Dans une rencontre à l’Institut Italien de Culture de Paris des éditeurs français et italiens se sont réunis pour renforcer les liens entre les deux pays, réfléchir autour de leur activité dans l’année 2020 et débattre autour des défis, nouveaux et anciens, du marché du livre.
Le 02/07/2021 à 10:02 par Federica Malinverno
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02/07/2021 à 10:02
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La rencontre s’est tenue le 29 juin 2020 à l’Institut italien de culture dans le but de renforcer les relations entre la France et l’Italie. Invités du matin Stefano Mauri, président du groupe éditorial Mauri Spagnol-GeMS ; Gianluca Foglia, directeur de Feltrinelli ; Tommaso Gurrieri, directeur de Clichy ; Philippe Robinet, directeur de Calmann-Lévy ; Liana Levi, qui dirige les éditions Liana Levi ; Pierre Dutilleul, directeur général du SNE (Syndicat National de l’Edition), Giovanni Sacchi, directeur dell'ICE (Agenzia per la promozione all’estero e l’internazionalizzazione delle imprese italiane) Parigi ; Fabio Gambaro, directeur du festival Italissimo e Diego Marani, directeur dell'Istituto Italiano di Cultura de Paris. La rencontre a été organisée en collaboration avec le CEPELL (Centre pour le livre et la lecture italien) et l’ICE.
L’objectif était de voir comment les éditeurs français et italiens ont vécu le défi de la pandémie en 2020 et comment se porte la filière du livre dans les deux pays.
Un portrait de la situation française a été initialement esquissé par Pierre Dutilleul. L’année dernière, les échanges entre les deux pays ont été réduits parce que la production a généralement diminué : en France en 2020 ont été produits 15 % de titres en moins. Le CA a baissé en 2020 de -2,3 %, mais il est quand même supérieur par rapport à celui de 2018. La croissance est particulièrement sensible dans le secteur de la bande dessinée (+6,3 % CA) et aussi dans celui de la littérature générale (environ +2 %). Le secteur des guides de voyage et des beaux livres a diminué jusqu’à environ 40 % en CA par rapport à l’année précédente.
La croissance des livres numériques et des prêts électroniques est par ailleurs importante. Cependant, il est difficile d’estimer le livre audio, car il n’existe pas assez de données. Il y a aussi une croissance de la best-sellerisation, car les lecteurs se sont jetés sur des auteurs déjà connus, des valeurs sûres.
Du point de vue méthodologique, en ce qui concerne la collecte des données, le directeur général du SNE a souligné qu’un système de suivi des livres devrait être mis en place, car aujourd’hui il n’existe que des estimations basées sur des panels, tels que GFK.
Le sujet du Salon du livre a été enfin abordé, en rappelant que la surface du Grand Palais, où se tiendra l’édition 2022, est de 8000 9000 m carrés (très différente des 20 000 mètres carrés de la Porte de Versailles). L’Inde devrait être invitée en 2022 et l’Italie sera par conséquent repoussée en 2023.
Pour Stefano Mauri, qui est intervenu ensuite, il faut savoir qu’en France, il y a 5 fois plus de lecteurs qu’en Italie. La scolarisation en Italie a 50 ans de retard sur la France. À cela s’ajoute le problème du déséquilibre de la lecture entre le Nord et le Sud du pays. C’est pourquoi il faut avoir à l’esprit qu’on compare des pays différents sous certains points de vue.
Il a ensuite rappelé les mesures du gouvernement (notamment les 30 millions d’euros alloués aux bibliothèques) qui ont favorisé la croissance du marché italien de l’édition, dont il a souligné l’augmentation de 30 % des livres numériques et de 120 % des prêts numériques dans les bibliothèques. L’absence de festivals a permis aux éditeurs d'économiser aux écrivains d'écrire davantage. C’est pourquoi Mauri prévoit une diminution des festivals, très présents en Italie, dans les prochaines années.
Il a enfin rappelé l’importance du numérique : le commerce électronique permet au catalogue de durer plus longtemps et les réseaux sociaux influencent les ventes et profitent au localisme, à la vente d’auteurs italiens. En même temps, le commerce électronique a provoqué une concentration un peu excessive des acteurs de ce marché, les grandes entreprises internationales (A… mazon). « C’était une année d’accélération de l’internet et il y aussi eu des effets positifs » – a-t-il conclut.
