Anglicismes : l'Académie française redoute “une double fracture linguistique”
Constatant l'usage massif des anglicismes au sein de la communication institutionnelle de diverses entités, et notamment des ministères, des entreprises publiques ou privées, l'Académie française s'est dotée d'une commission chargée d'étudier ces usages et leurs conséquences. Dirigée par Gabriel de Broglie, chancelier honoraire de l’Institut français, elle déplore un certain affaiblissement de la langue française, mais aussi, de manière plus étonnante, le développement d'un langage technocratique qui s'adresse à « une frange réduite, privilégiée, éduquée, de la population », au détriment de la majorité.
Le 15/02/2022 à 12:26 par Antoine Oury
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Publié le :
15/02/2022 à 12:26
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La commission chargée de la communication institutionnelle en français réunit Florence Delay, Danièle Sallenave, Dominique Bona, Amin Maalouf et Sir Michael Edwards, sous la présidence de Gabriel de Broglie. Pour ouvrir leur premier rapport, les membres ont effectué un relevé — non exhaustif, bien entendu — des différents anglicismes et emprunts à la langue anglaise qu'il est possible de croiser.
Le ministère de la transition écologique, au sein de sa Fabrique numérique, compte ainsi des « agents intrapreneurs, développeurs, product owner, business developer, coach produits, UX designer », quand le Musée du Quai Branly invite à assister à ses soirées « Before ». Le département de la Sarthe, de son côté, met en avant dans sa communication le slogan « Sarthe Me Up »...
Ces choix en matière de communication, souvent motivés par une volonté d'internationalisation des discours ou des images, ou par un souhait de modernisation, ne sont pas sans conséquence, explique la commission de l'Académie française.
La première porte sur les conventions d'écriture de ces termes empruntés à l'anglais : l'orthographe, notamment les marques du pluriel, les majuscules, les accents ou même des marques typographiques sont plutôt aléatoires, et compliquent parfois un peu plus la prononciation des mots employés.
Plus important, la syntaxe française se trouve bousculée par l'adoption de la structure synthétique de l'anglais au détriment de celle, analytique, du français. « Cela se traduit notamment la disparition des prépositions (une application mobile ; un coach produit ; le Manager Travaux), l’ordre des mots habituel en français en étant le plus souvent affecté et se combinant avec la suppression des articles », note la commission.
La juxtaposition des mots sans prépositions ni articles aboutit parfois sur des accumulations presque comiques, comme dans « Dailylive est 100 % compatible social live-streaming », « Plan Vigipirate urgence attentat », ou encore « Roissy aéroport test pour les recommandations EASA ».
Le risque de l'uniforme
Pointant une « évolution préoccupante », la commission de l'Académie admet que les mots étrangers peuvent combler des lacunes de la langue française, mais rappelle que nombre d'anglicismes sont utilisés « en lieu et place de mots ou d’expressions français existants avec pour conséquence immanquable l’effacement progressif des équivalents français ». Usages numériques et codes publicitaires facilitent et favorisent ces remplacements, avec le risque « d’une réduction à un dénominateur commun artificiel, robotisé, uniforme ».
La communication institutionnelle truffée d'anglicismes induit également « une discrimination croissante entre les publics » : « En effet, la volonté d’atteindre une “cible”, paradoxalement aussi étendue qu’indifférenciée, procède d’une illusion : on ne touche en fait qu’une frange réduite, privilégiée, éduquée, de la population, maîtrisant les langues étrangères et notamment l’anglais, seule une proportion restreinte des usagers et consommateurs étant en mesure d’appréhender pleinement le discours en vogue, sans pour autant unanimement l’apprécier [...] », explique la commission.
La construction d'une langue des « élites », d'ailleurs de plus en plus pratiquée par les élus, pourrait « alimenter cette défiance qu’on a vu se développer au cours des dernières années vis-à-vis des diverses autorités, qu’elles relèvent de l’administration, du monde politique ou de la sphère économique ».
À LIRE: l'Académie française tire les oreilles de l'administration
La commission de l'Académie craint ainsi une double fracture linguistique, sociale, d'une part, entre ces « élites » et un public moins familier de ces stratégies de communication, et générationnelle d'autre part, un public plus jeune et plus proche du numérique étant plus réceptif à ce type de messages.
