D’ici quelques jours, la Commission européenne rendra son avis quant au rachat d’Editis par le groupe IMI, notifié fin septembre. Les autorités européennes disposent d’un délai de cinq semaines maximum pour se prononcer. Ce passage obligatoire enclenchera la dernière phase de l’OPA par laquelle Vivendi acquerra le groupe Lagardère — donc, Hachette Livre. Mais entre temps…
Le 17/10/2023 à 16:35 par Nicolas Gary
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17/10/2023 à 16:35
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Depuis le 9 juin, les autorités européennes ont validé l’OPA de Vivendi, conditionnée à deux remèdes : la vente d’Editis et celle de Gala. Ce feu vert entraînait logiquement une séparation drastique entre la société mère et sa filiale. Pour ce faire, un mandataire fut nommé le 28 juin — le cabinet Evelyn Partners LLP, basé à Londres — pour que cette ligne rouge soit respectée. En parallèle, Michèle Benbunan, future ex-DG prenait le poste de gestionnaire, pour que l’entreprise continue de mener sa barque en attendant le nouvel actionnaire.
On l’a vu récemment, l’ambiance est tout, sauf au beau fixe dans le groupe éditorial : un syndicat d’Interforum a pris le futur roman de Marc Levy en otage et menacé d’une grève qui priverait les points de vente de l'ouvrage, pour obtenir l’ouverture de négociations annuelles obligatoires. La direction, sous la pression du futur ex-propriétaire, Vivendi et celle de IMI, futur actionnaire tout court, a finalement ouvert les NAO, sous réserves : si les revendications dépassent 2 % de la masse salariale, elles seront impérativement soumises au repreneur, CMI/IMI.
À ces grands chantiers, s’ajoutent les tracasseries du quotidien. Les maisons du groupe ont en effet appris qu’au 1er décembre, l’agence missionnée pour les réservations de billets de train et avions, entre autres, serait remplacée. Calamité chez les éditeurs jeunesse : le Salon du livre de Montreuil débutera le 29 novembre pour s’achever le 4 décembre.
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Impossible de mandater l’agence pour le déplacement des auteurs concernés : en cas de changement pour les retours, l’ancien prestataire n’assurera plus son service…
Un chaos logistique qui pèse un peu plus sur l’ambiance générale : « On se passerait volontiers de pareille désorganisation », nous confiait-on. Avec un constat qui prend de l’ampleur : comment comprendre la gestion actuelle de l’entreprise, sinon par une politique de terre brûlée, émaillée d’infox subtiles ?
Or, la muraille de Chine entre Vivendi et Editis a manifestement quelques fissures : ActuaLitté a appris que depuis plus de quinze de jours, intervenait un étonnant prestataire, sur de multiples réunions. De fait, voilà près d’un mois et demi que le directeur financier d’Editis, Laurent Mairot, est en arrêt maladie. En son absence, la société continue de tourner, mais plusieurs projets de développements sont en cours d’examen. Et pour les mener à bien, et remplacer le DF absent, est arrivé un certain Karim Ayari.
Ou revenu, plutôt.
Il avait pris ses fonctions en février 2023, en tant que Directeur délégué aux opérations financières, directement transféré de chez Vivendi — et annoncé en même temps que Guillaume Dervieux, rebaptisé en interne « l’homme que l’on n’aura jamais vu ». Ayari intervenait alors pour mener à bien le projet initial de Vivendi de distribution-cotation avec changement d’actionnaire de référence.
Cette solution n’aura résolument pas plu à Bruxelles, qui a contraint Vivendi à réviser totalement sa copie, pour aboutir aux remèdes évoqués plus haut. Suite à l’échec de cette approche, Karim Ayari regagnait ses pénates vivendiennes… jusqu’à ce début de mois d’octobre.
