#Presidentielle2022 — Marine Le Pen, candidate du Rassemblement national, permet à l'extrême droite d'atteindre, pour la troisième fois dans l'histoire de la Ve Rébublique, le second tour des présidentielles. Les cinq années du quinquennat Macron, couplées à l'abstention et la réticence des électeurs de gauche, font grimper les chances de la candidate. Du côté des professionnels de la culture, des auteurs et des bibliothécaires s'inquiètent de la menace frontiste.
Le 19/04/2022 à 11:57 par Antoine Oury
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Publié le :
19/04/2022 à 11:57
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Dans moins d'une semaine désormais, les Français auront réélu un président ou élu une nouvelle présidente de la République. Cette dernière perspective – Marine Le Pen, candidate d'extrême droite –, n'inquiète pas uniquement pour les risques qu'encourrait la démocratie : elle concerne aussi son attitude vis-à-vis des divers contre-pouvoirs et courants de pensée critiques.
À ce titre, la culture joue gros. Les propositions de la candidate du Rassemblement national, en la matière, sont minimes, avec une ligne clairement définie, patrimoniale. Un volet important de la culture, évidemment, mais qui semble ici la seule préoccupation culturelle, à laquelle la candidate donne d'ailleurs un rôle : participer au « redressement moral du pays »... On comprendra que ce projet s'inscrit dans la théorie décliniste — de la guerre des civilisations au grand remplacement — qui constitue l'essence même de l'idéologie réactionnaire de l'extrême droite.
À quelques jours du second tour, les appels à voter contre Marine Le Pen se multiplient. Plusieurs figures culturelles se sont engagées, parmi lesquelles Stanislas Nordey, le directeur du Théâtre national de Strasbourg, Olivier Py, celui du Festival d'Avignon, Éric Ruf, administrateur de la Comédie française, ou même Marc Levy, à travers des tribunes appelant à voter Emmanuel Macron.
Le danger qu'incarnent Marine Le Pen et l'extrême droite pour la liberté d'expression a été identifié par une partie de la profession. « Nous sommes effectivement très inquiets de la présence de Marine Le Pen au second tour, qui, si elle était élue, pourrait grandement mettre à mal la liberté d'expression et chercher à se servir de la culture et des artistes à des fins de propagande », nous indique ainsi la Ligue des auteurs professionnels, syndicat d'écrivains et d'écrivaines.
« Du reste, ce parti politique a la fâcheuse habitude de participer à la polarisation des débats et des opinions, ce qui cause évidemment d’importants dommages pour notre société démocratique. Il faut protéger les nuances et les subtilités, garantir les modes de réflexions et d’actions collectives qui nous élèvent et nous apprennent à travailler ensemble », poursuit l'organisation.
La vision patrimoniale de la culture suscite aussi des interrogations quant aux intentions réelles de la candidate — d'ailleurs, l'autre candidat réactionnaire, Éric Zemmour, partageait cette approche : « Nous avons été particulièrement alarmés par la présence dans leurs programmes respectifs de mesures visant à contrôler la production culturelle, à surveiller les messages véhiculés, à encourager une certaine transmission de l'Histoire de France à travers la culture », détaille la Ligue.
Les bibliothécaires, un autre corps de métier qui connait bien les conséquences d'une extrême droite au pouvoir, résume assez clairement les préoccupations en vue de ce second tour : « Un gouvernement d'extrême droit peut représenter des risques pour tous les droits, y compris les droits culturels », rappelle l'Association des bibliothécaires de France (ABF).
Comme la Ligue des auteurs professionnels, l'ABF craint une politique culturelle uniquement patrimoniale, qui irait « à l’encontre des principes de neutralité et d’ouverture à tous les publics ainsi qu’à la notion de droit culturel que nous voyons consacrés par la loi Robert ».
