La BPI est engagée dans un projet commencé depuis 2010 ainsi que des travaux qui devraient commencer dès 2019 pour une durée de 2 à 3 ans. Mais à visiter les lieux, on a comme le sentiment « qu’on joue à Tetris avec les collections d’ouvrages et les étagères ».
Le 10/10/2018 à 12:53 par Nicolas Gary
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Publié le :
10/10/2018 à 12:53
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ActuaLitté, CC BY SA 2.0
La Bibliothèque publique d’information se débat avec un projet de réaménagement porté par son précédent directeur, Patrick Bazin, qui avait dû revoir à plusieurs reprises sa copie pour finalement quitter l’établissement en faisant valoir ses droits à la retraite fin 2013. Christine Carrier, qui lui a succédé, n’a apporté depuis que des modifications marginales. Face aux premiers aménagements le personnel est perplexe et les lecteurs sont perdus…
Quand il prit la direction de la BPI en juillet 2010, Patrick Bazin a commencé par modifier l’organigramme et les services. Certains ont alors disparu ou ont été fortement transformés. BPI Doc, service de revue de presse réputé pour la qualité de ses sélections, qui regroupait de façon organisée des articles des grands quotidiens nationaux sur des sujets d’actualités, de société, des expositions, des personnalités est arrêté en 2012. Ce service n’a jamais été remplacé.
Pourtant comme l’indique un membre du personnel « À l’époque des fake news, on ne peut que le regretter, d’autant que ce service, on l’a véritablement laissé mourir. » Dans son programme, le directeur avait aussi choisi de réimplanter une partie de l’animation culturelle (cinéma, exposition) à l’intérieur des espaces de la bibliothèque, et prévoyait alors une diminution importante du nombre de tables et de places assises. Face à cette volonté de réduire les espaces de travail, le personnel s’est fortement mobilisé, et a alerté de Ministère de la Culture. On se souvient alors de l’intervention d’Aurélie Filippetti, qui a demandé à Patrick Bazin de revoir sa copie, demandant le maintien du nombre de places de lecture.
Peu de temps après ce bras de fer, la mise en place d’un nouveau système de gestion du parc informatique et le choix de prestataires extérieurs défaillants ont généré une multitude de dysfonctionnements, rendant le catalogue de la bibliothèque et l’accès aux bases de données très difficile. L’instabilité chronique de l’informatique, durant 3 ans, couplée à un sous dimensionnement et une absence régulière de connexion au Wifi de la bibliothèque a alors généré une baisse de fréquentation. « Le comble est que la direction a alors tenté de justifier une diminution des espaces de travail et de lecture du fait de cette baisse de fréquentation », se souvient un bibliothécaire.
Depuis ce service s’est considérablement amélioré, et en 2018 l’établissement enregistre près de 5000 lecteurs quotidiens. « La tendance s’inverse, avec un changement de public constaté. » Toutefois avec le déménagement et la réorganisation des collections, « on peut craindre une nouvelle désaffection des usagers », note-t-on.
Aujourd’hui alors que le projet a entamé la phase « Zéro » avec le déménagement des collections en prévision de la future bibliothèque, les problèmes s’accumulent, laissant les personnels dubitatifs. « Le problème est que le bâtiment n’a toujours pas changé, que les évolutions attendues ne sont pas là, mais on doit composer comme si tout était déjà modifié. »
ActuaLitté, CC BY SA 2.0
La direction, inspirée par l’agence d’ingénierie culturelle abcd, qui développe dans toute la France le même modèle de « bibliothèque 3e lieu », a décidé de substituer aux 10 bureaux d’accueil, organisés autour des grands domaines de connaissance, cinq “pôles” d’accueil et un “point service Autoformation” (sans équipe spécifique). Les cinq “pôles” intitulés en interne : “Nouvelle génération”, “Lire le monde”, “Comprendre”, “Vivre” et… “Imaginer”, sont corrélés au nouvel organigramme sans cohérence avec l’organisation scientifique des domaines de connaissance.
Malgré des interventions récurrentes des élues et des élus des personnels dans l’instance de discussion et de consultation qu’est le comité technique (CT) et malgré plusieurs votes unanimes en opposition, la direction a décidé de continuer le même projet. La nouvelle implantation des ouvrages et des étagères a été effectuée conformément à cette « organisation » en pôles.
