« La SGDL crée un Fonds d'indemnisation pour le paiement des droits d'auteur en cas de liquidation judiciaire de l'éditeur. » Avec une telle amorce, le communiqué de presse de la Société des Gens de Lettres ne laissait planer aucun doute. L'association pouvait se gargariser d'un tour de force dans la protection des écrivains. À un détail près : il est très, très peu courtois de s'attribuer seul le mérite d'une entreprise collective...
La mise en oeuvre d’un fonds d’indemnisation pour les auteurs dont les éditeurs basculaient en faillite représente une avancée majeure. Au point que l'AFP en fasse état dans une dépêche. La SGDL mettait en avant son engagement dans la défense des auteurs, avec des éléments de langage limpide : « L’Assemblée générale de la Société des Gens de Lettres (SGDL), réunie le 28 juin, a décidé de la création d’un fonds d’indemnisation pour le paiement des droits dus à l’auteur en cas de défaillance de son éditeur à l’occasion d’une liquidation judiciaire de celui-ci », lit-on dans le communiqué. (à cette adresse) À la lecture, aucune place à l'interprétation.
Un lecteur avisé nous interpellait à ce titre : « Ne serait-ce pas au Syndicat national de l’édition [représentation patronale des éditeurs] de doter ce fonds ? » La question trouvait partiellement sa réponse dans le fait que La Sofia était sollicitée pour le financement : l’organisme est en effet « administrée à parité par des auteurs et des éditeurs », ainsi que le communiqué le précise. Le SNE n’a pas de prise directe avec cette société de gestion collective : on y retrouve cependant un conseiller du Bureau, Alban Cerisier (Gallimard), et Pierre Dutilleul, directeur général du SNE. En outre, le vice-président du Collège éditeur de La Sofia n’est autre qu’Arnaud Robert (Larousse), président de la Commission juridique du SNE.
Engager les ressources de la Sofia dans un fonds n’aurait pu se faire sans un accord du conseil d’administration — impliquant donc que le SNE soit associé aux concertations. Or, en creusant un peu, un discours du président du Syndicat, Vincent Montagne, en janvier 2020, évoque un engagement : « Pourquoi, à l’image de ce que les grands éditeurs historiques ont fait pour soutenir la librairie en créant l’ADELC, ne pas envisager de mettre en place un fonds d’aide aux éditeurs défaillants à l’égard de leurs auteurs ? »
L’annus horribilis 2020, que le Covid a frappée, aura contraint à différer la mise en œuvre. Pourtant, en janvier 2021, le sujet revient d’un « fonds de dotation pour que les auteurs soient rémunérés et honorés lorsqu’une maison d’édition est en liquidation judiciaire ». Et que l’auteur soit « rémunéré en priorité, comme un créancier important […] à nous d’assumer cette responsabilité en faisant un fonds d’aide », assurait Vincent Montagne.
Le sujet avait été abordé avec La Sofia, de même que la présidente du CNL, Régine Hatchondo, récemment nommée, était dans la boucle. Et puis, rebelote en juin 2021, lors de l'Assemblée générale du SNE, où le président remet l’ouvrage sur le métier : « En marge de ces sujets, la Commission, en lien avec la SGDL et la Sofia, a travaillé à la création d’un fonds d’indemnisation des auteurs en cas de défaillance de l’éditeur quand survient une liquidation de maison d’édition. »
Enfin, à la dernière AG de juin 2022 revenait un « autre sujet concret : la création d’un fonds de compensation pour les éditeurs défaillants. Le projet, monté en partenariat avec la SGDL et la SOFIA, voit le jour. Nous communiquerons sur tout cela dès la rentrée prochaine ». Le SNE n’a pas souhaité s’exprimer, nous renvoyant aux déclarations du président, ces années passées. Il nous semble tout de même avoir distinctement perçu, au téléphone, un grognement contrarié.
Entre temps, ActuaLitté a appris que de multiples réunions engagées avec le ministère de la Culture s’étaient déroulées — autour de la table SGDL, Sofia et SNE. Comment expliquer que la SGDL, communique de façon si cavalière, s'attribuant seule le mérite de ce fonds d'indémnisation ?
Dans l’édition, plus qu’ailleurs, on sait qu’une idée n’appartient à personne — seule l’œuvre bénéficie d’une protection. Or, l’idée d’un fonds est apparue voilà plus d'une dizaine d’années… d’un des juristes de la SGDL, responsable des faillites. Puis, en marge des négociations entre CPE et SNE autour du contrat d’édition revint l'intention de trouver des sommes, sur le modèle des cotisations dont s’acquittent en France toutes les entreprises. Elles abondent une caisse où l’on puise pour payer les salariés en cas de faillite de leur société.
