En mars dernier, les ministres de la Culture et de la Justice, Roselyne Bachelot et Éric Dupond-Moretti, initiaient le Prix Goncourt des détenus. À l’initiative du Centre national du livre (CNL) et de sa présidente, Régine Hatchondo, et des services pénitentiaires de l’État, cette nouvelle récompense porte une ambition : la réinsertion par la lecture.
Le 23/12/2022 à 12:02 par Hocine Bouhadjera
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23/12/2022 à 12:02
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« Le Goncourt s’élargit constamment en parrainant les Goncourt de l’étranger. On est à 34 pays, jusqu’en Chine. Un 35e s’ajoute aujourd’hui : le monde carcéral. » Ces mots sont de Didier Decoin, président de l’Académie Goncourt, à l’occasion de la remise du premier Goncourt des détenus. Une cérémonie en présence des délégués nationaux représentants les 500 détenus qui ont contribué à cette première édition, répartis dans 31 établissements pénitentiaires.
Parmi les 15 titres proposés, dans lesquels chaque incarcéré participant a lu un certain nombre de textes en fonction de ses possibilités, c’est le très âpre, Sa préférée, de la Suissesse Sarah Jollien-Fardel qui a été choisi. Émue au moment de recevoir officiellement sa distinction, la primo-romancière confie « des moments hors du temps, sincères » avec certains condamnés, à l’occasion des instants partagés avec ces derniers. 13 auteurs sur 15 sont en effet allés s’entretenir avec les détenus, que ce soit sur place, ou par visio.
Elle ajoute : « Je n’oublierai jamais ce qui s’est passé entre vous et moi. Je sais la difficulté pour les détenus et leurs proches. Écrire, c’est une main tendue à l’autre, et la possibilité de l’introspection. Écrire c’est être seul, et je vous ai rencontré et vous avez rencontré Jeanne [Ndr : le personnage principal de l’ouvrage primé]. »
Sabine Wespieser, son éditrice, témoigne auprès d’ActuaLitté : « C’est un grand honneur de terminer l’année avec une récompense qui a une telle force, car il émane de lecteurs. En tant qu’éditrice, et donc grande lectrice, je suis sensible à la parole de ceux dont la vie change, à travers les oeuvres. » Elle ajoute : « Ce texte, qui est aussi un ouvrage sur l’empêchement, l’impossibilité d’échapper à un déterminisme familial, à la violence qu’on reçoit en héritage, a pu et dû résonner très fort chez ceux qui ont à se débattre avec cette agressivité quotidiennement. »
“Vu mon vécu, l’écriture serait formidable”
La littérature et l'incarcération, une longue histoire qui a enfanté des écrits parmi les plus importants : du Diable sur la croix de Ngũgĩ wa Thiong'o, en passant par Je ne reverrai plus le monde (trad.Julien Lapeyre de Cabanes), d’Ahmed Altan, jusqu’au De Profundis (trad. Antoine Galland) d’Oscar Wilde ou Les deux étendards du plus que sulfureux Lucien Rebatet. Cette fois-ci, ce ne sont pas des écrivains racontant la détention, mais des condamnés face à la littérature.
« Ce prix a changé mon rapport à la lecture, forcément », confie un détenu des Baumettes et délégué national, qui a vu son approche du « milieu intellectuel » se transformer. Et de continuer : « Je n’étais pas un lecteur très très assidu. Mon idée de la littérature a évolué : on suppose qu’elle est réservée à une élite, alors que pas du tout. » Il a découvert et apprécié, dans la sélection Les liens artificiels de Nathan Devers, Le mage du Kremlin de Giuliano Da Empoli, ou Beyrouth-sur-Seine de Sabyl Ghoussoub, Goncourt des lycéens.
« On est aussi heureux que la lauréate : le prix qu’elle remporte aujourd’hui est une reconnaissance, et nous, nous devenons des lecteurs lambdas, et plus des détenus », propose-t-il. Celui qui a été chauffeur routier, cariste ou encore soudeur sortirait en juillet, et « si j'ai de la chance », en février-mars, grâce à un aménagement de peine : « J’ai ici porté la parole de toute une région, j’espère que ça plaidera en ma faveur. »
N., incarcéré depuis 11 ans à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis, nous explique comment il est devenu juré, puis délégué national : « J’y suis arrivé par l’entremise du Cercle de lecture de Fleury, organisé tous les lundis. On a un groupe, où on lit chacun notre tour un texte à haute voix. »
Le Goncourt des détenus l'a plongé dans ces ouvrages de la rentrée littéraire, mais son rapport à l'écrit précède cette expérience : « Avant ça m’ennuyait, maintenant c’est tout le contraire. Quand j’ai un livre dans les mains, il faut que je le finisse le plus rapidement possible. Je sais à présent mieux m’exprimer. Ça a ouvert mon horizon, mon esprit. »
Polars, romances, d’aventures, emplis d’exotisme, il profite des oeuvres à disposition : « Dans chaque bâtiment de la Maison d'arrêt de Fleury, il y a une bibliothèque. » Aujourd’hui, il réfléchit sérieusement à franchir le pas, et passer de simple lecteur à écrivain à part entière : « Vu mon vécu, l’écriture serait formidable pour transmettre aux générations futures. J’ai des choses à raconter. Notamment faire comprendre qu’il n’y a pas que la violence, le quartier… »
L’inverse est-il possible : des romans de détenus jugés par des auteurs ou des acteurs du monde du livre ? On pense à Alphonse Boudard, passé de la détention au Renaudot grâce à son argot des rues. Philippe Claudel, qui connaît bien les maisons d’arrêt pour y avoir longtemps enseigné, ne voit qu’une réponse à apporter : « Tout le monde a le droit de lire et d’écrire. Il faut le faire, c’est tout. » Et d’ajouter, non sans humour : « Après, il y a déjà assez d’écrivains… »
Entre introspection et réinsertion
Sabine Wespieser insiste : « On ne peut que vous encourager. Il faut que je sois totalement emportée, enthousiaste pour accepter un manuscrit. Il faut avoir d’abord conscience que la langue est un instrument. Il faut maîtriser sa phrase, sa structure. » Quand un délégué demande à Didier Decoin de lui conseiller un roman, un seul, maintenant que la lecture est une part de son quotidien, l’auteur répond Les belles endormies (René Sieffert) du japonais Yasunari Kawabata.
