Faut-il une enseigne pour les bibliothèques publiques ? L’enfer est pavé de bonnes intentions, et le paradis d’opinions contraires. David-Jonathan Benrubi, directeur du Réseau des médiathèques de Montpellier Méditerranée Métropole, s'interroge. À plus d'un titre. Ou cinq bonnes raisons de froncer les sourcils...
Le 23/06/2022 à 15:51 par Auteur invité
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23/06/2022 à 15:51
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L’Association des Directeurs des Bibliothèques des Grandes Villes, pilotée avec énergie et constance par mon confrère Malik Diallo, directeur des Champs libres, et de nombreuses autres associations professionnelles ont porté une initiative, devenue sous le regard bienveillant de deux ministères et avec un peu d’argent public un projet sur le point d’aboutir : créer et doter les établissements d’une enseigne, à l’instar de celles du buraliste, de la pharmacie, de l’agence postale, d’une marque de la grande distribution.
Je suis convaincu de longue date du besoin de travailler et renforcer (à partir de projets de service inventifs, adaptés, et non redondants) les identités des établissements dits de lecture publique, et de faire une place significative au design graphique indépendant dans nos propositions, réflexes, imaginaires professionnels (au-delà, dans le meilleur des cas, de signalétiques statiques).
Nous avons tout à gagner à développer localement des stratégies de marque ou de signature, à la confluence des images de nos collectivités, de nos Projets culturels, scientifiques, environnementaux et sociaux (PCSES) particuliers, des imaginaires sociaux dans lesquels nous sommes localement inscrits, et en faisant une confiance accrue aux professionnels de l’image et du signe pour les restituer sur la base de briefs précis et contraignants.
Je suis aussi convaincu que les médiathèques ont un rôle majeur à jouer dans les questionnements qui se font jour actuellement, notamment dans les territoires métropolitains, pour une requalification des espaces publics (ne serait-ce que parce qu’une médiathèque est un espace public couvert, ou par référence aux grandes aventures passées du hors les-murs militants).
À LIRE: 5 propositions pour une enseigne incarnant les bibliothèques
Je défends enfin qu’une des définitions possibles de la bibliothèque publique tient à sa double inscription dans la culture de sortie (qui requiert un surcroît d’investissement et d’anticipation, répercuté dans l’agenda) et dans la trajectoire quotidienne des administrés, à l’instar des commerces de proximité (parfois dotés d’enseignes).
Et pourtant, ce projet d’enseigne nationale, qui fait le pont entre bibliothèques, espace public et graphisme, et les propositions graphiques qui en découlent logiquement, heurtent directement ou indirectement ce que je porte dans mon champ professionnel depuis quinze ans. C’est donc, face à un engouement que je peux comprendre et dont je respecte fortement les promoteurs, une opinion contraire que j’exprime, sans doute parce que sur de nombreux points je prends mes distances avec le logiciel stratégique des années 70/80 dans lequel tout ceci me semble s’inscrire.
Et très certainement parce qu’au-delà du court effet d’aubaine politico-médiatique (dans le sillage de la loi Robert, de la consolidation du Service du Livre et de la Lecture dans le cadre du Plan de Transformation Ministériel [PTM], et de la mobilisation éphémère de la communauté graphiste, certes très intégrée et productive, mais au rayonnement externe limité) qui vaudra quelques articles de presse, et ici ou là une cérémonie juilletiste-bonapartiste (mais sans le panache ou l’impact mémoriel des arbres de la liberté et des fontaines publiques), je pense que cette enseigne sera sans effet positif sur les publics, mais rendra nos équipements et équipes encore plus transparents ou brouillés dans l’écosystème culturel, alors même que leur potentiel d’action au service de projets de transformation sociale est fortement sous-évalué par bien des acteurs concernés (et parfois par nous-mêmes).
crédits : DreamDigitalArtist CC 0
1. Décalage avec une tendance du design graphique à qualifier, dans des langages plus que par des signes unicode, des espaces situés et particularisés.
Je commence par l’anecdotique (vu d’où je me trouve) : au moment (depuis 10 à 15 ans) où les « identités visuelles dynamiques » supplantent les anciens systèmes de type charte + logo, la commande d’une enseigne aurait gagné à être présentée comme relevant d’une promotion du patrimoine vivant (le graphisme des Trente glorieuses n’est pas mort !). Lecture recommandée : le texte de Ruedi Bauer, « Faut-il “brander” un état démocratique ? Pour une culture civique de la représentation du secteur public. », dans Graphisme en France, 23 (2017).