Le statut (ô, statut…) des artistes-auteurs fait que rien de tel n’existait : mobiliser des sommes pour pallier des faillites et verser les droits d’auteurs séduisait donc. À l'époque, tout fut classé sans suite. Pourtant, en 2017, le serpent de mer rejailit avec le cas des éditions du Baron Perché, sans plus de perspective. Or, depuis 2020 que le président du SNE s’est emparé du projet, les discussions ont débuté. D'ailleurs, la loi Darcos, introduisant une modification (portée par la SGDL) du Code de la propriété intellectuelle à l’article L.132-15 allait dans ce sens .
L’éditeur, en cas de cession volontaire, ou le liquidateur, en cas de décision judiciaire de liquidation, fournit à l’auteur les informations qu’il a recueillies auprès des distributeurs et des détaillants sur le nombre d’exemplaires restant disponibles.
Au cours des mois passés, les trois opérateurs, avec la rue de Valois, se sont réunis pour dessiner les contours d’un fonds volontaire. « Avec des limites », nuance un proche du dossier, « si demain, Madrigall devait se casser la binette, personne n’aurait les moyens de compenser quoi que ce soit ». À ce titre, il était moins question d'immobiliser — ou doter, comme le dit le communiqué de la SGDL — de l’argent, que de pouvoir mobiliser des sommes, quand le besoin se ferait sentir. Le tout avec des critères lisibles et transparents, ainsi que des garde-fous – toujours à définir.
D'autres points restent à clarifier : ainsi, les faillites concernent plus souvent les petites structures éditoriales. Il importerait donc de réunir d’autres organisations — le Syndicat des éditeurs alternatifs, la Fédération des Éditions indépendantes — potentiellement plus préoccupées par ce sujet.
Les premières estimations, opérées avant la crise pandémique de 2020, gagneront à être révisées à l’aune des années 2021 et 2022. Nul n’ignore que les remboursements du Prêt Garanti par l’État conduiront à des difficultés financières : un trop grand nombre de faillites ne saurait être assumé. « Le “quoi qu’il en coûte” ne sera pas envisageable », sourit, jaune, une interlocutrice.
Problème : d’une part, « il n’a jamais été prévu que La Sofia dote un fonds », de l’autre, « si ce fonds existe, de façon réelle, concrète et définie, à cette heure, personne n’est au courant », nous assure un observateur. Contactée, La Sofia n’a pas souhaité s’exprimer.
En revanche, on s’étonne ici et là (et même là-bas) de l’empressement maladroit — pour ne pas dire autre chose – de la communication. « Est-ce pour forcer la main, en regard des temps de réaction de l’édition, que la SGDL s’est à ce point emballée », interroge un éditeur ? « Les sommes ne seront pas monstrueuses, il n’y a pas la même urgence que pour les aides Covid et le sujet fait consensus — pour une fois. » Conclusion : on s'agace discrètement et diplomatiquement.
Sollicitée, la SGDL nous avait garanti des « éléments d'informations qui vous manquent dans ce dossier ». L’association rappelle avoir porté à plusieurs reprises cette idée, dès avril 2020, lors d’échanges avec le ministre de la Culture, Franck Riester. La pression économique de la pandémie laissait planer un véritable risque de cessation d’activité. Ainsi, dans un courrier au locataire de Valois, la SGDL alertait sur ce que les auteurs seraient privés « en cas de liquidation judiciaire de leurs éditeurs, des droits qui auraient dû leur être versés ». Et par la suite, en mai 2020, la création d’un « fonds de garantie pour permettre aux auteurs de percevoir leurs droits en cas de liquidation judiciaire de leur éditeur » intervenait lors d'une réunion avec le cabinet.
Enfin, en novembre 2020, étaient dévoilées les 10 mesures vitales pour les auteurs, avec un plan qui, à l'article 7, déroulait ce fonds d’indemnisation des auteurs « destiné à assurer, en cas de défaillance d’un éditeur, notamment dans le cadre d’une liquidation judiciaire, le paiement aux auteurs des droits qui leur sont dus ». Le document assurait avoir collaboré avec le SNE et La Sofia sur les contours – le CNL fut pour sa part sollicité en décembre. En somme, le lobbying institutionnel mené par la SGDL fut moins audible que le SNE — un article d’octobre 2020 du Monde ne retenait que la position du SNE sur ce point.
