Montmorillon2024 — Montmorillon met le voyage au coeur de son festival littéraire. Un de ses deux invités d'honneurs, Timothée de Fombelle, explore les quatres coins du monde dans ces romans jeunesse. Le géographe Jean-Baptiste Maudet nous emmène en Amazonie. Troubs et Baudoin dessinent l'Atacama, le Ghana, le Mexique, ou encore les terres glaciales du Labrador. Double rencontre avec ces auteurs de l'ailleurs.
Montmorillon, ville enclavée dans un territoire rural, a fait de l’ici et de l’ailleurs un des thèmes centraux de son festival du livre. Pour l’ici, une journée thématique sur l’écologie du livre revenait entre autres sur les solutions de production et de consommation du livre en circuit court, de l’éditeur à la librairie en passant par le distributeur et les bibliothèques.
Pour l’ailleurs, une série de rencontres étaient organisées autour des liens entre littérature et voyage. Ce samedi 8 juin, le public du Festival avait la possibilité d’entendre deux fois deux auteurs à ce sujet. Les premiers, Edmond Baudoin et Troubs, sont illustrateurs. Ils partent aux quatre coins du monde, parfois ensemble, pour y écrire des BD. Les seconds, Jean-Baptiste Maudet et Timothée de Fombelle, ont écrit des romans sur des territoires lointains et sur des humains en mouvements sans bouger de chez eux.
Regards croisés sur ces deux méthodes et moyens d’expression différents.
Troubs et Edmond Baudoin ont une complicité qui éclabousse leur auditoire. Très à l’aise, ils racontent avec le sourire leurs diverses aventures, se moquent l’un de l’autre, ou bien d’eux-mêmes. Ils se sont rencontrés il y a des années, alors que Troubs, qui n’avait encore jamais été édité, distribuait des fanzines au festival d’Angoulême.
Leur amitié a pris un tournant décisif lorsqu’Edmond Baudoin préparait son prochain voyage au Mexique. Il souhaitait y rencontrer les femmes célibataires qui fuyaient le machisme des zones rurales. La guerre contre les narcotrafiquants venait d’y être déclarée, rendant la situation critique : des dizaines de morts par balle chaque jour, et un couvre-feu à 20h.
« C’est pas que tout seul j’ai peur, mais… » Baudoin propose alors à Troubs de l’accompagner, pour contrer la solitude des longues heures de couvre-feu, assure-t-il. Après ça, les voyages se sont naturellement enchainés pour les deux hommes, l’un en appelant le suivant. « On n’est pas mariés, mais ça va se faire », plaisante Baudoin, que Troubs préfère pour sa part considérer comme un grand-frère.
Lorsqu’ils sont en voyage, la bande dessinée se crée au jour le jour. Leurs créations sont un dialogue qui se met en page en même temps que se vit l’aventure. « Si l’on change d’avis au fil des rencontres, on ne revient pas sur la première planche », disent-ils dans un souci d’authenticité. « En rentrant, on donne tout à l’éditeur et l’on passe à autre chose ».
Leur dernier album est une plongée au cœur du monde des Inuits. Edmond Baudoin a déjà vécu 3 ans au Canada, où il enseignait son art à l’université, il s’avoue particulièrement touché par l’art des Inuits : « Vous avez vu ce qu’ils faisaient ? Ça fait presque pleurer ». Une sensibilité que Troubs partage naturellement, lui qui a une appétence particulière pour tous les arts de ce qu’on appelle les « peuples premiers ».
Le premier contact avec les Inuits n’a pas été simple. Après de longues galères administratives, il fallait encore avoir la confiance de ceux avec qui ils voulaient discuter. La tache n’est pas des plus simples, compte tenu des souffrances qu’a connues ce peuple colonisé. « Une histoire pourrie » qui a duré jusque dans les années 90 : enfants contraints au pensionnat, langue interdite, abattage des chiens de traineaux pour forcer à la sédentarité, sans parler des histoires de souveraineté et de pétrole.
Alors les Inuits, qui ne sont déjà pas d’un naturel très bavard, ont appris à être méfiants : « Au début ils craignaient qu’on soit des journalistes, “ces gens bizarres qui nous écoutent et qui écrivent n’importe quoi après” ».
Mais leur art a permis aux deux hommes d’établir un rapport solide avec la population locale. « Faire des portraits, ça aide à toucher les gens », assurent-ils, et une fois qu’une âme est touchée, elle sert d’appât pour avoir la confiance des autres.
Baudoin et Troubs oscillent entre pessimisme et optimisme lorsqu’ils parlent de la culture inuit. D’une part ils s’effraient de voir que ce peuple ne compte plus que 40 000 représentants dans le monde, d’autre part ils se réjouissent de voir que leur culture est en train de se reformer, avec leur langue, l’inuktitut, qui est à nouveau la première langue apprise par les enfants à l’école.
