EXCLUSIF – Réunis à la Maison Balzac, ils étaient une trentaine d'écrivains, dessinateurs, scénaristes à poser la première pierre : ce 6 septembre 2018, dans la continuité des mouvements #PayeTonAuteur et #AuteursEnColère, est fondée la Ligue des auteurs professionnels. Leur priorité : faire reconnaître leur activité comme un travail, et sauver leur métier.
Les auteurs réunis à la Maison Balzac
Joann Sfar, Marie-Aude Murail, Tatiana de Rosnay, Virginie Grimaldi, Aurélie Neyret, Christophe Arleston, Cy, Érik L’Homme et bien d’autres, se sont associés avec les États généraux de la Bande dessinée et la Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse pour fonder la Ligue. Une dimension de super héros, « parce que la situation est critique : nous faisons tous le constat d’une dégradation de nos conditions de travail ». Mais également parce que depuis #PayeTonAuteur en mars dernier, lors de Livre Paris, « les auteurs ont atteint un point de non-retour ».
Depuis plusieurs années, les organisations d’auteurs tirent la sonnette d’alarme : la situation des auteurs du livre se dégrade en France. Les études se multiplient, montrant qu’entre 41 % et 53 % des professionnels gagnent déjà moins que le SMIC et que leurs revenus continuent de baisser, en particulier pour les plus jeunes.
Le baromètre 2018 de la SCAM /SGDL tire un constat plus qu’inquiétant sur la situation du rapport auteur-éditeur : un manque d’informations criant (24 % des auteurs n’ont pas été informés de la traduction de leurs ouvrages à l’étranger) et des redditions de compte opaques, quand elles existent (60 % doivent la réclamer, 64 % des auteurs doivent écrire à leurs éditeurs pour réclamer le paiement de leurs droits). Les relations se détériorent avec les éditeurs, pour 29,2 % des auteurs.
La situation évolue, mais pas en bien : « Même les auteurs de best-sellers reconnaissent qu’ils ne font plus le même métier qu’à leurs débuts, voilà une vingtaine d’années. À cette époque, la possibilité de faire d’un livre un succès existait. Aujourd’hui, si les auteurs de best-sellers sont mobilisés, c’est en solidarité des plus précaires et des jeunes. Ils admettent qu’eux-mêmes, s’ils avaient dû démarrer à notre époque, ils n’auraient pas pu… »
Les membres fondateurs réunissent à ce titre des auteurs de secteurs éditoriaux très divers : bande dessinée, littérature générale, jeunesse, polar, romance... y compris des auteurs emblématiques des expérimentations éditoriales sur Internet, comme Maliki.
« C’est la première fois que les auteurs, peu importe leur secteur éditorial, peu importe leur succès, se réunissent et décident d’agir ensemble. La Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse et les États généraux de la BD en sont aussi. Nous attendons désormais d’autres organisations d’auteurs prêtes à s’unir. » La Ligue formulera ses propositions d’évolution du statut et d’encadrement des conditions de création, tournées vers la reconnaissance d’un métier.
« Dessiner, traduire, écrire : de ces activités découlent des œuvres de l’esprit, des livres. Notre manière de travailler est atypique, parce que nous ne sommes pas des actifs comme les autres. Le droit d’auteur a toujours introduit une ambivalence entre la création, puisque nous donnons la naissance à des œuvres de l’esprit, et la notion de travail, puisque nous participons bien à une économie, avec ses contraintes. »
La Ligue entend au contraire réconcilier ces notions : création et travail. « Notre passion ne peut plus signifier que le temps investi dans la réalisation n’a pas de valeur. Créer prend du temps : ce temps aboutit à une œuvre. »
Dans une industrie où la rémunération est aujourd’hui liée au succès incertain du livre, chacun reconnaît « que l’incertitude est le marqueur qui nous définit tous. Elle est acceptée. Mais à l’heure des industries culturelles et de l’industrialisation du livre, nous voulons que soit pris en compte le temps investi pour que l’œuvre aboutisse ».
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« Il serait inconcevable qu’une société comme la France ne protège pas dignement ceux qui sont à l’origine des œuvres. » La période est aux changements, notamment sur le régime fiscal et social des auteurs. Ce sera le premier mouvement de la Ligue : formuler des propositions au gouvernement pour la constitution d’un statut d’auteur professionnel. La Ligue invite les autres organisations d’auteurs à les rejoindre et à participer à la réflexion : l’ATLF et la Guilde des scénaristes, représentant respectivement les traducteurs et les scénaristes de l’audiovisuel, étaient d’ailleurs présents aujourd’hui.