La parole a ensuite été donnée à Philippe Robinet, directeur général des éditions Calmann-Lévy. Il a souligné en France l’attachement au livre papier et l’importance du débat de société provoqué par les livres (« Le livre fait groupe, fait nation »).
Il affirme ne pas avoir remarqué le phénomène de bestsellerisation, étant donné que les livres de Musso ont connu une croissance de seulement 2 % par rapport à 2019, alors que la production globale de Calmann-Lévy a été réduite de 10 %. Parmi les tendances dans la littérature française d’aujourd’hui, il reconnaît une interrogation sur le monde qu’on est en train de construire.
Le nouveau directeur de l’Institut italien de Culture, Diego Marani, propose de réfléchir sur la perception de l’Italie en France et de la France en Italie. Apparemment il y a une sorte de « dérangement, d’équivoque, de problème de connaissance réciproque ». Pour mieux se connaître et apprendre à communiquer et dialoguer entre cultures, selon lui « l’Europe est notre seule issue ».
Il propose aussi de réfléchir au rôle des éditeurs : devraient-ils réaffirmer cette fonction de « pilotage, orientation de notre société » comme l’avait fait par exemple, rappelle-t-il, l’éditeur italien Einaudi, à une époque où « tout n’était pas dicté par le marché ». Et il va encore plus loin dans sa provocation : « Est-ce que le choix des livres est égal aujourd’hui à un choix de consommation ? »
C’est le tour de Foglia, directeur éditorial de Feltrinelli, qui souligne encore comme en 2020 qu’il y a eu l’accélération de plusieurs phénomènes : par exemple, qu’Amazon a vendu en un an (2020) 40 % des livres vendus en Italie.
Liana Levi reprend le discours d’un « agacement des Italiens vis-à-vis des Français » en affirmant qu’« ils ne pensent pas de la même façon ». Toutefois elle admire la solidarité interne des Français, la capacité de s’associer en catégories et défendre leurs propres intérêts.
Elle souligne l’absence en Italie d’outils comme l’ADELC ou le CNL (Il existe en Italie un Centre pour Le livre et la Lecture, CEPELL, mais il n’a pas autant de pouvoir et de moyens qu’en France), pour lesquels il faudrait prendre exemple des Français.
Elle précise enfin qu’on doit publier les livres si on peut les vendre et c’est pour cela que « nous devons nous battre pour ouvrir les portes à certains livres ».
Tommaso Gurrieri, directeur de Edizioni Clichy, une maison d’édition basée à Florence qui publie beaucoup de littérature française, raconte comment il a abordé cette année. Il dit avoir été initialement très préoccupé, mais finalement cela s’est bien passé, grâce aussi au fait d’être distribué par Mondadori et d’avoir misé sur la production de livres jeunesse. De plus, « moins de production signifie aussi moins de coûts ».
RENCONTRE: Tommaso Gurrieri, passionné de France
Il rappelle ensuite que « les éditeurs indépendants représentent la moitié du marché italien ». ADEI (l’Association des Éditeurs Indépendants) représente la moitié du marché. Pourtant, « Il y a un manque de collaboration réelle entre l’AIE et l’ADEI ».
En ce qui concerne le rapport entre littérature française et littérature italienne, Foglia réaffirme aussi l’engagement de Feltrinelli dans la littérature française (« Feltrinelli est constamment à la recherche d’auteurs d’au-delà des Alpes, et on publie déjà Mauvignier, de Kerangal, Pennac ») en soulignant qu’il est difficile d’intéresser la littérature française à l’Italie.
Liana Levi souligne comment la traduction des livres italiens en France s’est intensifiée : d’abord il y a eu Baricco, puis Saviano e puis Ferrante. Aujourd’hui elle remarque une « américanisation de l’édition, avec beaucoup d’agents qui font pression ». Mais son souci est toujours le même : « tous ces livres traduits se vendent-ils réellement ? »
Selon Gurrieri, publier des livres français en Italie est un « défi fou », car les Italiens ont « un sentiment d’infériorité, d’envie, d’agacement envers les Français ». La nouvelle collection de Clichy, Americana, en effet, se vend trois fois plus que la collection de littérature française qu’ils font depuis 15 ans.
Par rapport aux tendances appréciées par les lecteurs italiens, il dit qu’ils « en ont assez de l’autofiction — à l’exception de Carrère », et que donc il cherche des histoires avec des thèmes forts, comme celles de Régis Jauffret, qui parle de la multitude du monde, de la foule (voir Microfictions, Gallimard, 2007).
Crédit photo : ActuaLitté, CC BY SA 2.0
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