Ce qui touche le plus chez ces deux artistes, c’est leur rapport à la nature. Troubs affirme qu’il a besoin « de voir la vie libérée de toute contrainte anthropomorphique » pour se sentir bien. Baudoin, qui pour sa part vie à Paris, s’effraie de constater que les platanes y souffrent et que personne n’est assez attentif pour le voir.
Ils sont deux contemplatifs, capables de passer 30 minutes devant un paysage, sans bouger. C’est là la base même de leur art. Selon Baudoin, peindre une scène, que ce soit un portrait ou la nature, c’est l’avaler, puis la retranscrire sur le papier en y mettant du sien. Il pense que l’artiste doit maitriser son art au point de pouvoir ne plus y penser au moment de dessiner, pour se laisse complètement guider par ce qu’il voit.
Une idée similaire traverse le type de voyage qu’ont entrepris Jean-Baptiste Maudet et Timothée de Fombelle : se documenter le plus possible sur un sujet, pour ensuite tout oublier et laisser la littérature prendre le contrôle.
« Il faut en savoir 1000 fois trop, et après tout envoyer balader », résume Timothée de Fombelle, invité d’honneur de cette édition du Festival du livre de Montmorillon. Le travail de documentation est primordial, ajoute-t-il, mais la littérature doit aller au-delà de l’Histoire. Il faut lui faire confiance, à la littérature, pour nous en dire un peu plus que ce que racontent les événements.
Timothée de Fombelle dresse dans Alma, la trilogie dont il sortait le dernier tome le 30 mai dernier, le portrait d’une famille embarquée dans les horreurs de la traite négrière. « Un sujet qui peut faire peur », confie-t-il.
Il a dû amasser une grande somme de renseignement très précis sur cet épisode de l’histoire, et sur le quotidien de ceux qui l’ont traversé. Mais ce qui importe, c’est d’inclure ces éléments dans un imaginaire plus large, de manière à embarquer dans le récit un public plus large que celui qui se compose seulement de passionnés de cette question historique.
La recette de l’auteur de littérature jeunesse, c’est de frôler le fantastique et le poétique, sans toute fois ne jamais y basculer complètement. « Comme dans la vie, il y a toujours du surnaturel qui vient », nous dit-il.
Cependant, il avoue volontiers que parfois il n’a pas besoin d’inventer quoique ce soit « le réel est tellement plus fort ». Il vise notamment ici les horreurs qui ont marqué la traite négrière, qui pour certaines sont « inracontable ». Son rôle en tant que romancier, c’est de trouver malgré tout de la lumière dans ce qu’il raconte : « J’essaie tout le temps de montrer des lucioles, elles sont présentes même dans les cales des bateaux qui transportaient les hommes vers l’Amérique ».
Le travail de Timothée de Fombelle peut être rapproché de celui de Jean-Baptiste Maudet, qui intervenait à ses côtés ce samedi. Ce dernier est docteur en géographie et son troisième roman, Tropical Tristesse, se déroule en partie en Amazonie.
En tant que romancier, il s’applique à trouver le juste mélange de poésie et de géographie. Il veut créer un espace littéraire dans lequel il laisse la place à l’imaginaire du lecteur d’évoluer : « chacun de nous a sa propre idée de l’Amazonie et de ses habitants ». S’il explique en tant que géographe ce qu’est l’Amazonie, il perd tout l’intérêt littéraire de son texte. « On fait beaucoup de recherches, presque pour ne pas avoir à s’en servir », avance-t-il, dans la lignée des mots de Timothée de Fombelle.
Dans son roman, le personnage principal, Jeanne, n’a jamais voyagé et entreprend une longue quête à la recherche d’un Indien d’Amazonie qu’elle a vu dans un documentaire. En chemin d’autres questionnements et recherches s’ouvriront pour cette Parisienne casanière.
À travers la personnalité de Jeanne, le texte de Jean-Baptiste Maudet questionne énormément la notion de voyage : ce qu’on y cherche, ce qu’on y trouve, le rapport qu’il entretient avec son point de départ, son intérêt réel, etc.
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La quête de cette dernière sera pour l’auteur l’occasion d’insérer des petits détails littéraires ou poétiques, qui selon lui « en disent parfois plus que tout documentaire sur l’Amazonie pourrait le faire ».
« Ai-je vraiment d’autres ambitions dans la vie, que voir des papillons boire des larmes de tortues ? », écrit-il dans son roman.
« La littérature répare le monde », réagit Timothée de Fombelle. Selon lui, beaucoup de nos crises, celle environnementale en tête, sont dues à un déficit de sensibilité. La poésie, en touchant les cœurs, aurait ainsi parfois plus de pouvoir que tous les textes scientifiques et rationnels qui préviennent des dangers à venir.
Crédits image : ActuaLitté, CC BY SA 2.0
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Par Ugo Loumé
Contact : ul@actualitte.com
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