Selon les informations de ActuaLitté, il prend en effet part à de multiples réunions chez Editis, avec les directeurs de projets informatiques — un volet d’envergure. En effet, le schéma directeur informatique a été doté d’une enveloppe de 22 millions € (suite à une hausse de 1 million € en juin dernier).
Trois chantiers sont sur la table : Terra, qui concerne la gestion des auteurs et des droits d’auteurs, et serait à cette heure le plus avancé. Il aboutirait, notamment, à ce qu’un système de gestion automatisé des contrats soit actuellement déployé en version soft, avec un déploiement fin 2024.
Autre outil : Vulcain, qui concerne la gestion commerciale. Si sa conception générale est achevée depuis début 2023, reste à fignoler les détails. Enfin, Aria, qui porte sur le volet finance et gestion des achats, qui s’avère le plus important et le plus complexe, de par son périmètre.
Dans les trois cas, on le comprend, nous sommes au cœur des processus de fonctionnement d’Editis, lesquels sont donc passés au crible par un salarié de Vivendi, qui occupe précisément le poste de Directeur Business Developpement — Stratégie. Editis, cherchant à instaurer un modèle homogénéisé sur l’ensemble de ses maisons, fait alors appel à un acteur de l’ancienne maison-mère.
Nous avons demandé des précisions sur le rôle et les raisons de la présence de l’intéressé à Editis, et attendons un retour. Ce 17 octobre, il était toujours actif sur l’intranet de l’entreprise. « Karim Ayari accompagne Editis pour le projet de sa cession et assure l'intérim de la direction financière jusqu'au closing de l’opération », nous précise la direction de la communication.
La démarcation infranchissable aurait-elle du plomb dans l’aile ? « Comme toujours, nous n’avons aucun commentaire à faire sur les décisions commerciales des entreprises », nous répond la Commission européenne, qui semble ne pas déceler la moindre problématique. De son côté, le mandataire, chargé de garantir l’étanchéité absolue entre Editis et Vivendi, ne voit pas non plus le problème.
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Si tout le monde est d’accord, resterait alors à interroger les premiers concernés, qui ne voient assurément pas d’un bon œil la présence de Karim Ayari, de retour dans les locaux. Et pour cause, les projets de développements ont quelque chose d’assez secret… Rappelons, à ce titre, que sous peine de verser dans le « gun jumping », pratique condamnée par la justice européenne, Vivendi a également interdiction de mettre son nez dans les affaires de Lagardère.
En attendant que cesse la gabegie ambiante, certains se tournent, les yeux brillants d’espoir, vers le calendrier. Car le tic-tac de l’horloge rapproche en effet de la décision finale que rendra Bruxelles sur le dossier IMI-CMI/Editis. De fait, la procédure de notification a été effectuée le 25 septembre et rendue publique le 27 par la CE. « Le délai provisoire pour la Commission pour prendre une décision est le 30 octobre 2023 », nous précise Bruxelles. Soit 25 jours ouvrables. « Nous ne sommes pas en mesure de commenter sur le calendrier des autres procédures en cours. »
Sauf qu’Editis n’est pas l’unique remède dans cette grande marmite : la cession de Gala au groupe Figaro conditionne également l’aboutissement de l’OPA de Vivendi. Ainsi, Prisma Media cédera Gala et dans un article Le Point citait Mme Claire Léost, présidente de Prisma Média, début juillet : « Nous allons notifier l’opération à la Commission européenne et, compte tenu des congés au mois d’août, nous n’attendons pas son avis avant la fin septembre ou début octobre. »
Mi-octobre : toujours pas de nouvelles. « Le calendrier a un peu débordé », nous indique la structure. Fin septembre, le processus de consultation du CSE et CSEC dévoilant les modalités de la vente a abouti et les comités de Gala ont rendu leur avis. « Nous avons transmis toutes les informations à la Commission européenne, la balle est désormais dans leur camp », poursuit Prisma Media.
