Troisième langue avec le nombre d'emprunts après l’anglais et l’italien, la langue arabe contribue depuis le Moyen Âge à enrichir la langue française. Le savoir, le commerce et la pop culture sont tous constellés par de nombreux mots d’origine arabe. Par Amel Aït-Hamouda.
Le 18/12/2023 à 15:05 par Auteur invité
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18/12/2023 à 15:05
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Le 18 décembre de chaque année, l' Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (l’UNESCO) célèbre la Journée mondiale de la langue arabe afin de commémorer la reconnaissance, en 1973, de l'arabe comme langue officielle des Nations unies et de rappeler « l'héritage de la langue arabe et son immense contribution à l'humanité ».
Occasion pour Actualitté de revenir sur l’héritage linguistique de l’arabe au sein de la langue française.
La langue arabe, en tant que troisième langue la plus empruntée après l'anglais et l'italien, dépasse même le gaulois. Elle a doté le français d'un vocabulaire de plus de 500 mots, dont environ une centaine sont utilisés quotidiennement.
Ces mots d'origine arabe sont très présents à la fois dans le domaine scientifique et dans le langage courant, témoignant ainsi des relations historiques étroites entre l'Orient et l'Occident.
Depuis le Moyen Âge, les emprunts à l'arabe ont intégré la langue française par le biais du latin médiéval, de l'italien et de l'espagnol, tels que « lilas », « timbale », « artichaut », « massepain », « massicot », « nacre » et « tarif ». Certains mots sont également intégrés directement, tels que « amalgame », « marcassite », « sinus », « sofa », « élixir », « tasse » et « zénith ».
Dans l'ouvrage Nos ancêtres les Arabes. Ce que notre langue leur doit (Lattès, 2017), Jean Pruvost, professeur de lexicologie de la langue française, entreprend une démarche de reconstitution historique visant à retracer l'origine et le parcours des emprunts linguistiques issus de la langue arabe. Il démontre que depuis l'époque des Croisades (1095-1291), la connaissance scientifique, les échanges commerciaux et, plus récemment, l'influence de la culture populaire, constituent les trois principaux canaux d'intégration des champs lexicaux arabes au sein du lexique français.
Durant son apogée, qui s'étend du VIIIe au XIIe siècle, la civilisation arabo-musulmane s'étend sur un territoire allant de l'Asie à l'Afrique et tisse des liens unificateurs grâce à la langue arabe. Projetant la valeur de l'héritage des anciennes civilisations méditerranéennes, sassanides et indiennes, la traduction vers l'arabe se transforme en une abondante activité intellectuelle.
Pendant l'Âge d'or islamique, la Maison de la sagesse de Bagdad insufflera une nouvelle vie au savoir des anciens. L'arabe, langue véhiculant les sciences et les arts, joue ainsi un rôle de pont entre les civilisations antiques et l'Europe. En plus de son rôle dans la traduction, les érudits d'Al Andalous, qu'ils soient Arabes ou non, rédigent l'intégralité de leurs œuvres en arabe, contribuant ainsi à enrichir cette langue par l'introduction de nouveaux termes techniques qui influenceront ultérieurement le français.
À titre d'exemple, le mathématicien persan al-Khwarismi (vers 780 - vers 850), dont le nom a été latinisé en Algoritmi, a exercé une influence considérable sur le cours de l'histoire des mathématiques. Surnommé le père de l'algèbre, ce dernier ne s'est pas seulement contenté de diffuser les chiffres arabes en Europe, mais a également introduit le terme d'« algèbre », en plus de classer les « algorithmes ».
Quant au philosophe et médecin persan Ibn Sina (980-1037), latinisé en Avicenne, il a contribué à l'enrichissement de la langue française avec l'introduction du terme « saphène », suite à la traduction occidentale de son encyclopédie médicale intitulée Qanûn (Canon de la médecine).
Langue de toutes les sciences, l'arabe a notamment apporté des contributions significatives dans le domaine des mathématiques, en introduisant des notions telles que le concept de « zéro » et le mot « chiffre ». En tant que fins connaisseurs de la discipline de la « chimie » ou al-kimia, les savants arabes ont également inventé l'« alambic », un dispositif utilisé pour la distillation de l'« alcool » ou al-kuhul. Par ailleurs, des minéraux tels que le « borax » (dérivé du terme arabe bawraq, lui-même issu du persan bouraq) ainsi que le « natron » (dont le nom provient de la vallée égyptienne du Ouadi Natroun) ont également fait leur entrée dans la langue française.
En outre, l’astronomie arabe offre un cortège de noms d’étoiles comme : Aldébaran, Deneb, Saïph, Rigel, Archid mais aussi Bételgeuse.
Au-delà du lexique savant, il convient de noter que des mots d'origine arabe ont arpenté les territoires bordant la Méditerranée lors des échanges commerciaux. Passerelles entre l'Orient et l'Occident, les commerçants ont inséré subrepticement des mots arabes parmi les produits afin qu'ils parviennent jusqu'aux rives septentrionales. « Arsenal », « douane », « magasin » et « tarif » sont tous des concepts qui ont été introduits en France par la voie maritime.
Quant à « amiral », où émir (signifiant prince) et al-ali (signifiant le grand) se combinent pour donner naissance à l'expression amir al-bahr (signifiant prince de la mer). À l'époque, ce terme désignait le « commandant de la flotte », mais a depuis évolué pour correspondre au grade le plus élevé dans la marine d'aujourd'hui.