Dans ses conclusions, la commission recommande aux institutions et autres entités, dans leur communication, de tenir compte « de la réalité sociale du pays » et de marquer leur personnalité en dégageant « des formes d’expression habituelles et neutres, conçues et formulées en puisant dans les vastes ressources existantes du français ».
« Il ne s’agit pas de s’opposer à l’évolution du français, à son enrichissement au contact d’autres langues », assure la commission, mais de « permettre que la langue française puisse participer à une mondialisation réussie : un enjeu sociétal, qui dépasse la seule langue, mais dont elle est un fondement majeur ».
Le rapport complet est lisible ci-dessous.
Photographie : illustration, Global X, CC BY 2.0
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4 Commentaires
NAUWELAERS
16/02/2022 à 00:44
«Sarthe Me Up» est probablement un jeu de mots intraduisible basé sur le lourdingue «Start Me Up» des Pierres Qui Roulent...à moins que l'Académie et cette commission tolèrent tout de même les Rolling Stones !
Piquant de constater que parmi les sommités du quai de Conti impliquées derrière le Secrétaire perpétuel Hélène Carrère d'Encausse -au masculin, elle y tient -on trouve un Anglais et francophile passionné: Sir Michael Edwards !
Il est exact que l'anglais a enrichi le français depuis très longtemps.
Mais la vieille antienne selon laquelle la lutte contre l'anglicisation abusive ne serait pas pertinente est spécieuse: à savoir, parce que de très nombreux mots français font partie de la langue anglaise.
Désolé mais les exemples cités plus haut pointent un déséquilibre réel mais toute la difficulté est: où donc placer le curseur puisqu'un certain nombre d'anglicismes est tout à fait acceptable (sauf pour quelques rares intégristes égarés qui sont victimes de leur ignorance quant à une pureté fictive de notre langue, qui n'a existé que dans leur imagination).
Néanmoins on admettra que des termes français idoines peuvent remplacer des anglicismes voire des «californismes» que n'appréciait pas feu Alain Rey.
Rey qui n'était pas du tout un puriste de la langue...
Aurait-il adoubé «iel» ou non dans le Robert qui l'a rendu célèbre ?
Je l'ignore.
On recommande de remplacer «spoiler» par le pompeux «divulgâcher».
J'aimerais que l'Académie et les gens attachés à la langue française réhabilitent enfin le bien plus beau «déflorer», que diable !
Je ne comprends pas plus un autre purgatoire linguistique: celui où croupit injustement le très répandu -autrefois -«surmenage».
Systématiquement remplacé par «burn -out»...
Mais tout espoir n'est pas perdu: dans le numéro de «Télérama» avec Stromae en couverture qui se termine ce mardi 15 février, l'artiste parle de «surmenage» dans l'interview...ou le grand entretien, plutôt !
Dans le monde de la nuit, qui donc utilise encore la dénomination «boîte de nuit», alors que même «night club» me semble en perdition ?
Ce qui est sûrement lié au mode de vie (même sans cette insupportable crise sanitaire qui ne génèrera plus de foyers d'infections pas plus que de «clusters», espérons-le !») plus qu'à une évolution du vocabulaire proprement dit.
Un anglicisme très ancien déjà est le dancing (je pense à un formidable titre méconnu de Guy Marchand intitulé «Dancing», en 1966 !).
Mais les jeunes d'aujourd'hui se rendent-ils en 2022 à des dancings, ainsi désignés ?
J'en doute fort...
Avant le dancing, on avait le mot «bal» qui désignait autant l'endroit pour danser que la fête elle-même, sous l'égide de Terpsichore !
On pense au très fameux Bal nègre, que de vrais intégristes incapables de faire preuve d'un recul historique et de la moindre faculté de contextualisation n'ont pas supporté de voir renaître sous son nom originel !
Malheureusement, on leur a lâchement cédé et c'est devenu le Bal Blomet alors que la grande Joséphine Baker, victime du plus abject racisme à divers moments de sa vie et militante antiraciste infatigable, s'éclatait sans arrière-pensées au Bal nègre, sis rue Blomet !
Les censeurs osent tout, c'est à cela qu'on les reconnaît.