2. Inutilité sociale ou incapacité technique du signe produit
La force des enseignes citées à titre de comparaison par les porteurs du projet repose sur des facteurs étrangers aux bibliothèques publiques : l’association à des besoins primaires (tabac, santé, alimentation) susceptibles d’engager une relation d’urgence, ou la puissance de campagnes cross-media (les enseignes des grandes marques) qui entretiennent le signe dans une culture visuelle beaucoup plus que partagée : totale. Avons-nous les moyens de celles-ci, quand le déclin du courrier oblige La Poste, pour maintenir la puissance de son signe, à communiquer sur ses autres offres (bancaires…), ou quand, face au déclin fonctionnel de la plus grande enseigne de l’histoire de l’espace public de la seconde moitié du XXe siècle — la cabine téléphonique — France Telecom a préféré changer de nom (et de couleur).
Il aurait été plus juste, et plus opportun de se comparer au réseau des villes et pays d’art et d’histoire, dont les contraintes visuelles ont fait hurler les intégrateurs graphiques des services et OT partout en France, et auront peut-être plus accéléré qu’enrayé un certain déclin du réseau. Le Centre national du livre a une puissance de frappe médiatique importante, si bien que le SLL lui délègue ses opérations à dimension communicante (Partir en livre), mais qui, en dehors des libraires et éditeurs, connaît son logo ? Ainsi, même si j’adhérais à l’opportunité d’une enseigne commune aux établissements dits de lecture publique, je ne suis pas certain que les conditions de sa performativité soient réunies.
Mais je n’y adhère pas.
3. Contradiction des termes
Le site du projet affirme d’emblée : « Premiers services publics culturels de proximité, les bibliothèques méritent d’être visibles et identifiées au premier regard par tous. »
1) Si les bibliothèques (c’est le cas) sont les premiers services culturels de proximité, elles n’ont pas de problème de visibilité (en réalité elles en ont un, à un autre échelon, celui de l’écosystème culturel et politique, là où se jouent certaines batailles dans l’ordre des représentations et des imaginaires, et où cette enseigne sera plus infirmante qu’aidante).
2) Si les bibliothèques sont définies (c’est l’un des axiomes disponibles, en effet) par la relation de proximité à ses publics, alors elles n’ont surtout pas besoin d’une identification nationale.
3) pour des raisons d’échelle bâtimentaire, et sauf à admettre que les élus, architectes et graphistes renoncent tous en bloc à la possibilité de faire signal, il est très peu probable, sauf dans le cas de très petites bibliothèques (dans les villages, où elles sont d’ailleurs souvent repérées par la signalétique routière, au même titre que le foyer rural ou la salle polyvalente), que cette enseigne générique participe effectivement à la visibilité (à noter que l’une des équipes candidates a mesuré ce point en travaillant des modes d’apparition variant du monumental au très discret).
4) « Identifiées au premier regard » : mais identifiées à quoi ? Le buraliste, la pharmacie, etc., sont caractérisés par des périmètres fonctionnels clairs et limités ; ce serait peut-être le cas aussi des bibliothèques de recherche ou patrimoniales, voire (peut-être et/ou de moins en moins) des bibliothèques universitaires, mais aucunement des bibliothèques publiques majoritairement rattachées en France au bloc communal. Cette condition est a fortiori moins vérifiable encore pour un ensemble qui réunirait ces différents types d’établissements, pour lesquels, en dépit du cadre administratif mutualisé, il n’existe pas, même à haut niveau d’abstraction, de socle de valeurs, fonctions ou publics commun.
crédits photo : Guzel Maksutova/Unsplash
4. Inadéquation institutionnelle
Il est ou serait logique que le projet soit fortement soutenu par des instances ayant exclusivement ou principalement une fonction de centralité. En l’occurrence, je pense au SLL mais aussi aux bibliothèques départementales, voire dans une moindre mesure aux agences régionales du livre, dont les légitimités (au plan symbolique) tiennent notamment à la reconnaissance par des acteurs ou établissements d’une participation à une communauté d’appartenance placée sous leur égide ou facilitation. L’enseigne joue ici un rôle de jeton de présence ou maillot de club.
C’est d’ailleurs l’un des deux seuls avantages sérieux que je reconnais à ce projet : permettre au SLL de manifester ou re-manifester dans l’espace national le fait qu’il anime (et, avec l’Inspection, « contrôle techniquement ») le premier réseau culturel français, et ainsi renforcer sa position à l’égard d’autres services ou directions du périmètre Culture, traditionnellement plus éloignés du public et plus proches de la sphère médiatique (spectacle vivant, art contemporain…). Mais à quel prix ! L’autre avantage, peut-être, est la possibilité dans le désert public de la France périphérique d’essayer de signaler quelques milliers d’oasis.