À LIRE: Ce que l'extrême droite fait au livre
Le congrès annuel de l'organisation se déroulera juste avant les élections législatives, au début du mois de juin. Quel que soit le résultat des présidentielles, l'ABF rappelle que les bibliothécaires sont « également attentifs à la pluralité des opinions qui doit pouvoir se refléter dans le pluralisme des collections offertes au public des bibliothèques et au principe de neutralité et veillerons à ce que ne viennent pas plus du gouvernement que de certaines municipalités une volonté d’orienter le contenu des collections en fonction de partis pris idéologiques ou à en limiter l’accueil sur des critères discriminatoires ».
« Il est important pour nous, dans un contexte de banalisation des discours extrémistes de rappeler que la réalité est loin d’être celle de mesures modérées », ajoute encore l'ABF. Les bibliothèques municipales ayant connu des responsables issus de l'extrême droite peuvent témoigner des pressions, hiérarchiques ou budgétaires, pour contrôler l'accès à certaines œuvres ou en censurer d'autres...
Signalons que les organisations professionnelles prêtes à s'engager contre une perspective frontiste ne sont pas légion, dans le domaine du livre : interrogés, le Syndicat national de l'édition, le Syndicat de la librairie française ou encore le Conseil permanent des écrivains n'ont pas répondu à nos questions.
Le programme de 2017 du candidat Emmanuel Macron proposait un certain nombre de propositions culturelles, à l'inverse de celui de 2022, plutôt rachitique. S'il a tenu un certain nombre de promesses dans ce domaine, Macron laisse, après cinq années de mandat, un sentiment d'inachevé aux bibliothécaires, dans une certaine mesure, mais surtout aux auteurs.
Pour les bibliothèques, le mandat aura été marqué, d'emblée, par une opération destinée à élargir les horaires d'ouverture des établissements. Environ 400 projets d'élargissement ont été soutenus par le gouvernement, et, malgré des questions persistantes en matière de financement, l'ABF note « quelques effets positifs » de cette vaste opération. Une « loi Bibliothèques » a également été promulguée, mais, bien que largement soutenue par le gouvernement, elle reste le fait de la sénatrice socialiste Sylvie Robert : « Elle représente pour les bibliothèques territoriales à la fois une reconnaissance et un appui sur lequel nous comptons nous appuyer sur la base des principes qu’elle consacre », souligne l'ABF.
« Il faut saluer le travail entamé sur la formation, toujours en cours et sur lequel nous restons particulièrement mobilisés », ajoute l'organisation professionnelle, qui met toutefois un bémol : « Néanmoins, nous restons vigilants à une forme de politique culturelle qui ne se construirait qu’à base de grandes opérations de communication, d'appel aux dons et au bénévolat, au détriment d’une politique culturelle ambitieuse, reconnaissant la place des professionnels, le maillage territorial, la qualité des services et des conditions de travail des agents. » Le ton est donné, en cas de second mandat d'Emmanuel Macron.
Du côté des artistes-auteurs, la Ligue des auteurs professionnels considère que le suspens n'est pas bien long : « Si le bilan n’est pas satisfaisant, ce quinquennat restera paradoxalement marqué par une mise en lumière de l’absence de statut pour les artistes-auteurs et autrices et des problématiques que cela engendre. De manière inédite, des constats ont été faits par le ministère de la Culture : les problématiques liées à la professionnalité, à la représentativité et aux rémunérations des artistes-auteurs et autrices ont été soulevées. »
Le syndicat déplore toutefois de nombreux rendez-vous « ratés », et un ministère « resté bloqué au stade du constat ». La transposition de la directive européenne sur le droit d'auteur et les droits voisins, par ordonnance, a également été mal vécue par la Ligue, quand, « sur le fond, la transposition est trop peu ambitieuse, au regard des opportunités qu'offrait le texte de la directive. Le Gouvernement avait une occasion historique de reconnaître aux artistes-auteurs et autrices un droit à une rémunération juste et appropriée, mais il n’en a rien fait ! L’occasion a été totalement manquée. »
La crise du coronavirus, qui a poussé les bibliothèques à « trier » leurs usagers en fonction de leur statut vaccinal, a aussi eu des conséquences importantes, notamment financières, pour les autrices et auteurs. « Cette crise a été un vrai catalyseur », note la Ligue, « on a remarqué que les institutions en place étaient bien incapables d’identifier de manière rapide et correcte celles et ceux qui se consacrent professionnellement à l’activité de création ». Seule l'action de l'intersyndicale des auteurs aura permis de redresser la barre, pour garantir un soutien financier aux plus menacés.