Quant à l’action validée en Assemblée générale du 28 juin par la SGDL, elle concerne deux points : la création d’une veille des entreprises placées en redressement ou liquidation judiciaire. De la sorte, les auteurs concernés prendront leurs dispositions en montant les dossiers ad hoc. Le second porte sur le fonds : « Assurer la gestion administrative dudit Fonds, c’est-à-dire recevoir et contrôler l’éligibilité des demandes, constituer et réunir une commission paritaire composée de représentants d’auteurs et d’éditeurs, chargée de statuer sur les demandes d’indemnisation reçues, enfin, mettre en œuvre le paiement des indemnités accordées aux auteurs. »
Et Patrice Locmant, le directeur de l'association, de conclure : « La question de savoir qui le premier a eu l’idée ou proposé la création de ce fonds est de peu d’importance, l’essentiel étant que ce fonds voit le jour dans les meilleurs délais, dans la mesure où cela fait cinq ans et demi que cette idée chemine, où les conditions sont aujourd’hui réunies pour que cette idée se concrétise, et où la situation économique de certaines petites et moyennes maisons d’édition fragilisées par la crise de 2020 et 2021 rend aujourd’hui nécessaire la mobilisation de tous les acteurs de la chaîne du livre concernés autour de ce projet. »
Certes, mais personne ne cherchait à remonter à l'oeuf ni la poule. Même perchée sur un mur.
Sauf que les faits sont têtus : à ce jour, le fonds que revendique la SGLD n'existe pas, aucune dotation n'est envisagée, au contraire, et le projet fut bien mené collectivement. Là encore, réponses du directeur prolonge la confusion.
Sur l’occultation du SNE dans le communiqué de la SGDL :
Afin que le fonds puisse être doté par un/des tiers, il convient au préalable qu’il dispose d’une existence juridique (une institution, quelle qu’elle soit, ne peut décider de doter un fonds qui n’existe pas...). La SGDL étant proposée pour assumer la gestion administrative de ce dispositif, elle en a fait voter le principe par son AG.
Il revient ensuite au CA de la SOFIA ou d’autres organismes qui souhaiteraient doter ce fonds de se prononcer sur le principe de l’apport d’une dotation à ce fonds et il ne nous appartient pas de communiquer en lieu et place de la Sofia sur cette question, qui relève d’une décision de son CA.
Pour ce qui concerne le MCC, nous n’avons pas eu avec les services du Ministère d’autres échanges à ce propos que ceux mentionnés dans mon précédent message, à savoir le fait que nous avons porté à plusieurs reprises et dans différentes circonstances la proposition de création de ce fonds. Mais il n’est à ma connaissance pas prévu que le MCC intervienne ni dans l’administration de ce fonds, ni dans sa dotation.
[NdR : ActuaLitté évoquait les réunions intervenue avec la rue de Valois et les trois opérateurs, et non l'implication du ministère dans la gestion du fonds. Soit.]
Sur la réalité du fonds à cette heure :
Un projet de règlement du fonds, précisant notamment ses critères d’éligibilité, les modalités de son fonctionnement et la composition de la commission paritaire chargée de statuer sur les demandes d’indemnisation reçues, a été rédigé collectivement avec l’ensemble des parties impliquées. Il aura naturellement vocation a être rendu public dès lors que le fonds sera doté et mis en œuvre.
[NdR : on s'autorise même, dans les milieux autorisés, etc.]
Sur l’attribution de la création à la seule SGDL :
La SGDL ne s’attribue rien du tout. Elle a consulté son AG sur le principe d’une gestion administrative de ce fonds par la SGDL, laquelle Ag s’est prononcé favorablement sur cette proposition.
On relira dès lors le communiqué de l'association pour achever de perdre le nord : « La SGDL crée un Fonds d'indemnisation pour le paiement des droits d'auteur en cas de liquidation judiciaire de l'éditeur. » Et dans sa conclusion : « La SOFIA, société de gestion collective du secteur du livre, administrée à parité par des auteurs et des éditeurs, a été sollicitée par la SGDL pour apporter une dotation à ce fonds. »
Entre passes d'armes et crises d'ego, on n'aura qu'une question : à qui profite l'escrime ? Pour l'instant, certainement pas aux auteurs.
crédits photo : ActuaLitté, CC BY SA 2.0 ; aitoff CC 0 ; Mathieu Stern/Unsplash
Par Nicolas Gary
Contact : ng@actualitte.com
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