Encore faudrait-il s’assurer de l’absence de tout cahier des charges pour être éligible, ce qui ne serait pas sans aller à l’encontre des grilles de critères des politiques départementales : le coin lecture non entretenu dans la cuisine de l’ancien logement de fonction de l’instituteur aura-t-il droit à l’enseigne, si Madame le Maire en fait la demande ?
Or, a contrario, ce projet d’enseigne ressuscite sans le vouloir une (combien malheureuse) vision générique de la bibliothèque publique comme service public unitaire. Je dis souvent à mes équipes que la République a besoin d’un service d’état civil invariant à Montpellier, Mont-de-Marsan ou Masnière (59) pour ne pas devenir une République bananière, et de médiathèques pleinement variantes pour remplir leur rôle de service public local de la lutte contre toutes les formes de bêtise (alias, dans mes documents formels : service public responsable des imaginaires, des compétences et des intelligences, ce qui subsume efficacement la réalité des offres de services d’ores et déjà en place, et donc a le mérite rare de ne pas être faux, cf plus bas).
Historiquement, cette vision générique/unitaire de la médiathèque, sans doute liée aux planifications, et en tout cas consolidée à l’époque des grands programmes immobiliers (jusqu’aux bibliothèques municipales à vocation régionale) a eu tendance à engendrer des programmes homothétiques, des schémas organisationnels et managériaux sectorisés et rigides, une offre de services dont la mutabilité s’actualisait plus par ajout de couches que par un travail de redéfinition/redéploiement. (Je pense à la tri-sectorisation Jeunesse/Adultes/Image, son, multimédia, qui relève moins d’un projet stratégique ou politique, a fortiori d’une réalité sémantique [qui est capable de donner une définition positive de « secteur adultes » ?], que d’une archéologie administrative).
Ainsi, au passage, la création d’une enseigne unique est (sans le vouloir, et selon moi) un pied de nez aux innombrables diagnostics territoriaux, projets de service innovants, concertations d’équipe, et accessoirement à ceux qui s’efforcent de produire un peu de doctrine au-delà des antiennes.
5. Entériner un imaginaire faux et contre-productif : la bibliothèque publique comme lieu des livres.
En effet, un point est beaucoup plus grave que tout cela : contrairement à un langage visuel dynamique, un signe est limité dans les sources qu’il manifeste, et doit donc reposer sur un dénominateur commun inscrit dans des perceptions antérieures (perceptions pouvant être indépendantes du projet, voire lui être contraires, ce qu’on traduit par l’expression ambiguë : « travailler l’image de… »).
La création, à l’échelle hyper-macro (pas pas d’un réseau intercommunal, pas d’une catégorie d’établissements définis par des critères thématiques communs et explicites, mais de la France des 36.000 communes) d’un signe unique ne peut pas, tout en agrégeant fictivement des réalités incommensurables, ne pas être hyper-conservatrice. Elle ne peut pas ne pas entériner un « cliché » faux, injustifiable épistémologiquement, contraire aux tendances des 30 dernières années (qu’il s’agisse des offres de service réelles et souvent pertinentes, ou du versant faible et novlangue des discours : tiers-lieu, etc.), un cliché au demeurant contre-productif au regard des représentations culturelles de la population, à savoir que la bibliothèque se définit par la présence de livres, ce qui peut être assimilé (au choix) à
• L’essentialisation d’une contingence
• La requalification d’un fait en valeur
• La confusion d’un moyen (les collections, qui constituent aux côtés des expositions, de la programmation événementielle, de l’action culturelle, des résidences, de l’offre d’un espace de séjour ou d’étude… l’outillage de nos services) et d’une fin
• Se tirer une balle dans le pied, au moment de motiver, promouvoir, reconnaître des équipes aux expertises plurielles, et où (et c’est heureux) seule une minorité de collègues peut revendiquer une maîtrise de l’actualité éditoriale comparable à celle d’un éditeur, critique, libraire indépendant, programmateur littéraire — bref s’affirmer avec fierté comme « professionnels du livre » (pour ma part, je n’en suis pas un).
