Au Luxembourg, le service juridique d’Amazon doit se baigner dans une piscine de champagne. La Commission européenne vient de se faire renvoyer par la Cour de justice de l’Union : le tribunal a considéré que les preuves apportées par la CE ne suffisaient pas pour confondre la filiale américaine. De la sorte, elle n’a pas démontré suffisamment « qu’il y a eu une réduction indue de la charge fiscale d’une filiale européenne du groupe Amazon ». CHAM-PAGNE !, on les entend d'ici...
Le 13/05/2021 à 08:57 par Clément Solym
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Publié le :
13/05/2021 à 08:57
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Le coup était sérieux : à compter de 2006, Amazon a mis en place deux structures en Europe pour ses activités : Amazon Europe Holding Technologies SCS (LuxSCS), société en commandite simple luxembourgeoise dont les associés étaient des entités américaines du groupe Amazon, et, d’autre part, Amazon EU Sàrl (LuxOpCo), filiale à part entière de LuxSCS.
Jusqu’en 2014, LuxSCS détenait les actifs incorporels et avait donc passé des accords avec les entités américaines — licence et cession des droits de propriété intellectuelle avec Amazon Technologies Inc. Elle avait donc la possibilité de les exploiter sur le territoire européen.
À ce titre, LuxSCS a conclu, notamment, un accord de licence avec LuxOpCo, en tant qu’opérateur principal des activités commerciales du groupe Amazon en Europe. En vertu de cet accord, LuxOpCo s’engageait à payer une redevance à LuxSCS en contrepartie de l’utilisation des actifs incorporels.
IMPÔTS: Amazon toujours exempté en Europe
Or, dès le 6 novembre 2003, les autorités fiscales luxembourgeoises octroyaient à Amazon une décision fiscale anticipative : cette dernière visait à obtenir confirmation du traitement réservé à LuxOpCo et à LuxSCS aux fins de l’impôt luxembourgeois sur le revenu des sociétés. D’un côté, LuxSCS n’était pas assujettie à l’impôt luxembourgeois sur le revenu des sociétés et d’autre part, était validée la méthode de calcul du montant de la redevance annuelle due par LuxOpCo à LuxSCS au titre de l’accord de licence précité. (voir notre premier article)
Pour la Commission européenne, cette décision anticipative représentait une aide d’État, selon l’article 107 TFUE. Donc, incompatible avec le marché intérieur et ses règles. Plus particulièrement, la Commission a conclu à l’existence d’un avantage pour LuxOpCo, dont la base imposable avait été artificiellement diminuée. Elle avait a ordonné la récupération, auprès de LuxOpCo, de cette aide illégale et incompatible avec le marché intérieur. Une demande contestée par le groupe Amazon et le Luxembourg, qui avait introduit un recours contre la décision.
Et la Cour de justice de l’Union européenne explique donc, ce 12 mai, date historique, que les preuves apportées par la Commission ne sont pas suffisantes pour confondre Amazon, dans son exercice d’optimisation fiscale, aimablement mis en œuvre par le Grand-duché.
Les juristes savoureront le communiqué de la CJUE, difficilement intelligible pour qui n'est pas spécialiste : plutôt que de prendre le risque de la résumer avec des erreurs, en voici tout le déroulé.
À cet égard, le Tribunal observe que, en présence d’une société intégrée à un groupe, les prix de transactions intragroupes ne sont pas déterminés dans des conditions de marché. Cependant, lorsque les entreprises intégrées et les entreprises autonomes sont assujetties à l’impôt sur les sociétés dans les mêmes conditions en vertu du droit national, il peut être considéré que ce droit entend imposer le bénéfice réalisé par une telle entreprise intégrée comme s’il résultait de transactions effectuées à des prix de marché.
Dans ces conditions, lorsque la Commission examine une mesure fiscale octroyée à une telle entreprise intégrée, elle peut comparer la charge fiscale pesant sur celle-ci en application de la mesure fiscale en cause avec celle d’une entreprise, placée dans une situation factuelle comparable, exerçant ses activités dans des conditions de marché, en application des règles d’imposition normales du droit national.
En outre, le Tribunal souligne que, dans le cadre de l’examen de la méthode de calcul du bénéfice imposable réalisé par une entreprise intégrée avalisée par une décision fiscale anticipative, la Commission ne peut constater l’existence d’un avantage qu’à condition de démontrer que d’éventuelles erreurs méthodologiques affectant, selon elle, le calcul des prix de transfert ne permettaient pas d’aboutir à une approximation fiable d’un résultat de pleine concurrence, mais, au contraire, à une réduction du bénéfice imposable de la société concernée par rapport à la charge fiscale résultant des règles d’imposition normales.
C’est à la lumière de ces principes que le Tribunal examine alors le bien-fondé de l’analyse suivie par la Commission au soutien de son constat selon lequel, en entérinant une méthode de détermination des prix de transfert qui ne permettait pas d’aboutir à un résultat de pleine concurrence, la décision anticipative en cause avait conféré un avantage à LuxOpCo.
