Le Festival de la lecture à voix haute et du livre audio, Vox, se tiendra à Paris les 24 et 25 mai prochain à la Maison de la Poésie, lieu symbolique de l’oralité à Paris. Cette année encore, des textes seront sublimés par la voix des comédiens et comédiennes, pour « panser le monde », et non seulement pour le penser, comme on aime le faire communément.
Le 17/05/2024 à 12:32 par Hocine Bouhadjera
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17/05/2024 à 12:32
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En 2022, le Syndicat national de l'édition (SNE) a proclamé mai comme le mois du livre audio. Le Festival Vox, de son côté, marche sur deux jambes - la lecture à voix haute, et son enfant naturel, le livre audio -, depuis 2019.
Cette édition fera la part belle à l'engagement, avec des œuvres qui abordent les grands thèmes et les problématiques prégnantes d’aujourd'hui : les violences faites aux femmes ou à la nature, les séquelles historiques de la guerre, les luttes des minorités, la voix des réprouvés. Des textes qui illustrent la capacité de l'art et de la littérature à panser les blessures, même les plus insupportables, à lutter contre les oppressions en faisant résonner des voix souvent étouffées.
Le festival s’ouvrira à la librairie L’Extrême Contemporain le 24 mai à 19h, face à la Maison de la Poésie, en compagnie de la comédienne Julia de Gasquet. Celle-ci lira les poèmes de l’autrice ukrainienne Luba Yakimtchouk, Les Abricots du Donbas, publié en France aux Éditions des Femmes, dont les mots vibrent avec le vécu d'un peuple en lutte depuis 2014. La plume de celle qui a vu sa demeure familiale saisie par les séparatistes russes, dépourvue de pathos, illustre une ville meurtrie par le conflit, la tragédie, sans omettre le désir toujours présent.
À l’occasion de cette première soirée du festival, ses poèmes, après avoir été déclamés en français, le seront dans leur musique originelle ukrainienne, enregistrés par l'autrice elle-même, mettant en évidence la relation sensible qui existe entre une langue d’origine et sa traduction. Ce moment sera aussi une chance de dialoguer avec l'actrice, le public et les professionnels sur place.
La Maison de la Poésie accueillera le lendemain sept comédiens pour un marathon de lecture, en commençant par Darina Al Joundi à 14h30, qui partagera un extrait de Ferdaous, une voix en enfer (Éditions des femmes - Antoinette Fouque), de l’Égyptienne disparue en 2021, Nawal El Saadawi. Dans les profondeurs d'une prison du Caire, Ferdaous (Paradis en arabe) attend son exécution. La veille de ce jour fatal, une psychiatre lui rend visite pour tenter de comprendre le parcours tragique qui l’a menée à ce destin: une vie marquée par l'inceste, les violences conjugales, jusqu'à être poussée vers la prostitution. Sa révolte culmine encore, lorsqu'elle ôte la vie à un homme… Un roman profondément féministe.
Toujours dans le pays de Naguib Mahfouz, Jihad Darwiche racontera à 16h la participation des femmes à la révolution égyptienne de 2011, immortalisée dans Place Tahrir (Oui’Dire éditions). Le conteur libanais y rend hommage à des femmes de toutes générations, de la militante à la mère de famille, qui ont pris part au soulèvement général pour célébrer l'espoir et la quête de liberté.
À 15h30, Guila Clara Kessous présentera au public Des mots pour agir contre les violences faites aux femmes (Éditions des femmes - Antoinette Fouque), un recueil dirigé par Eve Ensler et Mollie Doyle. Il compile des contributions d'une cinquantaine d'auteurs et autrices, et a été conçu pour soutenir l'organisation d'événements mondiaux dédiés à la lutte contre les violences envers les femmes et les filles.
L’actrice et metteuse en scène française sera précédée sur scène par le comédien Jean-Christophe Acquaviva, qui interprétera des extraits d’un des romans phares de la dernière rentrée littéraire, Prix Interallié et Giono, Humus (L’Observatoire) de Gaspard Koenig. Une réflexion sur l'écologie et le capitalisme vert à travers le parcours de deux étudiants en agronomie, qui prennent des chemins différents pour influencer le monde : Kevin crée une start-up de vermicompostage tandis qu'Arthur tente de restaurer une ferme familiale dégradée par les pesticides. Un voyage du bocage normand à la Silicon Valley.
François Cognard offrira une lecture d'un phénomène récent de librairie, Les yeux de Mona, signé Thomas Schlesser (Audiolib) : à dix ans, celle qui partage un prénom avec la figure la plus mystérieuse de la peinture universelle, apprend qu'elle va perdre la vue. Son grand-père, un personnage excentrique et érudit, décide de lui présenter un chef-d'œuvre artistique chaque semaine pendant l'année qu'il lui reste à voir.