Si cette approche fonctionne bien pour les bibliothèques municipales de prêt – comme à Angoulême, où sont repris les pôles, créer, imaginer, etc. – il ne conviendrait pas à la BPI. « Tout devient totalement bancal, avec, notamment, l’éclatement complet des collections . » En effet, la BPI est un établissement de consultation sur place — avec la complémentarité internet, base de données, et ouvrages. « La direction ne parvient pas à l’entendre : nous ne sommes pas une bibliothèque de loisir. Cette pratique existe, bien sûr, en tant que composante des usages. Mais les visiteurs ont recours à la BPI pour bien plus de choses que nos responsables ne l’imaginent… »
Aujourd’hui, le bilan se pose à travers plusieurs grandes interrogations : d’abord, le nombre de postes, et l’organigramme. « Sur 220 personnes, on compte une cinquantaine de chefs, qui font moins de plages d’accueil du public. En outre, nous avons perdu une vingtaine de postes depuis 2010 », assure-t-on. [Information contestée par la direction, NdR]
Décupler les responsables, qui interviennent moins en service public, et réduire le personnel global devient problématique. « La réorganisation se traduit par une usine à gaz. Et dans le même temps, des collègues exsangues se trouvent exemptés de service public. » Si l’on prend en compte que la BPI ne ferme que 53 jours par an, et que son amplitude horaire reste malheureusement inégalée en France, la conclusion s’impose : « Nous avons besoin d’humains. »
Ainsi, et c’est la deuxième difficulté, « le service d’accueil du public pâtit lourdement de la diminution des présences ». Durant la période de révision du BAC mi-juin, des bousculades et des altercations, qui ont circulé en vidéo sur les réseaux, a contraint la direction à écouter les doléances du personnel, qui « exaspéré par la surdité de la direction à ses revendications s’était mis en grève ». Car, « en cherchant à diminuer le nombre de bureaux d’accueil du public, l’établissement cherche surtout à redéployer le personnel dont le nombre ne cesse de diminuer ». C’est essentiellement la gestion de pénurie qui préside à cette réorganisation.
ActuaLitté, CC BY SA 2.0 (et si plus de plan ?)
Le regroupement de domaines tel que le droit, la santé, la technique, la gestion, l’informatique, la cuisine, etc. en un seul bureau « témoigne de cette volonté de pallier le manque de personnel pour assurer les plages de service public et surtout d’adapter les fonds au nouvel organigramme en pôles ». Ces mélanges des domaines ne vont pas sans poser des problèmes : « On essaye de ne pas montrer aux usagers que l’on découvre parfois avec eux une situation déstabilisante, cela ne fait pas très sérieux. Mais, c’est certain, la qualité du service au public souffre. »
En effet, soulignent les personnels rencontrés, si l’on se rend à la BPI pour des recherches, encore faut-il trouver les ouvrages. « La politique documentaire actuelle n’existe pas — ou alors, elle est totalement incompréhensible. » Nous avions pu le constater en parcourant les allées : les classements manquent de cohérence, « quand il ne s’agit pas de fourre-tout malcommode », déplore une employée : « Le segment VIVRE regroupe indifféremment, Droit, Economie, Techniques, Médecines, Sciences appliquées : mais qu’est-ce que cela veut dire ? » Le tout sur un espace linéaire très réduit.
Le déménagement a eu le mérite de faire se manifester les lecteurs habitués qui viennent régulièrement, mais que l’on ne voyait que rarement aux bureaux d’infos. Auparavant relativement autonomes, « ils sont perdus devant les bouleversements incompréhensibles pour eux » et se rendent aux bureaux pour se plaindre ou simplement retrouver « leurs » rayons et collections. « Du coup la hiérarchie a découvert… que les usagers étaient des lecteurs ! »
Une signalétique est encore en cours d’étude, sauf que, de toute évidence, « quelque chose n’a pas été réfléchi. La politique documentaire, c’est le nerf de la guerre, mais, aujourd’hui, nous ne comprenons pas ce qui est mis en place ». La seule politique à l’œuvre est le « désherbage » massif des collections. C’est-à-dire le retrait des étagères de milliers d’ouvrages et de périodiques qui ne sont pas remplacés. Malgré cela, le déplacement et la réduction du nombre d’étagères rend difficile, voire impossible, le rangement de certaines nouvelles acquisitions. À plusieurs endroits, il est impossible d’insérer un nouveau livre sur les étagères.
Avec la nouvelle implantation, qui a vu l’Histoire descendre d’un étage, pendant qu’une partie des sciences sociales et les sciences techniques sont montées au 3e, « les usagers perdus et perplexes demandent des explications ». En consultant les cahiers des lecteurs, nous avons pu découvrir plusieurs messages datant de ces dernières semaines, exprimant désarroi et mécontentement. Il ne manquerait que le Minotaure dans ce labyrinthe, pour résumer.
