Montmorillon2024 — Cette nouvelle édition du Festival du livre de Montmorillon met à l'honneur la native de la ville, l'écrivaine et première éditrice de France, Régine Deforges, décédée il y a 10 ans. Les festivités ont été lancées le vendredi 7 juin par la diffusion d'un documentaire qui lui est dédié, lors d'une soirée hommage en présence de deux de ses enfants, Franck Spengler et Léa Wiazemsky, de son amie Noëlle Châtelet, et de Julien Cendres, co-réalisateur du film et dont elle fut l'éditrice.
Le 08/06/2024 à 10:35 par Ugo Loumé
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Publié le :
08/06/2024 à 10:35
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« Dès que j’arrive j’ai qu’une envie, c’est de repartir ». Ce sont les premiers mots que Régine Deforges dit dans le film qui lui est dédié, à l’arrière de la voiture qui l’emmène à Montmorillon. Le ton est donné.
C’est pourtant dans sa ville natale que l’autrice a demandé à Julien Cendres et Annie Morillon, les deux coréalisateurs de Régine Deforges, amoureuse et rebelle, de la filmer en premier. C’est aussi ici qu’elle officiera comme conseillère municipale. Ici qu’elle créera le Salon du livre. Ici, enfin, qu’elle initiera l’idée d’une cité de l’écrit et des métiers du livre.
« Ils ne m’aiment pas, même si j’avais le prix Nobel de littérature, je resterais la pornographe à leurs yeux », ajoute l’autrice de La bicyclette bleue. Ce malaise s’explique par les traumatismes hérités de sa jeunesse dans la petite ville de la Vienne.
Une fois l’équipe de tournage arrivée dans le bourg, Régine Deforges présente l’endroit où elle venait toujours pour pleurer dans son adolescence : le bout d’une place qui offre un panorama sur toute la ville. En se baladant dans Montmorillon, à la recherche de ce fameux point de vue, on pourra remarquer que la dite-place porte aujourd’hui son nom.
À l’origine de cette relation complexe à sa ville natale, l’autrice évoque le « viol intellectuel » dont elle a été victime à l’age de 15 ans : alors qu’elle fréquentait l’institution Saint Martial pour sa scolarité, son cahier personnel est volé par un camarade. À l’intérieur, la jeune Régine consignait son histoire d’amour avec une autre fille, ainsi que les autres relations qu’elle observait autour d’elle.
L’affaire fait scandale dans l’établissement et dans le village, même les gendarmes s’en occupent, conseillant aux parents de la future romancière de lui confisquer tous ses cahiers. Résultat : Régine est exclue de Saint-Martial, et contrainte par les adultes de brûler tous ces écrits.
Elle en gardera longtemps les séquelles, souffrant de difficultés à écrire pendant une dizaine d’années. Ce traumatisme aboutira finalement à quelque chose de productif plus de 25 ans plus tard, lorsqu’elle publiera Cahier Volé, son premier succès littéraire.
Le choc au travers duquel elle ne passera jamais, c’est celui de la cruauté des adultes, au point de rester à tout jamais « une vraie gamine, une sale gosse même », comme le résume son fils Franck Spengler. « Il fallait lui laisser la fève, ou encore se taper les crocodiles jaunes dans les paquets de bonbons pour lui laisser les verts et rouges » ajoute sa fille, Léa Wiazemsky.
« C’est un monde hypocrite », dit Régine Deforges dans le documentaire. Pour toujours, elle associera adulte avec mensonge. D’autant plus que son traumatisme personnel n’est pas le seul épisode tragique qu’elle retient de sa jeunesse.
Elle n’avait que 9 ans à la libération, quand elle voit dans les rues de Montmorillon des femmes trainées et traitées de « putains » par toute la population dont sa grand mère, avant d’être tondues en public et de se voir dessiner des croix gammées au rouge à lèvres sur le visage.
Son sens de la justice, pur et enfantin, ne peut pas supporter ce spectacle pervers. Régine ne comprend pas, elle n’en croit pas ses yeux. Elle ne comprend pas pourquoi l’on ne s’en prend qu’aux femmes, alors que certains hommes du village ont collaboré. Elle ne comprend pas non plus pourquoi son père, ancien maquisard, se tient en fin de cortège, en arme, sans intervenir. Tétanisée, elle se sauve. Elle exorcisera cette blessure en évoquant ces événements dans La bicyclette bleue, son plus grand succès, publié en dix volumes.
Déçue par les modèles adultes de son village, elle doit en partie son émancipation à la littérature, érotique notamment. Ces trois premiers souvenirs de ce genre d’écrits, qui remontent à ses 12 ans, sont Candide, de Voltaire, « parce qu’il y avait le mot “cul” qui revenait tout le temps », confie-t-elle, Le blé en herbe de Colette, et J’irai cracher sur vos tombes de Boris Vian — en Vernon Sullivan.
Elle se met alors à lire pendant les heures de classe, en cachant les couvertures de ses bouquins peu recommandables avec le papier de ses cahiers d’écolière.
Transgression et érotisme sont les deux mots qui rythmeront ses débuts dans la littérature. En tant qu’éditrice, d’abord : son premier texte publié est Le Con d’Irène d’Aragon, saisie par les forces de l’ordre 48 heures après sa sortie. Puis en tant qu’autrice, en écrivant des histoires et poèmes érotiques par dizaines. Ses activités lui vaudront, entre autres insultes, d'être privée trois années durant de ses droits civiques.
