La recrudescence d’arnaques en ligne n’épargne plus personne. La mondialisation, simplifiant le commerce par-delà les frontières, offre toute latitude à l’imagination galopante des cybercriminels. Et comme le dirait la fable, tout escroc vit aux dépens de celui qu’il entourloupe…
Le 15/02/2024 à 12:55 par Nicolas Gary
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Publié le :
15/02/2024 à 12:55
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Le 10 novembre 2023, Jürgen Heine, vice-président de Kirchhoff Automotive — entreprise produisant des carrosseries pour tous types de véhicules – contacte Stéphane Husar, fondateur de la maison jeunesse ABC Melody. « Il est de tradition pour nous de fournir diverses associations pendant les fêtes et en début d’année. Cette fois, nous prévoyons d’inclure des livres dans les sacs qui seront distribués », à des associations françaises en Allemagne, explique-t-il.
Il commande ainsi 200 exemplaires de La Biblio d’Orazio, de Davide Cali et Sébastien Pelon — l’histoire d’un instituteur qui parcourt la Sicile dans un bus à trois roues, pour offrir des lectures aux enfants qu’il croisera. Le tout facturé 2283 €.
Le 16 novembre, Jürgen Heine s’agite, car son partenaire financeur a commis un impair : 25.500 € ont été versés à ABC Melody par erreur. Le VP Jürgen s'en inquiète auprès de l’éditeur : a-t-il bien reçu la somme, mais surtout, peut-il renvoyer le trop-perçu ? De son côté, l'éditeur prévient sa banque le 23 novembre : un montant de 25.500 € est crédité, pour un chèque qu'il n'a jamais endossé. Il réclame des précisions sur cette somme, au montant inhabituel – sans faire le lien. Mais dans la foulée, il accuse réception de la somme indue à son interlocuteur.
Pourtant, la signature figurant sur le bordereau de dépôt de chèque et celle qu'emploie M. Husar pour ses réglements n'ont rien à voir l'une avec l'autre, a constaté ActuaLitté. La jurisprudence impose un devoir général de vigilance et de vérification au banquier : déceler toute opération suspecte et prévenir son client de toute forme de préjudice. En outre, les articles L133-18 et L133-24 du Code monétaire et des finances encadrent par ailleurs les cas de fraude — signalement par l’utilisateur du service de paiement et obligation de remboursement par le prestataire dudit service.
Dans le cas présent, le client a sollicité l'agence – victime elle aussi d'un faux – et à de multiples reprises. D'autant que, dans l'intervalle, l'interlocuteur a renvoyé un nouveau RIB au nom de G. Art Deco, dont les coordonnées diffèrent de celles figurant sur le chèque. Pourquoi ce changement ? Juste une question de comptabilité, rétorquera Jürgen Heine.
Mais l’éditeur commence à douter et demande confirmation à sa conseillère. Durant plusieurs jours, il revient sur le sujet, réitérant ses soupçons : dans un mail du 30 novembre, elle lui précise que le service chèque se charge de vérifier l’affaire, sous un délai de 5 jours. Mais ajoute : « Vous pouvez en attendant enregistrer le RIB de votre client et effectuer le virement depuis votre application. »
Stéphane Husar interroge encore la sécurité de la transaction, mais sans réponse supplémentaire, s’exécute. Il s’étonne auprès de ActuaLitté que, pour une pareille somme, aucun contrôle de provision du chèque ne soit intervenu plus tôt : durant 10 jours, les 25.500 € figuraient bel et bien sur son compte. Une « affaire inhabituelle », reconnaît la banque.
Les relations avec le vice-président allégué de Kirchhoff Automotive et l’éditeur prennent ensuite une étrange tournure. Le renvoi d’argent effectué, preuve de virement à l’appui, Stéphane Husar reçoit le 5 décembre un email déstabilisant. La palette est bien arrivée… « [m]alheureusement, nous ne pouvons attribuer ces livres à personne ici et avons donc besoin de votre aide et de votre soutien. Pour ce faire, veuillez nous communiquer notre numéro de commande ou le nom de la personne qui vous a commandé ces livres », lui écrit une représentante la société.