Dans ce cadre, le Tribunal juge, d’une part, que le constat principal de l’avantage se fonde sur une analyse erronée à plusieurs titres. Ainsi, en premier lieu, dans la mesure où la Commission s’est fondée sur sa propre analyse fonctionnelle de LuxSCS pour affirmer, en substance, que contrairement à ce qui avait été pris en compte aux fins de l’octroi de la décision anticipative en cause, cette société était un simple détenteur passif des actifs incorporels concernés, le Tribunal juge cette analyse erronée.
En particulier, selon le Tribunal, la Commission n’a pas dûment pris en compte les fonctions exercées par LuxSCS aux fins de l’exploitation des actifs incorporels concernés ni les risques assumés par cette société dans ce contexte. Elle n’a pas non plus démontré qu’il était davantage possible d’identifier des entreprises comparables à LuxSCS que des entreprises comparables à LuxOpCo ni que le fait de retenir LuxSCS en tant qu’entité à tester aurait permis d’obtenir des données de comparaison plus fiables.
Par conséquent, contrairement à ce qu’elle avait retenu dans la décision attaquée, la Commission n’a, selon le Tribunal, pas établi que les autorités fiscales luxembourgeoises avaient erronément retenu LuxOpCo comme « partie à tester » pour déterminer le montant de la redevance.
En deuxième lieu, le Tribunal a jugé que, à supposer même qu’il y eût lieu de calculer le montant de la redevance de « pleine concurrence » en retenant LuxSCS comme « partie à tester » dans le cadre d’une application de la MTMN, la Commission n’était pas parvenue à établir l’existence d’un avantage dès lors qu’elle n’était pas davantage fondée à affirmer que la rémunération de LuxSCS pouvait être calculée sur la base d’une simple répercussion des coûts de développement des actifs incorporels supportés en relation avec les accords d’entrée et l’accord de répartition des coûts, sans prendre aucunement en compte l’augmentation ultérieure de la valeur de ces actifs incorporels.
En troisième lieu, le Tribunal juge également erronée l’évaluation donnée par la Commission de la rémunération à laquelle LuxSCS pouvait prétendre, au regard du principe de pleine concurrence, au titre des fonctions liées au maintien de sa propriété sur les actifs incorporels visés. En effet, contrairement à ce qui ressort de la décision attaquée, de telles fonctions ne peuvent être assimilées à une prestation de service « à faible valeur ajoutée » de sorte que l’application par la Commission du taux de rendement le plus souvent observé pour des prestations de services intragroupes à faible valeur ajoutée n’est pas appropriée en l’espèce.
Compte tenu de l’ensemble de ces considérations, le Tribunal conclut que les éléments avancés par la Commission à titre principal ne permettaient pas d’établir que la charge fiscale de LuxOpCo avait été artificiellement diminuée du fait d’une surévaluation de la redevance.
D’autre part, au terme de l’examen des trois constats subsidiaires concernant l’avantage, le Tribunal conclut que la Commission n’est pas davantage parvenue à établir, dans ce cadre, que les erreurs méthodologiques identifiées avaient nécessairement conduit à une sous-évaluation de la rémunération que LuxOpCo aurait perçue dans des conditions de pleine concurrence et, partant, à l’existence d’un avantage consistant en une réduction de sa charge fiscale. Plus particulièrement, si la Commission a pu valablement considérer que certaines fonctions exercées par LuxOpCo, en lien avec les actifs incorporels, allaient au-delà de simples fonctions de « gestion », elle n’a pas pour autant justifié à suffisance de droit le choix méthodologique qu’elle en a déduit.
Elle n’a pas non plus démontré en quoi les fonctions de LuxOpCo, telles qu’identifiées par la Commission, auraient dû nécessairement conduire à une rémunération supérieure de LuxOpCo. De même, tant en ce qui concerne le choix de l’indicateur du niveau de bénéfice le plus approprié qu’en ce qui concerne le mécanisme de plafond avalisé par la décision anticipative en cause aux fins de la détermination du revenu imposable de LuxOpCo, la Commission n’a pas satisfait aux exigences probatoires qui lui incombaient, pour autant qu’ils fussent erronés.
Autrement dit, les aides perçues par Amazon ne sont pas illégales... mais cela, personne n'en avait douté : l'optimisation fiscale étant une discipline dont la firme est devenue championne mondiale et olympique...
Crédits photo : Hello I'm Nik/ Unsplash
Par Clément Solym
Contact : cs@actualitte.com
2 Commentaires
PERCEVAL
13/05/2021 à 16:47
Doit on remettre le droit en cause? Amazon a t il droit au droit ?? ou faut il mettre en place des juridictions d exception comme en Chine, Russie ??? Le droit serait il l apanache des seuls bien pensants ?? Et pendant que les uns et les autres perorent, le monde tourne. je me souviens de Bezos a chicago lors de mon premier salon aux Usa, tout le monde se moquait de lui, Amazon vous connaissez?? Au lieu de deplorer nous devrions avoir des idees, et de la chance comme le pronait Napoleon
Aleph
14/05/2021 à 12:26
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