DEAD LINE est un jeu de cartes. Le but ? Incarner des dessinateurs et dessinatrices, faire en sorte de les voir survivre à la publication de leurs BD et gagner un maximum de crédibilité. Imaginé par Helkarava, il dépeint un univers sans pitié, celui de l'édition.
Le 15/03/2023 à 11:06 par Fasseur Barbara
3 Réactions | 392 Partages
Publié le :
15/03/2023 à 11:06
3
Commentaires
392
Partages
ActuaLitté : Comment est née l’idée de DEAD LINE ?
Helkarava : C'était vers 2019, où le statut précaire des auteurs et autrices de BD était dans l'actu, avec notamment la création de l'enquête de Bruno Racine. J'étais au festival de BD d'Angoulême cette année-là, et il y avait vraiment une ambiance contestataire. J'avais créé pour l'occasion une carte de visite à mon effigie qui reprenait les codes du jeu de cartes à collectionner Magic, ça m'a donné envie de faire un jeu complet qui se déroule dans l'univers du monde de l'édition de la BD, avec pour thème de fond, notre précarité. J'ai travaillé dessus avec fougue comme souvent lorsqu'on a une nouvelle idée, puis je l'ai mis de côté comme souvent quand d'autres idées prennent le dessus. Notamment pour faire ma BD Pain Bénit éditée chez Même Pas Mal. C'est bien plus tard, pour l'inktober 2021, que j'ai dessiné les cartes.
DEAD LINE est un projet atypique, pour l'occasion deux structures d'édition sont en jeu : Exemplaire en coédition avec Même Pas Mal. Pourquoi avoir choisi deux maisons d’édition pour éditer le jeu ?
Helkarava : À la base, Même Pas Mal était intéressée par le jeu, on avait déjà l'idée de faire un financement participatif car c'est quelque chose qui se fait souvent pour les jeux de société indépendants. Et je pense que l'aspect atypique du projet était un risque financier pour la maison d'édition, c'était quelque chose de nouveau pour tout le monde.
Puis au festival de Colomiers, j'avais demandé à Lisa Mandel de faire sa carte de dessinatrice pour mon jeu (je ne savais pas alors que j'allais les proposer en goodies pour le financement, je trouvais ça juste marrant), elle avait bien aimé l'idée du jeu. De fil en aiguille, Même Pas Mal et Exemplaire m'ont proposé qu'on fasse ça ensemble.
Au début, je ne savais pas trop quoi en penser, puis j'ai réfléchi et je me suis dit que la création même d'Exemplaire résulte du constat de notre précarité, donc ça m'a semblé être une évidence de faire ça chez eux.
Pourquoi créer un jeu d’affrontement, est-ce à l’image de l’industrie de l'édition de la Bande Dessinée ?
Helkarava : Dans DEAD LINE, les dessinateurs et dessinatrices ne s'affrontent pas entre eux et elles, mais subissent plutôt les événements du destin, qui sont contrôlés par les joueurs et joueuses. C'est mon ressenti sur l'industrie de la BD, on passe de longs mois sur notre table à dessin mais au final, on a très peu de contrôle sur notre BD, sur sa vie après sa sortie ou même sur nos contrats qui sont la base de notre survie dans ce métier.
C'est pour ça que je représente les dessinateurs et dessinatrices nus, on est fragiles, car au moindre pépin financier, c'est assez compliqué de s'en remettre. Bien entendu, il y a d'autres corps de métier qui ont les mêmes difficultés, mais c'est important de le dire lorsqu'on ne fait que répéter que le monde de la BD se porte très bien.
Comment décririez-vous les relations entre dessinateurs et éditeurs ?
Helkarava : Comme "bizarre". Clairement les dessinateurs et dessinatrices n'ont pas de pouvoir, sauf les personnes qui vendent beaucoup de BD. Donc il y a cette relation étrange où tu as l'impression qu'on te rend service à t'éditer et qu'à la fin, il faut dire merci.
Après, les relations diffèrent selon les maisons d'édition, mais dans tous les cas, ce n'est pas toi le patron. Après ce n'est que mon ressenti personnel, je suis conscient que dans l'industrie de la BD il y a plein d'autres cas de figures et d'autres problématiques, je pense aux dessinatrices qui sont en moyenne moins bien payées par exemple.
Vous parlez d’un monde sans pitié pour les dessinateurs et dessinatrices, étendriez vous ce constat aux éditeurs indépendants ?