La culture a souvent été désignée comme la grande absente de la campagne présidentielle. L'ABF, qui avait fait parvenir un questionnaire aux prétendants et prétendantes, n'aura récolté que trois réponses seulement : elle déplore également le manque de détails dans les programmes de Macron comme de Le Pen.
« L’accès à la connaissance, la construction de l’esprit critique, la possibilité de forger une opinion libre, les médiathèques participent à la construction d’une politique sociale, solidaire et émancipatrice. Le manque d’intérêt de ces derniers mois, particulièrement en période de crise sanitaire alors que les bibliothécaires se sont mobilisés, est très mal ressenti par l’ensemble des professionnels », précise l'organisation.
Du côté des auteurs et autrices, la Ligue remarque « une évolution très favorable de la sémantique utilisée par [l]es candidats » qui évoquaient la situation de la profession dans leurs programmes, fruit « d’un formidable travail collectif mené depuis des mois par l’intersyndicale ». Yannick Jadot, Jean-Luc Mélenchon, Fabien Roussel, mais aussi Anne Hidalgo citaient ainsi le statut des auteurs dans leurs programmes ou dans diverses réponses.
« Le volet culturel a été quasi absent de la campagne, là où il était central il y a encore quelques années » remarque toutefois, comme l'ABF, la Ligue. Cependant, le syndicat sait ce que l'action politique peut faire sur les conditions de travail et de vie, et continuera son travail au-delà de l'échéance présidentielle : « Notre travail syndical est parfois invisible, or nous opérons un travail de fond auprès des élus de la République afin de sensibiliser les députés, sénateurs, élus locaux aux problématiques méconnues du statut d'artiste-auteur. Ce travail de lobbying est indispensable et nous le continuerons bientôt en envoyant nos 30 propositions aux futurs parlementaires de la nouvelle mandature après les élections de juin. »
Quel que soit le résultat dimanche soir, dès le lundi matin, les luttes culturelles reprendront elles aussi.
Dossier : Présidentielle 2022 : les propositions des candidats pour le livre
Photographie : dessin de Dugudus (Jeanne Menjoulet, CC BY 2.0)
DOSSIER - Présidentielle 2022 : les propositions des candidats pour le livre
Par Antoine Oury
Contact : ao@actualitte.com
14 Commentaires
Aleph
19/04/2022 à 13:47
Je pense que le titre devrait être : "Des bibliothécaires et auteurs d'extrême gauche inquiets de voir leur méthodes d'influence abusives utilisées par l'extrême droite si elle parvenait au pouvoir".
Team ActuaLitté
19/04/2022 à 15:56
Ou pas...
marie
20/04/2022 à 08:13
Oui, ou pas !
Toinou
20/04/2022 à 08:36
Exemple classique de la pensée paranoïaque : penser que les autres veulent nous faire ce qu'on veut leur faire. Ça se répand drôlement ces temps.
EDCO
20/04/2022 à 09:29
Actualitte , tu l aimes ou tu le quittes ..........!!!!!!Tu vas quand même pas changer les articles ......qui heurtent ta sensibilité.......!!!!