Qui se trouve donc dans l’attente d’une réaction de Bruxelles, que l'on estime « en jours, ou en semaines », une fourchette, ou un rateau, c'est selon. Nous en sommes donc précisément à la même étape que celle où se trouvait Editis, fin mai. Bien avant que la CE ne décide, le 10 juin, de valider le projet global de Vivendi. Et depuis toute cette période, Gala vit au même rythme qu’Editis, avec d’un côté, un mandataire pour qui assure l’herméticité d’avec Prisma Media et de l’autre, un gestionnaire pour que le journal continue de vivre.
Quid alors de la suite des procédures ? « Nous ne sommes pas en mesure de commenter sur des opérations qui ne nous ont pas été notifiées », nous avertit la Commission interrogée sur la suite des événements. Autrement dit, tant que le cas Prisma Media n’est pas réglé, personne ne bougera une oreille. Et de poursuivre : « En général, si une opération constitue une concentration et a une dimension européenne, il appartient toujours aux entreprises de la notifier à la Commission. »
La fusion qu’impliquera l’entrée de Gala dans le Groupe Figaro relève-t-elle des règles et seuils qui impliqueraient une concentration à dimension européenne ? Le détail qui est présenté ici ne tranche pas radicalement sur le sujet, un doute subsiste. Cependant, « une dimension européenne n’est pas atteinte si chacune des entreprises réalise plus des deux tiers de son chiffre d’affaires dans l’UE dans un seul et même État membre ».
Avec près de 500 millions € pour le Groupe Figaro et près de 40 millions € pour Gala, les critères de la CE ne seraient pas atteints : au pire auront-ils affaire à l’Autorité de la concurrence en France. Nous ne sommes pas parvenus à joindre le Groupe Figaro pour qu’il nous fournisse une réponse définitive.
De quoi prolonger une attente désormais douloureuse pour les salariés des différentes structures. La résolution globale, envisagée pour la Toussaint, a pris du plomb dans l'aile...
Crédits photo : arash payam / Unsplash
5 Commentaires
La pagouille
17/10/2023 à 21:09
Ha ça pour une pagaille ça a l’air d’être une grosse pagaille chez Editis. J’espère que tout va aller très vite pour les salariés d Editis et que leur repreneur va arriver très vite pour les délivrer de tout ça. Quand on entend le bordel qu’il y a chez Editis même les concurrents ont pitié pour les salariés. Elle n’est pas à l’âge de la retraite la dirigeante de ce groupe ?
Roudoudou
18/10/2023 à 08:59
IMI est-il au courant que le directeur de Vivendi soit dans les locaux et aux réunions Editis ? Si oui cela ne lui pose-t-il pas un problème que son futur concurrent soit au parfum de certaines choses qui devraient rester secretes chez Editis ? Et dernière question cela ne s'appelle pas du gun Junping ? Mais si je comprends bien ça ne dérange personne ? Qui a choisit de placer cette personne chez Editis ? Vous dites la gestionnaire ? Mais pourquoi l'a-t-elle choisi lui ? Monsieur Mairot est malade ? En burn out? Ha mince qui est son supperieur pour lui tapper sur les doigts ? Bon rétablissement à lui. Cette histoire est très très bizarre vous ne trouvez pas ? On a l'impression d'être dans film qui ferait mal à la tête des les 5 premières minutes
Au théâtre ce soir
18/10/2023 à 09:58
Franchement quand on regarde tout ça de loin on se demande si tout cela n’est pas une mise en scène et que Bolloré/Vivendi ne va pas garder le contrôle d’Editis ???
Vincent Gimeno
18/10/2023 à 11:16
quand la finance est à la manœuvre, le livre n'a rien à y gagner, voire tout à y perdre...
Doutes
18/10/2023 à 11:53
Le nouveau commissaire européen à la concurrence chercherait-il sciemment à saborder le groupe Editis avec la complicité de Vivendi ? Je penche plutôt pour l'incompétence de ses services.