« C’est historique : des auteurs de tous horizons se réunissent, des plus modestes aux plus bankables, en refusant l’iniquité qui règne. La somme des individus que nous sommes représente un corps professionnel. Il faudra que ce soit admis. »
Et des auteurs présents d'ajouter des remarques et commentaires sur leurs situations, y compris lorsque les ventes de leurs livres sont plutôt confortables. « Il y a un moment où les éditeurs vont devoir nous écouter et nous entendre. Nous devons aller les chercher et les convaincre. Certains sont disposés à nous aider, mais beaucoup ne sont pas trop au courant de notre statut », estime ainsi Tatiana de Rosnay.
« Moi, je n’aurais pas envie de faire ce métier si j’étais à la place des jeunes qui se lancent aujourd’hui », complète Marie-Aude Murail, qui a vu la situation des auteurs se dégrader depuis plusieurs années.
Ces derniers mois, les auteurs ont réussi à exister médiatiquement, avec plusieurs coups d'éclat, au moment du salon Livre Paris ou d'un rendez-vous catastrophique avec le ministère de la Culture. Mais le constat reste malgré tout amer : « Ma reconnaissance va à ceux qui s’impliquent depuis longtemps. Moi, je n’ai que servi de grande gueule, parce que la mauvaise humeur est ma seule qualité. Depuis 5 ans, on alerte sans résultat. Or, le pire est que Françoise Nyssen se gargarise de tout le bien qu’elle fait pour nous. Ça, c’est humainement compliqué. Nous dépendons de la bienveillance des pouvoirs publics, et là, je suis pessimiste et désespéré », analyse Joann Sfar.
« Je vois se dessiner un réel danger pour la survie de notre activité, et la pérennité de la culture, j’insiste sur ce point. Personnellement, plus j’ai d’auteurs autour de moi qui sont en train de créer, plus cela me donne envie de créer moi-même parce que cela encourage. Parce que visiter les ruines de Rome, c’est romantique mais un temps seulement », souligne enfin Denis Bajram.
La composition du bureau est la suivante :
Présidents d'honneur : Tatiana de Rosnay et Joann Sfar
Présidente : Samantha Bailly
Vice président illustrateur : Denis Bajram
Vice présidente auteur : Marie-Aude Murail
Secrétaire général : Benoit Peeters
Trésorier : Nicolas Digard
Retrouver le site de la Ligue des auteurs professionnels. Pour toute demande de renseignements : ligue@auteurs.pro
Alors que l’ensemble de nos organisations œuvrent quotidiennement à la défense, à la consolidation et à l’amélioration du régime social actuel des auteurs, malmené par les nombreuses réformes en cours et à venir, il est important de rappeler que nous devons également continuer de travailler à la possibilité de création d’un vrai statut social pour les auteurs.
C’est un sujet ambitieux et complexe sur lequel la SGDL, comme les autres organisations d’auteurs, réfléchit depuis longtemps, et le travail d’analyse et de propositions mené par ce nouveau collectif d’auteurs vient à juste titre nous rappeler que cette question n’a peut-être jamais été aussi importante qu’aujourd’hui.
Il est indispensable pour l’avenir des auteurs et de la création française d'agir ensemble et de définir quel auteur nous voulons pour demain, tout en travaillant ardemment sur les réformes d'aujourd'hui.
Nous apprenons à l'instant que le SNAC BD vient de rejoindre, en qualité de membre fondateur, la Ligue. Par ailleurs, la Guilde française des scénaristes a également et largement salué la création de la Ligue.
Par Nicolas Gary
Contact : ng@actualitte.com
12 Commentaires
Sébastien Gendron
06/09/2018 à 17:42
Ça fait un moment qu'on râle à plusieurs dans nos coins. Alors oui, j'en suis. Contactez-moi d'urgence quand ça démarre.
Delpard
06/09/2018 à 19:25
Comment doit-on s'y prendre pour s'inscrire et participer au combat ?