« C’est qu’avec la perspective des travaux, les collections pour rester disponibles ont été déménagées vers les places qu’elles doivent occuper… après les travaux. Tout est positionné comme si les aménagements étaient effectués », se désole un bibliothécaire. Sauf que les bouleversements prévus — comme la disparition des escalators pour gagner de la surface, ou la création d’une entrée commune avec le centre renouant avec les origines — et non plus celle sur rue derrière le centre— n’arriveront qu’à l’horizon 2020, 2021.
Et quand la direction affirme que ces aménagements ont été établis avec les équipes, on sourit jaune : « Non, en réalité chaque département a tenté de restructurer son secteur comme il pouvait. »
Sans évolution ni explications, l’état actuel deviendra intenable. « Depuis mi-août, nous avons seulement eu une note, accompagnée d’un tableau Excel sur la “Liste des problèmes à régler suite au déménagement des collections”. La direction a admis qu’il faudrait “réajuster la réimplantation”. Maintenant, on attend ? » Mais le mal est fait. Et la perspective de maintenir la bibliothèque ouverte malgré de grands travaux annonce encore des heures difficiles pour les usagers.
Le constat opéré par les personnels est accablant, mais la direction cherche avant tout à rassurer. Annie Brigant, directrice-adjointe, explique que « tout changement dans l’organisation des collections provoque d’abord de la désorientation. Nous mettons tout en œuvre pour que les lecteurs s’y retrouvent ».
ActuaLitté, CC BY SA 2.0
Et de souligner la signalétique provisoire et les panneaux suspendus qui devraient permettre à chacun de se guider. « Il y a des ajustements à faire, et l’on tire des leçons de ces premières semaines », ajoute-t-elle.
Cette nouvelle organisation thématique, regroupe les pratiques des jeunes adultes au niveau 1 (avec BD, arts graphiques et jeu vidéo) et ce sont ensuite les deuxième et troisième étages qui sont concernés par la réorganisation des collections – « une réorganisation qui sera parachevée dans le cadre du projet de rénovation ».
Une enquête de fréquentation, produite en 2018, mais pas encore consultable dans son intégralité sur le site de la BPI – ActuaLitté a pu s’en procurer copie – apporte à tout cela des éléments de réflexions supplémentaires. Quelle sera alors la charte documentaire, en fonction des pratiques pointées dans l’étude ?
« Nous constatons une baisse des consultations de collection – un phénomène général qui ne nous épargne pas. Nous n’allons pas pour autant diminuer le budget d’acquisition. Ce sont des ajustements à l’intérieur des secteurs documentaires qui sont opérés. »
En outre, une autre enquête, cette fois sur les consultations, sera lancée durant l’automne, pour obtenir une meilleure vision. Son analyse sera présentée en 2019.
Quant à la diminution du nombre de postes, la direction est formelle : « Ce sont des postes non pourvus, et nous nous efforçons par tous les moyens de les pourvoir. Mais nous éprouvons des difficultés dans le recrutement : il n’est pas simple pour des raisons administratives de faire arriver des personnels à la BPI. La situation s’améliore puisque 14 personnes sont arrivées en septembre. » Un fait plutôt conjoncturel, donc. « D’ailleurs, pour ce qui est du service public, le nombre de personnes ne change pas. »
« Nous avons eu de multiples occasions d’échange avec les équipes — et en particulier des réunions ont eu lieu depuis septembre sur le point précis de l’organisation des collections avec l’ensemble des agents concernés — et ce n’est absolument pas l’état d’esprit majoritaire », poursuit-elle.
« Il n’y a aucun constat accablant et encore moins d’unanimité des personnels sur ces questions. Non seulement la direction, mais aussi les chefs de service au plus près des équipes pourraient vous le dire. Enfin, au cas où vous n’auriez pas eu cette information des collègues que vous avez interrogés, la réimplantation des collections a été préparée dans une totale concertation avec les agents, qui ont d’ailleurs apporté des modifications sur plans. »
Par Nicolas Gary
Contact : ng@actualitte.com
2 Commentaires
madjid
11/10/2018 à 10:03
:-S Bonjour, je travaille à la Bpi et vous n'avez pas abordé les problématiques d'accessibilité, qui étaient déjà préoccupantes avant les travaux, mais qui s'accentuent de fait. Accès dangereux pour les publics et le personnel en situation de handicap. Acceuil revu à la baisse, 3 cabines de travail passant de 5 à 3, cheminement plus long, moins d'équipement. En lien je vous mets le lien vers une vidéo que nous avons tourné pour vous expliquer la situation déplorable que nous vivons... Très bonne journée.
https://www.youtube.com/watch?v=e1MnCaFKzzA&t=3s
walybibscience
12/10/2018 à 12:54
je crains qu'il se passe la meme chose, des problematiques similaires le temps des travaux de la bibliotheque des sciences et de l'industrie prevusen juin 2019