Helkarava : Les maisons d'édition indépendantes sont également dans cette précarité, des éditeurs et éditrices ont parfois un boulot à côté et, comme tout commerce, elles peuvent mettre la clef sous la porte. Cela crée encore une relation bizarre, car « on est dans la même galère », du coup on ose pas trop réévaluer nos droits d'auteurs, demander des comptes sur nos BD, savoir si c'est justifié qu'on soit si peu payé (de 500e à 2000e la BD). De mon expérience, ça peut être une belle aventure humaine mais pas toujours simple économiquement parlant.
L’univers BD est désormais un pilier de l’Édition, représentant 1 livre acheté sur 4 en 2022, pourtant vous dépeignez des conditions de travail plus que difficiles et incertaines. Comment expliquez-vous cela ?
Helkarava : Xavier Guilbert l'explique plutôt bien sur le site Du9.org, pour faire court, les gros tirages se vendent très bien mais pour les petites miettes qui sont la majorité de l'édition, ce n'est pas fameux. Encore un ruissellement raté !
Précarité financière et professionnelle, le jeu est-il là pour désinvisibiliser ces conditions de travail des dessinateurs et dessinatrices de BD ?
Helkarava : Le jeu est surtout là pour s'amuser. C'est vrai qu'en fond je parle d'un thème sérieux, mais traité avec de l'humour grinçant. Donc si ça permet aussi de prendre un peu conscience de la difficulté de ce travail, tant mieux. Après, le public de la BD est souvent d'un grand soutien, on le voit sur les festivals ou en dédicace, et peut-être que c'est la force nécessaire pour changer les choses : sans auteur et autrice pas de BD, et sans public non plus. C'est l'une des raisons des succès des financements participatifs.
Vous présentez votre jeu comme étant votre Rapport Racine, quelles sont vos recommandations ?
Helkarava : Alors, en tant que prochain ministre de la culture :
- Je crée direct un statut comme les intermittents du spectacle. On pourrait d'ailleurs n'avoir qu'un statut global : les intermittents et intermittentes de la culture. Ça permettra de financer la création des livres et nous délivrera de cet enfer d'avance sur droit.
- 10% minimum pour chaque contrat, évolutif en 12 et 14% selon le succès.
- C'est l'auteur ou l'autrice qui décide de garder ses droits de traduction et en aucun cas sa maison d'édition qui touche un % de droit d'auteurs sur les ventes de ses livres à l'étranger (qui est pour moi une escroquerie absolue).
- La rémunération pour les BD est payée comptant, ce n'est pas une avance à rembourser avec les ventes. Comme ce qu'ont la plupart des acteurs et actrices du milieu du livre : un salaire.
- Réfléchir à la part des distributeurs qui ont un poids important dans cette industrie, que le public connaît peu. Ils gagnent de l'argent en plaçant les livres dans les librairies, et lorsqu'ils sont retournés par les librairies.
Où est assurée la fabrication du jeu ?
Helkarava : En Pologne, par Fabryka Kart (qui imprime les jeux Helvetiq, The Crew, Skull King etc.). Au début, je pensais le faire en France, mais à cause du petit tirage de DEAD LINE les imprimeries de référence dans le monde du jeu ne semblaient pas intéressées ou proposaient des devis trop élevés.
Comment sont calculés les droits d’auteur sur une telle production ?
Helkarava : J'ai 2 contrats, le premier est avec Exemplaire et concerne le financement participatif, là je vais avoir autour de 35 % de droits d'auteur, mais seulement si les contributions payent les frais de fabrication des jeux et goodies. Si ce n'est pas le cas, je prendrai sur ces 35 %. Mon 2e contrat est avec Même Pas Mal, car le jeu sera ensuite diffusé dans les librairies et boutiques de jeu, là je toucherai 12 %.
Par Fasseur Barbara
Contact : bf@actualitte.com
Paru le 30/07/2021
272 pages
Même Pas Mal éditions
25,00 €
3 Commentaires
Rieg Davan
17/03/2023 à 04:12
ça peut m'intéresser (mais je sais pas avec qui jouer)
Helkarava
18/03/2023 à 11:27
Bonjour ! Cela dépend où vous habitez, dans les villes il y a beaucoup de bar à jeux ou des médiathèques où on se réunit pour jouer sans forcément se connaître. Sinon recherchez sur internet, il y a beaucoup de clubs ludiques où chacun ramène son jeu. Bonne découverte ! Helkarava.
Rieg Davan
19/03/2023 à 04:18
Merci