Dans le documentaire, Régine Deforges s’agace de voir réduit l'art qu'elle porte à de la pornographie : « Où est l’obscénité ? moi je publiais des livres qui donnent envie aux gens de faire l’amour. Tandis que France Soir faisait leur une sur des gosses qui étaient brûlés au napalm, pour moi la pornographie elle est là. »
Rebelle, l’autrice de Montmorillon l’était intensément, « parce qu’elle savait ce qu’était le désir » explique son ancienne amie, Noëlle Châtelet, « elle mettait en avant le corps et le langage du corps, vivant et intense », continue-t-elle. C’est cette même intensité qui explique sa réaction épidermique face aux injustices de son enfance.
Mais cette histoire de désamour avec sa ville natale connaît ce week-end une fin heureuse, similaire, pourrait-on oser, au Je t’aime moi non plus de Serge Gainsbourg et Jane Birkin — qu’on entend dans la dernière partie du documentaire. La ville de Montmorillon et Régine Deforge sont en effet unis charnellement, une plaque commémorative gravée sur la résidence natale de l’autrice. Son inauguration a eu lieu ce samedi 8 juin au matin, en présence de Monsieur le Maire.
Les trois enfants de Régine, Franck Spengler, Camille Deforges et Léa Wiazemsky, accueillent avec émotion cet honneur fait à leur mère, on le ressent aux trémolos de leurs voix et aux sourires qui sculptent leurs visages. « Je m'étais juré que je ne reviendrai pas, confie Léa, mais 17 ans après, on a eu raison de venir. »
Cette édition du Festival du livre est rythmée par l’hommage à l’autrice qui en est la maman. Au programme du week-end, en complément de la soirée d'ouverture du vendredi et du dévoilement de la plaque commémorative du samedi : une lecture des deux premiers romans de Régine Deforges Blanche et Lucie et Le cahier volé, une table ronde qui revient sur son parcours d'éditrice, une projection de La bicyclette bleue, adaptaté de son oeuvre éponyme, et une rencontre avec la lauréate du prix Régine Deforges, Kiyémis, récompensée pour Et, refleurir, publié aux Éditions Philippe Rey.
Crédits image : Régine Deforges. Festival Montmorillon
DOSSIER - En 2024, Montmorillon met Cécile Coulon et Timothée de Fombelle à l'honneur
Par Ugo Loumé
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4 Commentaires
Alexandre
12/06/2024 à 09:54
La phrase suivante est incomplète : « En se baladant dans Montmorillon, à la recherche de ce fameux point de vue, on pourra remarquer que la dite-place porte aujourd’hui. »
Alexandre
12/06/2024 à 09:57
Coquille dans cette phrase : « Le choc au travers duquel elle ne passera jamais, c’est celui de la cruauté des adulte » (le « s » à « adulte »).
Je m'arrête là pour le relevé des coquilles, mais il serait bon de relire et de faire relire les articles publiés (qui présentent bon nombre d'erreurs).
Ugo Loumé (ActuaLitté)
12/06/2024 à 11:47
Bonjour,
Merci pour vos commentaires. Les erreurs ont été corrigées.
Bien à vous,
ActuaLitté.
Henri XY
13/06/2024 à 17:06
Quand je lui ai évoqué la légendaire "houri" marocaine Aïcha Kendicha, une des voix chaleureuses * a alors fait ce rapprochement : "cela a dû inspirer Régine pour son Aïcha la rebelle". Malgré mon XY je n'ai jamais été un bâfreur de "gâteries textuelles" ... autant dire que mon admiration pour la "maîtresse de Forges" provient de l'intensité et l'opiniâtreté à secourir la liberté d'expression quand elle ne violente personne. La dédicace sympa à "contes pervers" ne me fournit pas d'Aïcha dans les "matérielles" (comme eut dit monsieur DSK voire DSQ °^°). Est-ce dans le "Lola et quelques autres" ? Quelqu'un(e) passant par là pourrait-elle m'aiguiller ? Attention : Aïcha est l'épouse préférée du prophète dont la brouille avec le gendre Ali suscita la rivalité ab ovo entre chi'isme et sunnisme ; d'autre part une autre Aïcha érotique est celle chantée par Khaled et Goldman depuis 1997.
* voix chaleureuse et contrairement à l'enseigne pas une ... voix "blanche" !
°^° Je n'ai pas eu le temps dimanche de donner la chute de ma blague sur les suites de l'uchronie "DSK élu en 2007", voici : la Terre entière aurait enfin connu l'accomplissement du Gai Paris avec comme conseiller spécial à l'Elysée monsieur Dodo-la-Saumure ! ... des tours-operators asiatiques proposant des cures-processions autour de l'Elysée du Président-Priape pour jouvences de prostates capricieuses ... je rêve que Régine en aurait induit une saga à propos de l'Erectile-Electoral rue du Faubourg St-Honoré depuis "la connaissance sortie par la porte de derrière" du regretté Félix Faure congestionné en mondaine compagnie ... Après tout depuis l'érotomane ancien de l'X Giscard, ce palais présidentiel fait dépliant de pratiques diverses telles la polygamie aux frais de Marianne, les frasques innombrables de qui toastait "à nos femmes, à nos chevaux et à ceux qui les montent", le premier divorcé remarié à une serial-body du tout-rock'n'roll, enfin le premier sans-femme à scooter son baise-en-ville sous-le bras, jusqu'à l'incarnation hélas réaliste de ce roi-enfant dans l'Ecclésiaste 10:16 "Malheur à toi, terre dont le roi est un enfant ..."... malheur à France.
Montmorillon a de la chance.
A Châteauroux de Depardieu on a honte et à Melle/Ste-Soline une mascotte excitée de la couenne.