Aleph
20/04/2022 à 10:47
Ma sensibilité politique ne transparaît pas ici (je n'apprécie aucun candidat, aucun parti), en revanche, j'apprécie qu'on dise les choses clairement et normalement. Il y a une guerre culturelle, et si ce n'est pas un camp qui use et abuse de tels armes officielles, ce sera l'autre, c'est tout. Mais dire que ce sera seulement la faute de tel camp quand ce sont les règles du jeu qui sont pipées et bafouées de toutes part, c'est ajouter à la confusion. C'est contre l'hypocrisie que j'en ai, pas pour tel ou tel politicien.
Au passage, je trouve savoureuse votre reprise d'un odieux slogans lepéniste.
EDCO
20/04/2022 à 11:20
Ben non , votre passion vous egare, c etait Sarko ...... que je ne portais pas ds mon coeur ..... jamais un slogan RN..... ma bouche ne s en remettrait pas .....
Aleph
20/04/2022 à 12:01
Affiche le péniste des années 80-90
EDCO
20/04/2022 à 12:51
https://www.lejdd.fr/Politique/La-France-tu-l-aimes-ou-tu-la-quittes-Sarkozy-oublie-vite-detecteur-de-mensonges-493908-3122414
non.......désolée.......
EDCO
20/04/2022 à 13:12
Allez , on va dire que la polémique continue alors.....Vous avez raison .....
https://www.lemonde.fr/societe/article/2006/05/23/la-france-aimez-la-ou-quittez-la-bataille-pour-un-slogan_774922_3224.html
j'avais donc oublié les propos d'origine ......amnésie , quand tu nous tiens......!Il est vrai que les propos du FN ( Alain Jamet en l’occurrence .....triste sire.....) sont sortis de ma tête comme par peur d'avoir un AVC ( Affolement pour les Votes Chaotiques...).....
Aradigme
20/04/2022 à 09:41
Bonjour Aleph,
C'est assez bien formulé.
Je remarque par ailleurs que les partis désignés comme "extrême droite" ne se voient pas ainsi. Ils se considèrent, pour autant que je puisse en juger de l'extérieur, comme nationalistes et populaires.
Apparemment, seuls les gens de gauche s'estiment compétents pour attribuer des "brevets d'extrême droite", décernés de plus en plus souvent à tous ceux qui, simplement, pensent différemment qu'eux. Peut-être agissent-ils ainsi dans l'espoir que cette simple qualification suffira à faire taire tous les opposants à leur idéologie mortifère. Devrait-on dès lors y voir une certaine paresse intellectuelle? Une sorte de mantra répété en boucle, l'équivalent idéologique d'un moulin à prière tibétain? En tous cas, la ficelle, qui me semblait grosse dès le départ, commence néanmoins à s'user...
Salutations
Aradigme
Aleph
20/04/2022 à 10:51
Merci à vous.
Jean-Patrick
20/04/2022 à 08:56
Le véritable problème est le vide abyssal autour de ces deux personnages.
L'article va réveiller le sempiternel débat d'école maternelle : "c'est pas moi, c'est l'autre ; il fait pire", mais ce qui est déplorable, c'est d'entendre une électrice de 35 ans dire que depuis qu'elle vote, elle a toujours mis un bulletin par défaut/calcul et jamais par envie. Autrement dit, depuis une génération, on ne choisit plus, on élimine.
Comme stipulé dans l'entête de l'article : "Les cinq années du quinquennat Macron, couplées à l'abstention et la réticence des électeurs de gauche, font grimper les chances de la candidate", c'est-à-dire ne votez pas pour ce que vous souhaitez, mais contre ce que vous ne voulez pas !
Dominique Boze
20/04/2022 à 09:22
Le titre réel devrait être "Du fascisme fantasmé". De quoi les bibliothécaires ont-ils peur ? De faire moins facilement des expos "woke", anti-françaises, genrées, etc. Qui s'en plaindra ? Certainement pas près de la moitié de la population française. Sinon plus. Qui le regrettera ? La petite minorité bien installée dans les rouages de l'administration culturelle. Et alors ? Il est temps qu'elle commence à voir ce qu'elle est réellement : foncièrement minoritaire.