Après la peinture, la musique, avec Suite inoubliable d’Akira Mizubayashi, lu par Constance Dollé (Ecoutez Lire Gallimard). Un roman qui entrelace les histoires de personnages unis par leur passion pour l’art de Bach, et l'horreur de la guerre. Une épopée qui célèbre le 4e art et la langue française comme liens transgénérationnels.
Enfin, clou du spectacle, et pas des moindres, à 17h30, un spectacle tiré du recueil poétique qui célèbre l'amour et la résilience humaine, Le ciel ouvert (Actes Sud) de Nicolas Mathieu.
Une adaptation portée par Julien Allouf à la lecture, et Dorian Gallet en accompagnateur musical. Dans cet ouvrage, dont chaque poème constitue autant de microfictions, le Prix Goncourt 2018 raconte nos détresses et nos émerveillements, l’épreuve des corps, l’amour pour un père, une femme, un enfant. Mais aussi les villes entrevues, la mer, les rencontres et les commencements, le désespoir et les joies, le bonheur intenable, les saisons, les matins au lit et les dîners avortés, les gueules de bois, l’attente, la désertion, l’enfance ou encore la fin qui viendra forcément. Des poèmes publiés au fil des années sur son compte Instagram.
Après avoir été lancées l’année dernière, Les lectures déambulatoires sont de retour : en parallèle du marathon dans l’enceinte de la Maison de la Poésie, des déclamations itinérantes auront lieu dans le passage Molière à partir de 14h, offrant aux passants des extraits d’ouvrages portés par les jeunes comédiens Lilea Le Borgne, Rosa Pradinas et Matteo Renouf. Des moments qui invitent les passants à s'arrêter, et peut-être à franchir le seuil du lieu de spectacles et de rencontres. Le festival s’achèvera avec un traditionnel Verre de l’Amitié à 19h. Le programme détaillé est à découvrir ici.
Si les lectures déambulatoires ne sont donc plus une nouveauté, le Festival Vox continue d’innover, en s’attachant pour cette édition les services de l'autrice, journaliste et créatrice de podcast Lauren Malka, qui officiera en tant que maîtresse de cérémonie : « Le livre audio m'intéresse en tant qu'il se situe à l'intersection entre littérature et oralité, mais aussi quand il s'inscrit dans un débat de société et trouve sa place sur la scène publique, offrant une plateforme aux voix moins entendues », partage cette dernière auprès d’ActuaLitté. Elle présentera les auteurs et les comédiens choisis pour porter le thème de cette année.
Elle explique encore : « La passion de la lecture est la plupart du temps solitaire, voire isolante. J'ai toujours ressenti un besoin immense de raconter ce que je lis, au point d'avoir parfois envie de lever la tête dans le métro pour partager mes enthousiasmes de lecture avec les personnes assises à côté de moi ! Ayant par ailleurs beaucoup travaillé dans l'événementiel, j'apprécie particulièrement d'entendre et de partager la voix des autres, qui enrichit l'expérience littéraire. »
« Quand on a décidé d'adjoindre un maître de cérémonie au festival, dans cette optique de constante amélioration, le choix de Lauren s'est imposé comme une évidence, compte tenu de son parcours de valorisation de la voix littéraire sous toutes ses formes, de son enthousiasme et de son engagement pour la littérature », nous confie la Présidente de l’Association de Promotion du Livre Audio/Vox, Paule du Bouchet.
Autre nouveauté de cette année, le Festival Vox accueille le Prix Lire dans le Noir, première récompense littéraire en France à être, depuis 2007, exclusivement dédié aux livres audio.
Les nominés de l'édition 2024 sont répartis en trois catégories, en voici les sélections :
Catégorie Fiction
L’Enragé de Sorj Chalandon, interprété par Féodor Atkin, disponible chez Audiolib
Veiller sur elle de Jean-baptiste Andrea, vivifié par les voix de Léo Dussolier et Lila Tamazit, publié par Lizzie
De notre monde emporté de Christian Astolfi, avec la narration de Guillaume Orsat, édité par Multisonor
Catégorie Non-Fiction
Je vous écris de Kaboul de Kathera Amine, narré par Ana Piévic, éditions Audible
Le couple et l’argent de Titiou Lecoq, lu par Amélie Belohradsky, proposé par Audiolib
Abécédaire de Tobie Nathan, une narration personnelle par l’auteur lui-même, chez Écoutez Lire / Gallimard
Catégorie Jeunesse
Tartines de peur salée - Confessions d’une hypersensible d’Elsa Valentin, interprété par Camille Claris, aux éditions Trois Petits Points
Les contes bleus du chat perché de Marcel Aymé, lu par François Morel, disponible chez Écoutez Lire / Gallimard
Les enfants panés d’Angelina Galvani, narré par l’autrice, publié par Oui’Dire
Vox maintient par ailleurs, pour la troisième année consécutive, son Prix collège du livre audio. Une sélection de cinq titres a été proposée par les éditeurs. Elle a été soumise à six classes de cinq collèges de Montreuil, Romainville, Saint-Denis et Champigny-sur-Marne.
