un livre illustré ne peut être sérieusement retenue quand on sait que les auteurs BD, dont les livres sont au moins aussi onéreux à fabriquer que les nôtres, perçoivent des droits en conformité avec la norme de l'édition générale. Et comment justifier que les romans, qui ne comportent aucune illustration, soient soumis à la même grille dérisoire ?
Jusqu'à récemment, le nombre d'exemplaires de livres jeunesse vendus, permettait de compenser un peu cette injustice. Vous savez que ce n'est plus le cas. La surproduction dans ce secteur, comme dans le reste de l'édition, a eu pour effet une baisse unitaire des ventes. Désormais, aux faibles pourcentages s'ajoutent une baisse des tirages et une érosion généralisée des à-valoir. Ce n'est un mystère pour personne, nous avons de plus en plus de mal à vivre de notre travail.
C'est dans ce contexte particulier que nos éditeurs nous pressent de signer des clauses numériques ou des avenants numériques à nos contrats d'édition anciens qui s'apparentent pour nous à des arrêts de mort. Comment pouvons-nous accepter aujourd'hui de céder nos droits numériques pour toute la durée de la propriété intellectuelle alors que le modèle économique de ce secteur est loin d'être défini ? Même s'ils sont dans le meilleur des cas augmentés d'un ou deux points pour compenser la baisse du prix de vente, nos pourcentages de droits restent infiniment modestes et très en deçà des tarifs déjà pratiqués par certains éditeurs numériques.
Les clauses de revoyure ou de rendez-vous que certains éditeurs nous proposent à contrecoeur ne comportant aucune obligation pour eux, nous demandons aujourd'hui une cession limitée dans le temps de nos droits numériques en sorte de pouvoir renégocier notre rémunération en fonction de l'évolution du marché.
Nous comprenons bien que nos éditeurs ont aujourd'hui à faire face à des investissements importants au regard des quelques pour-cent générés par l'édition numérique. Mais les choses évoluent rapidement et nous ne voulons pas être piégés ad vitam aeternam par des contrats qui nous engagent au-delà du raisonnable.
Je vous demande donc instamment de faire en sorte d'appuyer notre demande auprès des éditeurs afin qu'ils nous consentent les conditions qu'ils ont coutume d'accorder aux auteurs étrangers quand ils publient leurs œuvres en France. C'est-à-dire une durée limitée. Je compte sur vous pour que ce principe figure dans un projet de loi modificatif du Code de la Propriété Intellectuelle afin que soient désormais encadrées les pratiques contractuelles en matière de numérique. Pour nous qui revendiquons le droit de vivre de notre art, il en va aujourd'hui de notre survie.
Croyez, Madame la Ministre, à l'assurance de ma très haute considération.
Si vous êtes auteur et que vous adhérez à ces propos, retrouvez la lettre sur le site de la Charte
François Samuelson, gérant de l'agence littéraire Intertalent était longuement revenu avec nous sur ces questions de droits numériques et de contrats séparés.
Il n'est pas envisageable que soient aujourd'hui accordés les droits d'édition numérique pour la durée légale de protection de la propriété littéraire - 70 ans après le décès de l'auteur. En effet, ces deux concepts me semblent radicalement antinomiques. Aucune des deux parties, éditeur ou auteur, ne sait à ce jour comment le marché va évoluer, notamment aux vues des progrès de la technologie matérielle. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si les discussions entre le CPE et le SNE sont aujourd'hui bloquées.
Ajoutant :
Pour l'anecdote, souvenons-nous des droits d'adaptation audiovisuelle (droits catalogués à l'époque comme dérivés, au même titre que les droits d'édition numérique aujourd'hui) qui, jusqu'en 1985, faisaient injustement partie des droits cédés directement dans les contrats d'édition littéraire. Depuis la loi du 3 juillet 1985, le législateur a imposé la nécessité d'un contrat séparé du contrat d'édition principale pour la cession de ces droits d'adaptation audiovisuelle. On peut donc raisonnablement imaginer que le législateur décidera à l'avenir d'appliquer ce même principe aux droits d'édition numérique même si aujourd'hui les paroles de la chanson sont différentes. (retrouver notre entretien)
Pour l'heure, Mme Chatenay-Dolto n'était pas disponible pour répondre à nos questions - et les autres postes des personnes évoquées ne répondaient pas. Les courriels ont été envoyés cette semaine. Toutefois, il semblerait que les emails envoyés n'arrivent plus à destination. Selon nos informations, il semblerait que l'engouement des auteurs ait en effet provoqué de gros plantages dans les boîtes email du ministère. Le Ministère pourrait avoir mis en place un systeme de blocage, car ses messageries auraient - presque littéralement - explosé sous le nombre de mails reçus.
Mise à jour 22/10 :
La reprise des négociations entre le CPE et le SNE est tout à fait à l'ordre du jour, nous précise Marie Sellier, président de la Charte. « Pierre Sirinelli a été missionné par la ministre de la Culture pour relancer ces négociations sous l'égide du ministère de la Culture. Pour le moment les deux parties ont été auditionnées, mais ne se sont pas encore rencontrées. Je vous confirme que le CPE, qui regroupe 16 associations d'auteurs, s'est prononcé à l'unanimité en faveur d'une durée de cession limitée dans le temps des droits numériques. »
Par Clément Solym
Contact : clements@actualitte.com
Commenter cet article