Dans les bals puis dancings, on désignait durant des décennies la piste de danse, tout naturellement.
Devenue «dancefloor» et oui, on peut admettre que ce remplacement ne se justifie pas.
À part l'évidence selon laquelle le français est une langue prolixe et l'anglais une langue contrastée...
Cependant, «bulldozer» a bouté hors de l'usage le plus sobre «bouteur», c'est comme ça !
Je ne pense pas que la commission de l'Académie française s'en prendra au strip-tease...
Le film de Jacques Poitrenaud de ce nom «Strip Tease» (1963) comporte la chanson, ainsi intitulée, de Gainsbourg et Goraguer -pas mal du tout -par Nico.
Un premier film de ce nom «Strip Tease» était prévu à l'été 1959, avec Bernadette Lafont -mais le projet capota.
J'en ignore la raison mais je sais que remplacer le titre anglais par «Effeuillage» n'aurait rien arrangé, malgré la joliesse du mot !Et certains anglicismes disparaissent: les speakers d'autrefois sont remplacés depuis des décennies par des présentateurs alors que les speakerines -dont beaucoup ont la nostalgie comme mon compatriote Olivier Minne qui leur consacra un livre -ont disparu !Et une certaine boisson pétillante dont les campagnes publicitaires en France sont conçues en anglais était considérée autrefois comme «le drink des gens distingués» !À cette lointaine époque des années soixante, quand on luttait, non contre les anglicismes mais contre ce qu'on appelait le franglais !
Convie-t-on encore beaucoup ses amis et connaissances à un drink ?Non, contrairement aux lunch et autres brunch et j'en oublie.Qui eux sont des expressions et anglicismes tout à fait...up to date (dont l'usage semble diminuer mais un linguiste vigilant saura cela mieux que moi).
Je constate que le «one-man-show» est souvent remplacé par «seul en scène»: ce qui a le mérite d'éviter de stupides erreurs...je pense à la mention journalistique (pas de nom) d'un supposé one-man-show d'une humoriste, et appartenant bel et bien au sexe féminin (pas de non-binarité, je précise) !
En ce qui concerne les prépositions mises à mal, une petite remarque sans malveillance aucune à propos d'une phrase de
l'article: «La juxtaposition des mots...aboutit parfois sur des accumulations...»: objection Votre Honneur: elle aboutit à !
...à la conclusion du présent message, avec ma satisfaction de voir ce sujet traité sur ce site !
CHRISTIAN NAUWELAERS
Sonic
16/02/2022 à 16:58
L'inverse existe également. Je lis en VO en anglais et on trouve "he was fatigued", "he possessed", alors qu'ils ont déjà "he was tired" et "he owned". Y a-t-il une différence subtile ? Je l'ignore.
Le pb de l'Académie française est qu'elle a 40 ou 50 ans de retard sur la société. Ce n'est que récemment qu'elle a accepté qu'une présidente est une femme qui a un poste de président et non l'épouse du président. Je n'ai jamais entendu "Bonjour madame le pharmacien" de la part d'un client.
Auj même les titres de journaux sur internet comporte des fautes, les romans ne sont plus corrigés ou alors par des logiciels qui ne font pas leur travail. Le pass ou le passe, le ou la Covid (donc on devrait dire "la week-end" si on suit la logique de l'Académie française), that's the question. French language, you love it or you leave it.
NAUWELAERS
16/02/2022 à 22:11
«To possess», posséder.
«Fatigued», jamais vu.
La non-relecture que vous dénoncez est une évidence, qui n'a rien à voir avec l'Académie française...
Quant à moi, j'ai été vite en besogne en décrivant l'oubli du dancing ou de la boîte de nuit !
Avec les mesures actuelles, on les retrouve ici ou là !
CHRISTIAN NAUWELAERS
Laurent
18/02/2022 à 01:17
C'est LA covid parce qu'il s'agit d'un acronyme dont le "d" correspond à disease, c'est-dire maladie (d'où le féminin). Rien àvoir avec "week-end" qui n'est pas un acronyme. Je me demande comment vous justifiez le masculin "le" covid, qui en réalité est dû à une erreur initiale (confusion entre "le" coronavirus et "la" maladie à coronavirus).