Quid ? L’éditeur transfère le courriel au donneur d’ordre, qui rassure immédiatement : les ouvrages ont simplement été déposés à la mauvaise adresse.
Ce même jour, les choses se précipitent côté Bred : la conseillère responsable d’ABC Melody confirme que le chèque était sans provision et qu’il s’agit d’une fraude désormais avérée. Elle réclame ainsi un dépôt de plainte, à transmettre au Service Fraude. En parallèle, une demande de retour des fonds est adressée à la banque créditée — qui n’aboutira pas, confirme le service clientèle le 29 décembre. La plainte est déposée au commissariat du XIe arrondissement, le 6 décembre, pour « tentative d’escroquerie ».
ActuaLitté a sollicité Kirchhoff Automotive : sa (véritable) directrice Gouvernance, risque et Conformité est formelle : la société « n’a jamais contacté l’éditeur pour acheter des livres en vue de les offrir à des associations ».
La situation empire pour l’éditeur. Dans un courriel du 12 décembre, sa conseillère transfère un message, qui remonterait au 30 novembre : elle lui aurait souligné les risques à effectuer le remboursement de 23.216,20 €. Il aurait été adressé quelques heures après le premier message assurant qu’il est possible d’effectuer le virement. « Je ne suis pas en mesure de vous confirmer que vous puissiez faire le virement en toute sécurité. Nous devons au préalable contacter la banque et nous assurer de la solvabilité du chèque “délai 1 semaine environ) sous réserve que la banque du bnf nous réponde », peut-on lire.
Vérifications faites, cet email n’est jamais parvenu à l’éditeur qui s’étrangle : « Pour un pareil sujet, le moindre des services à attendre de sa banque, c’est qu’elle décroche son téléphone. J’ai alerté à de nombreuses reprises des doutes que j’avais : si ce message était si important, pourquoi ne pas décrocher son téléphone et me joindre ? »
La conseillère l’admettra : « L’affaire est effectivement grave. Et notre service fraude a connaissance de la situation et traite actuellement la situation. Je vous invite en attendant à ne pas répondre à l’escroc. De nombreuses fraudes ont lieu. Nous communiquons de plus en plus sur l’espace de nos clients via bredconnect. » Ce fut le dernier échange de l’année. Le 11 décembre, La Bred débitera les 25.500 € originellement crédités .
Avant les fêtes, l’éditeur adressera un courrier au procureur de la République, sans réponse encore à cette heure, détaillant cette triste affaire. Le service client Bred bottera en touche et le service de médiation de la banque, sollicité début janvier, n’a pas encore réagi. Enfin, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes est saisie.
Face à ce qu’il ressent comme « de l’arrogance et du mépris », Stéphane Husar, sur les recommandations de son diffuseur, Harmonia Mundi, prend attache avec ActuaLitté en janvier et relate sa « terrible affaire ». La banque refusait tout dédommagement. « Ce mail du 30 novembre où elle prétend m’avoir “précisé les risques de réaliser le virement demandé”, je certifie ne l’avoir jamais reçu. »
Lors d’un premier contact fin janvier, la direction de la communication de La Bred prétexte « le secret bancaire », justifiant le refus de commenter. D’autant qu’il nous manquerait des informations.
La banque reviendra vers nous 15 jours plus tard avec ce message : « La BRED ne peut que regretter la fraude dont a été victime notre client malgré l’appel à la vigilance qui lui a été transmis. Nous avons mis en œuvre les actions nécessaires au rappel des fonds et ainsi permis leur récupération partielle. La banque rappelle son obligation stricte de confidentialité [...]. » En somme, ActuaLitté fait fausse route.
Le cas de Stéphane Husar, jusqu’alors réglé, finit par mobiliser la directrice adjointe succursale. « Soudainement, on me demande ce qui s’est passé, ce que je souhaite et on m’indique que La Bred est à l’écoute de ses clients, quelle que soit leur taille », déplore l’éditeur.