En ce qui concerne les « bougies », il est à noter qu'au XIVe siècle, les voyageurs français importèrent ces chandelles qui étaient fabriquées dans la ville de Béjaïa en Algérie.
Après la prise de Grenade en 1492 et l'effondrement de l'Empire mamelouk en 1517, l'Égypte, la Syrie et la Palestine passent sous le contrôle de l'Empire ottoman qui a son tour exerce une influence sur la langue arabe. Des termes tels que « sofa », « harem », « hammam », « sultan », « divan » ou des métiers tels que « drogman », l'interprète de la Sublime Porte, et son collègue le « truchement » intègrent la langue française.
Ensuite, sous le règne de Louis XIV, l'exotisme oriental suscite une curiosité croissante. Tout comme les objets d'art, les aliments importés deviennent un signe de luxe. Les ambassadeurs ramènent dans leurs bagages des épices comme le « cumin », « curcuma », « safran », « carvi » accompagnés de confiseries, « halva » ainsi que du « sucre », d’« ambre », mais aussi un breuvage tonique nommé « café » qui se répand à partir du XVIIe siècle grâce au célèbre Café Procope, où l'on sert également du « sorbet » au « pistache ».
L’univers du textile contribue aussi à élargir le vocabulaire français. « Satin », « jupe », « coton », « damas », « mohair », « gilet » font leur apparition sur le sol français ainsi que sa langue. À bord des bateaux, la botanique fut présente au rendez-vous. On y apporte : « jasmin », « safran », « henné », « zérumbet » (une plante voisine du gingembre ), « zinzolin » ( semence du sésame), « nénuphar » et « séné ».
Au menu des fruits et légumes, on découvre : « abricot », « orange », « pruneau », « aubergine », « artichaut », « banane » et l’« épinard ». Les animaux de ce voyage linguistique sont alors la : « gazelle », « girafe », « gerboise », « fennec », « gazelle » ou encore « étalon ».
Lors de la campagne d'Égypte de Napoléon (1798-1801) et des conquêtes coloniales françaises en Afrique du Nord, l’administration française a intégré de nouveaux mots arabes dans son lexique courant. Depuis lors, naîtra : « baraka », « barda », « bled », « fissa », « toubib », « maboul » et « moukère ».
En effet, cette période a connu un impact linguistique dans la terminologie militaire avec des mots tels que : « baroud », « fellagha », « razzia », « caïd », « moudjahid », et des expressions telles que : « baroud d'honneur », ultime combat mené pour sauvegarder l'honneur verront le jour. De plus, la terminologie de la culture maghrébine s'est également enrichie, avec des mots comme : « barda », « djellaba », « souk », « babouche », « casbah », « bédouin » mais aussi « nouba ».
À partir des années 1960, la gastronomie maghrébine et levantine s'est immiscée dans la cuisine française, donnant lieu à la consommation de mets tels que le méchoui, les merguez, le taboulé, la harissa, le kebab, le tajine et le couscous.
La culture populaire continue de nourrir le vocabulaire français en y intégrant son argot. Principalement originaires des dialectes maghrébins, les jeunes générations préfèrent désormais utiliser des termes tels que : kiffer, bézef, chouïa, salamalec, belek, flouz, macache, seum ou encore walou.
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Les échanges culturels entre les civilisations de l'Orient arabe et de l'Occident français favorisent une mutuelle influence, encourageant ainsi un enrichissement linguistique réciproque. C'est ainsi que la langue française se trouve constellée de mots d'origine arabe dès la première « tasse » de « café ».
Crédits photo : Land Rover Mena (CC BY 2.0)
Par Auteur invité
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1 Commentaire
Jean Le Boël
19/12/2023 à 08:17
Article sympathique, mais sans doute un peu gauchi par la volonté de persuader.
Loin de moi l'intention de nier les échanges entre les langues depuis l'Antiquité et le Moyen Age, mais les situations sont plus complexes qu'il n'y paraît dans l'article.
Prenons le cas de l'abricot.
Voici ce que j'en écrivais dans Le Sourire innombrable des mots, voici une vingtaine d'années :
« Précoces abricots
L'adjectif précoce vient du latin « praecox » ; il aurait pu, aussi bien, tirer son origine de « praecoquus » de sens et d'étymologie identiques. Sous la forme « praecoca », dans le Diocletiani edictum, cet adjectif, substantivé, désigne des fruits rapidement parvenus à maturité : les abricots. Le destin de ce vocable est à l'image des échanges médiévaux en Méditerranée.
Les Grecs qui entendent « vericocco » le transmettent aux Arabes qui, en Espagne, le lèguent, comme « al barqûq » aux Catalans ; ceux-ci en font « abercoc » que les Castillans adaptent en « albaricoque », avant de le rendre aux Italiens qui, écrivant « albicocca », évoquent une blancheur « fausse amie », laquelle n'a plus rien à voir avec la précocité d'origine et la leur rend méconnaissable !
Les Français attendront le seizième siècle pour avoir des « abricots » dans leurs dictionnaires et les autres langues plus nordiques de l'Europe se rallieront à une forme que l'écriture tend à figer et à rendre canonique, mais en respectant les variations dues au tempérament de chacune : « apricot » chez les Anglais, « Aprikose » chez les Allemands, « abrikoos » chez les Néerlandais.
Ce qui frappe, finalement, dans ces péripéties lexicales, c'est le souci universel, chez ces peuples jeunes et vigoureux, d'adapter le mot à leurs codes orthographiques et phonétiques. Ils sentaient bien que, pour s'enrichir en empruntant, il faut adapter linguistiquement, faute de quoi, on s'appauvrit ! »