Cordialement,
RD
Team ActuaLitté
06/09/2018 à 19:26
Le site internet est à cette adresse.
https://ligue.auteurs.pro/
Mary Aulne
06/09/2018 à 20:50
Pour ma part, je ne peux pas devenir "professionnelle" car je suis obligée de rester salariée pour pouvoir payer le crédit de la maison et tout le quotidien. Du coup, j'ai peu de temps pour écrire, peu de publications et bref... C'est l'histoire du serpent quoi... Merci de votre action.
Cate Vé
06/09/2018 à 21:39
Je trouve la démarche pertinente et très intéressante, mais je pense aussi que si révolution il doit y avoir, cela ne pourra pas se faire sans ou contre les éditeurs. Je vais prêcher pour ma paroisse, mais il y a aussi beaucoup de néo-éditeurs, qui ne se retrouvent pas plus que les auteurs dans le vieux système. Sur certains genre, le primo numérique est devenue une norme, les temps changent, les pratiques aussi. Le soucis c'est que les réformes ne suivent pas le rythme des changements. La question du piratage et de la protection des oeuvres touchent tout le monde, car tout le monde dans la chaîne à de plus souvent son revenu indexé sur les ventes. Il y a de nouvelles formes d'édition à prendre en compte. on a tous intérêts, de chaque côté de la barrière, à réfléchir clairement et concrètement à l'économie du livre de demain. Les poches des lecteurs ne sont pas sans fond :)On ne peut pas décorréler la question du statut de celle du marché.
eva
07/09/2018 à 00:54
je ne trouve pas ou s'inscrire sur le lien :(
Olivier Clerc
07/09/2018 à 08:49
bravo pour cette initiative !
Je suis allé voir le site. Il n'y a (encore) rien pour s'inscrire et soutenir ce projet.
Comment être informé de ses développements à venir ?
Merci d'avance.
Pierre-Michel Robert
07/09/2018 à 10:19
Ce matin sur Boomerang (France Inter) le "total soutien" d'Augustin Trapenard
https://www.franceinter.fr/emissions/boomerang/boomerang-07-septembre-2018 (à 10'28")
Team ActuaLitté
07/09/2018 à 10:23
Bonjour, une adresse de contact est disponible : ligue@auteurs.pro
TAra
07/09/2018 à 15:11
Bonjour et merci pour cette idée intéressante et surtout nécessaire.
Oui, sans aucun doute, il y a quelque chose à faire pour ajuster le milieu littéraire aux nouvelles techniques et aux nouvelles mentalités.
Toutefois, j'adhérerai quand on remplacera les mots combats ou revendication par concertation ou rapprochement. Idem pour le mot lutte par négociation.
Je ne crois pas à la pérennité de la manière forte. Peut-être suis-je utopiste, cependant...
Moony
08/09/2018 à 11:47
C'est fantastique !... et encore une énorme occasion manquée d'adopter un langage épicène pour désigner non seulement les auteurs, mais aussi les autrices, alors même que deux autrices sont présidentes et vice-présidente.
Encore une occasion où nous sommes contraintes de porter un masque masculin pour pouvoir être acceptées dans le moule plutôt qu'exclues.
Imaginez si vous aviez écrit : "Trésorière : Nicolas Digard". Ce serait aussi ridicule que faux. Figurez-vous que ça sonne aussi incorrect et risible quand on affuble Marie-Aude Murail du titre "vice-présidente auteur". De même que c'est un crève-cœur de voir toutes les femmes présentes sur la photo en soutien de l'initiative commune qui se retrouvent totalement invisibilisées du point de vue linguistique dans le corps du texte.
L'incontestabilité de la légitimité de l'auctorialité des femmes n'est manifestement pas pour aujourd'hui, ni pour demain, même au sein d'une initiative mixte censé défendre aussi leurs droits...
Et ce alors même que nous sommes celles dont les droits, en tant qu'autrices, sont les plus bafoués de ce corps de métier, payées en moyenne un tiers moins que nos comparses masculins.
guillaume
19/09/2018 à 17:48
je ne sais pas si le terme combat est approprié mais je m'en cogne, du moment qu'on puisse présenter un front uni pour changer. Je veux bien adhérer, mais si c'est pour élire encore un conseil d'administration de gens que je ne connais pas pour brasser du vent ou servir une clique de parisiens, ça ne m'intéresse pas. J'attends de voir la direction que ça prendra.