Finalement, pourquoi vouloir faire entrer la littérature dans les prisons ? Pour le ministre de la Justice, Éric Dupond-Moretti, lire apporte au détenu « une évasion licite ». Elle favorise l’introspection, et en ajoutant des mots, fait reculer la violence, comme le développe Alain Bentolila dans ses textes.
De son côté, Rima Abdul Malak révèle s’être réfugiée dans les oeuvres écrites quand la guerre grondait dans son Liban natal. Un soutien et des inspirations quand un personnage « plus vrai que nature » mène à des ambitions que la raison ne connaît pas.
Le locataire de la place Vendôme rappelle aussi que la culture représente des emplois, donc une réinsertion potentielle par ses métiers. Plus spécifiquement, participer en tant que juré à un Goncourt, c’est prendre la parole en public et apprendre à construire un discours.
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Philippe Claudel appréhende cette nouvelle récompense comme l’opportunité de réaliser un pont entre la prison, cette « ville invisible », où ses habitants, aux parcours scolaires ou familiaux difficiles, charrient une estime abîmée, et l’extérieur. Un univers de « surpopulation » et de conditions dégradées, ce à quoi l’écrivain répond « qu’on est dans un pays qui incarcère beaucoup trop ».
« On espère qu’il y aura 100 autres Goncourt des détenus », s’exclame pour sa part la présidente de la CNL, Régine Hatchondo, à l’origine du projet, en l’ouvrant potentiellement à de nouveaux établissements pénitentiaires participants dès l’année suivante.
Crédits photo : Jobs For Felons Hub (CC BY-SA 2.0)
Par Hocine Bouhadjera
Contact : hb@actualitte.com
Paru le 25/08/2022
206 pages
Sabine Wespieser Editeur
20,00 €
Paru le 01/09/2021
215 pages
Actes Sud Editions
8,20 €
Paru le 28/10/2021
838 pages
Archipoche
35,00 €
Paru le 01/09/1991
1312 pages
Editions Gallimard
49,90 €
Paru le 18/04/2000
125 pages
LGF/Le Livre de Poche
5,90 €
Paru le 27/01/2011
806 pages
Robert Laffont
29,40 €
4 Commentaires
Aradigme
24/12/2022 à 10:19
A quand un Goncourt des victimes?
jujube
24/12/2022 à 18:00
Jamais, les bourreaux s'y opposent!
CaptainBN
24/12/2022 à 10:41
Excellente initiative, le milieux carcéral me semble trop souvent considéré comme un lieu qui doit punir par nature et donc a vocation à être horrible, alors qu'au contraire : ce devrait être un lieu d'apaisement préparant la réinsertion.
Une autre genre d'initiative qui serait intéressante à tester serait des actions autour du jeu. La production actuelle permets beaucoup de diversité des jeux légers, jouables en quelques minutes ; aux jeux de de rôles, dont les parties peuvent durer des années et pousser à l'écriture.
D'autant que le jeu permets de créer des situations de sociabilité aux enjeux les plus légers qui soient, sans obligations et aux victoires et défaites purement symboliques. Un exercice qui paraît des plus intéressants pour des personnes qui ont des problèmes de sociabilité.
(Même si tout cela passerait pour un pansement sur une jambe de bois tant qu'on aura pas résolu les problèmes d'insalubrité et de surpopulation dans nos prisons ...)
dagobert54
16/12/2023 à 12:08
Si certains détracteurs s'intéressaient vraiment au milieu pénitentiaire et aux victimes , ils sauraient qu'insérer les personnes délinquantes n'empêche absolument pas le respect et la compassion qu'on doit aux victimes. Bien au contraire
Que vous le vouliez ou non, les détenus sortiront un jour et qui a intérêt à en faire des révoltés asociaux prêts à récidiver ?