L'initiative est parrainée cette année par Rokhaya Diallo, journaliste et fondatrice de l’école W.O.R.D.. Le prix va au-delà de la simple récompense d’une œuvre narrée par un acteur : un partenariat a été établi avec la compagnie théâtrale des Tréteaux de France, qui permet à deux de leurs comédiens de former les jeunes aux arts de la scène, intégrant une dimension pédagogique. Quatre sessions pour des demi-classes, axées sur l'apprentissage de la gestion du public et des techniques de lecture à haute voix.
Cette démarche est issue d'une réflexion approfondie sur l'art de parler et son lien essentiel avec l'art d'écouter : « Les élèves du collège reçoivent une formation en comédie, mais apprennent également la rhétorique, développent leur capacité à défendre leur point de vue, et à se présenter en public », nous explique Paule du Bouchet.
Un programme qui entend enrichir leur compréhension des œuvres audio, leur permettant de maîtriser les processus de production, les structures narratives et les liens de causalité entre les éléments d'un récit. L'apprentissage de l'expression orale pourrait-il alors révéler chez certains des talents d'éloquence pour leur futur ? Des rencontres avec des éditeurs sont également organisées pour enrichir cette expérience unique.
Chaque classe participante votera pour son livre audio préféré. Elles présenteront et défendront leur choix lors d'une session publique prévue en juin au Cinéma le Méliès à Montreuil. Le précédent Prix Vox des collèges a été décerné à Coraline, de Neil Gaiman, traduit par Hélène Collon, et lu par Cachou Kirsch, publié par les éditions Audiolib.
La toute première édition du Festival Vox a été lancée en 2011 par Jean-Marie Ozanne, fondateur de la librairie Folies d’encre et contributeur clé à la création du Salon du Livre Pour la Jeunesse. Cette initiative mettait alors l'accent sur la lecture à voix haute dans un contexte urbain.
Paule du Bouchet porte aujourd'hui son projet, en fervente défenseure de l'oralité en littérature, convaincue de sa valeur spécifique : « Les auteurs eux-mêmes découvrent parfois leur propre texte sous un nouveau jour lorsqu'ils écoutent la version audio de leur œuvre », constate cette dernière. Et de développer : « “Je ne me souviens pas d'avoir écrit cela” est une réaction commune, ce qui souligne à quel point l'oralité peut révéler des nuances insoupçonnées. Cette redécouverte est d'autant plus frappante à l'ère du smartphone, où l'écoute de livres audio devient une pratique de plus en plus courante et naturelle. »
L'expérience auditive en tant qu'exploration du potentiel sonore de l'écriture aussi : « Les silences entre les mots, les nuances non verbales, les variations de respiration, apportent un contraste et une profondeur qui enrichissent le texte », complète Lauren Malka : « Comme dans une interprétation musicale, ces éléments auditifs transforment la lecture en une performance vivante, donnant une nouvelle dimension à l'œuvre littéraire. » Dans cette optique, Paule du Bouchet met en évidence la complémentarité à trouver dans le choix des interprètes : « Chaque texte trouve son interprète idéal, une évidence qui s'impose très souvent naturellement », constate-t-elle.
À LIRE - La voix dévoile “une autre dimension à l’oeuvre, son mystère” (Festival Vox 2023)
À quelques jours de l'édition 2024, cette dernière se réjouit d'une dynamique positive continue, en termes de visibilité et d'importance de l'événement. Lauren Malka exprime de son côté son impatience d’entendre interprétés les textes du programme, et sa curiosité de voir comment les comédiens vont les mettre en scène lors de leurs déambulations, une approche qui lui rappelle l'esprit du Festival d'Avignon.
L'accès à l'événement est gratuit. Le Festival Vox propose par ailleurs en ligne des playlists d’extraits par éditeur, Radio Vox, et les replays des lectures des éditions précédentes.
Crédits photo : NB / © Francesca Mantovani
Par Hocine Bouhadjera
Contact : hb@actualitte.com
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