• Se tirer une balle dans l’autre, quand par ailleurs on peut estimer que les bibliothèques ayant quelque chose à voir avec le vrai, elles pourraient incarner dans le monde de la culture une forme d’exigence intellectuelle dont le défaut fait souvent l’objet de procès d’intention ;
6. En résumé, une enseigne nationale
• Gomme ou transpose au second plan l’inscription locale, en contradiction avec l’axiome de la proximité et la réalité institutionnelle
• Gomme ou transpose au second plan l’innovation thématique passée, présente et avenir, nécessairement variante dans l’espace et dans le temps, alors même que les personnels de bibliothèques sont des experts multiples dans des établissements généralistes et divers, et que l’inventivité, leur inventivité est la condition de notre avenir ;
• Suppose la fiction d’une généricité de la bibliothèque, alors que, depuis l’échec du projet des « bibliothèques de district » porté avant la décentralisation Deferre par le conservateur de Cambrai Michel Bouvy, il n’existe pas et ne peut exister un Projet des bibliothèques suffisamment consolidé à l’échelle nationale pour servir d’appui programmatique à la création d’un geste graphique (ce dont pour ma part, accessoirement, je me réjouis, car du plan découle l’ennui) ;
• Qu’il découle du point précédent que ce vide programmatique ne peut être rempli que par l’appel à des stéréotypes (en l’occurrence le motif du livre a largement supplanté le thème de la relation à l’autre), contre-productifs et — pire — faux. Faut-il rappeler que dans le seul texte normatif mondial disponible — l’excellent Manifeste de l’UNESCO pour la bibliothèque publique, dont j’ai vu des militants péruviens citer des extraits par cœur — le mot livre n’apparait nulle part, et le mot lecture une fois ?
Par analogie, il existe bien une politique nationale des arts du spectacle. Le spectre des offres de service ou propositions artistiques déployées par les lieux concernés est relativement bien mieux défini et connu que celui des bibliothèques (« ah bon, on peut s’initier à la robotique ? »). Les questions d’identité visuelle y accusent par rapport aux bibliothèques trois quarts de siècle d’avance. Et pourtant, personne n’invite un ensemble hétéroclite réunissant établissements nationaux, Centres Dramatiques Nationaux, scènes conventionnées, de ville, etc., à accrocher une enseigne présentant un double masque comédie/tragédie, même revisité dans des langages ou modes formels actuels ?
Toutes ces raisons conduisent à ce paradoxe : alors que je suis régulièrement intervenu devant des étudiants graphistes en école d’art, que ma dernière exposition dans mon poste précédent s’intitulait Faire image, que je prépare actuellement avec un partenaire de choix l’édition 0 d’un festival de graphisme à rayonnement régional/national, que j’ai obtenu un accord de principe pour la création d’une identité de Réseau en 2023, bref que je milite avec bien d’autres qui le font mieux et plus, pour que notre champ professionnel fasse une place plus grande au design et aux identités visuelles, j’espère vivement ne pas avoir à valider avec mes Élus l’accrochage d’une des cinq enseignes dans les 15 établissements de la métropole de Montpellier, en contradiction avec mes convictions stratégiques, scientifiques et managériales.
L’Enfer est pavé de bonnes intentions, le Paradis et les médiathèques d’opinions contraires. J'espère que cette contribution ouvrira le débat.
crédits photo : LincolnGroup, CC 0
6 Commentaires
Gilles
25/06/2022 à 13:16
C'est beau, bien écrit et complètement à côté de la plaque, surtout le coup de "les bibliothèques c'est local et une enseigne nationale c'est national".
Faut sortir de sa tour d'ivoire ;) et mon bureau de tabac près de chez moi, c'est un commerce local avec une enseigne nationale centrée sur le principal service (dans une bib, le livre c'est le principal service, il paraît, mais peut-être pas au Pérou, vous pouvez leur demander) ça n'empêche pas que son enseigne ne reflète pas tous ses services, y compris locaux.
Same player shoot again... comme on dit au Pérou...
Sanven
26/06/2022 à 18:19
Cet article est assez obscur voir confus.
Je crois même que la partie "résumé" ne reflète pas concrètement le point de vue de l'auteur.
Il me semble que cette enseigne est nécessaire et d'utilité publique.
Plus la culture est visible, mieux c'est pour la société. C'est peut-être le seul moyen de résister au consumérisme ambiant.
J'aurais aimé que cette proposition arrive bien avant mais mieux vaut tard que jamais.
Jo
28/06/2022 à 16:40
Je suppose que le premier message est ironique, car ce texte est totalement illisible, syntaxe étrange, chaque phrase à relire plusieurs fois…. Sur le fond, je ne sais plus que penser
Flibustier
06/07/2022 à 22:43
Terminus des prétentieux. Bien entendu, cette question d'enseignes est un cache-misère. Mais en dénoncer l'inanité n'autorise pas un directeur de bibliothèques à faire le malin pour autant. Quelle vanité ! On regretterait presque que le texte ne soit pas rédigé en grec ancien.
Drosophile
07/07/2022 à 21:31
Nous, mouches, demandons instamment le retrait de ce texte dont l'arrogance et l'onanisme intellectuel ont dû provoqué un ethnocide spéciste chez les diptères volants !
HC
15/07/2022 à 17:59
C'est toujours positif de lire un avis bien argumenté sur le sujet d'une enseigne nationale et unique pour les bibliothèques, je ne pense pas que cette initiative puisse être un véritable atout pour les lecteurs, lectrices et bibliothécaires... j'avais quand même voté pour l'escargot!