Le 2 janvier, un remboursement très partiel est pourtant intervenu – finalement, la procédure de rappel, infructueuse au 29 décembre, aura abouti avec la nouvelle année. Stéphane Husar avait bien repéré la somme et sollicité sa comptable, n'en comprenant par l'origine. De fait, il n’a pas trace de message de sa banque à ce propos.
Les propos de la conseillère répondent-ils aux mesures de sécurité que l’on est légitimement en droit d’attendre de sa banque ? Le supposé email envoyé par la suite suffit-il à corriger le tir d’une réponse peut-être hâtivement expédiée ? Et quid de leur politique en matière d’escroquerie en ligne, de dédommagements ou de prise en charge des clients ? « Vous avez la position de la BRED. Nous n’avons pas à vous communiquer davantage d’informations », sinon qu'en matière de fraude, l'établissement respecte la loi.
Partenaire des Jeux olympiques de Paris, La Bred viserait-elle une médaille dans la catégorie service client ?
Crédits photo : ActuaLitté, CC BY SA 2.0
Par Nicolas Gary
Contact : ng@actualitte.com
Paru le 06/05/2022
36 pages
ABC Melody
15,50 €
13 Commentaires
Alex
15/02/2024 à 13:28
Vraiment très triste pour ABC melody. C'est une arnaque classique dont pas mal de graphistes et illustrateurs sont victimes : une petite commande de logo ou d'illustration et au moment du paiement un virement trop important “erreur du comptable“ et demande du trop perçu par le client / arnaqueur.
Broucouilles
15/02/2024 à 13:30
On oublie trop souvent en France que la banque, n'importe laquelle est AU SERVICE de son client, parce que nous en sommes les clients !
Démonstration faite une fois de plus !
Navrant
Alexandre
15/02/2024 à 13:31
Ouais. Ok. Mais bon ben d’accord, ça puait à 3 kilomètres son affaire. Le moindre des bons sens, en tant que chef d’entreprise, est de se poser 5 minutes en se disant : c’est quoi ce bordel ?
Les banques ne sont pas des anges mais il faut arrêter de les mettre au pilori à la moindre de nos propres incompétences.
Broucouilles
15/02/2024 à 14:46
Le cas de figure présenté dans l'article montre plus qu'un défaut de vigilance dans les vérifications qui incombent à l'organisme bancaire.
Et qui plus est, des impératifs légaux. Je vous rappelle que vous payez des frais, qui servent logiquement à financer les conseillers qui s'occupent de vous.
Ou alors, les banques deviennent gratuites, déresonsabilisées, et nous parlons d'une autre univers.
Bien entendu, professionnel ou particulier, il importe de se montrer attentif. Mais quand des responsabilités incombent, comme c'est le cas ici, votre relativisme mesquin ne sert à rien.
La Bred a failli, tout court.
DAVID
15/02/2024 à 13:42
Que d'énergie et de stress pour ABC ! Solidarité avec l'équipe d'ABC Melody.
PIerre D
15/02/2024 à 14:24
Petit éditeur, j'ai été moi aussi victime d'une arnaque similaire pour un préjudice heureusement moindre.
Ma banque ne m'a là aussi pas apporté beaucoup d'aide et a préféré envoyer par courrier simple l'avis de rejet du chèque retardant encore plus les possibilités d'interventions. Cette histoire a fragilisée économiquement ma maison d'édition qui peinait à se développer
Tatsu12345
15/02/2024 à 15:09
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yves abourachid
15/02/2024 à 16:13
C'est l'arroseur arrosé cette histoire.
Sans douter de la probité de cet éditeur, j'en ai connu qui étaient de véritables escrocs, notamment un dont le nom commence par M et se termine par N, les Editions de l'H....n.
Quant aux J.O. : no comment !
yoyo
15/02/2024 à 18:37
c est curieux dans le cas ou vous faites une erreur dans vos compte la banque n oublie jamais de vous facturer desfrais importants pour des lettres de relance ou des commissions d interventions dont on comprend mal la justification .
en revanche lorsque la banque se trompe je n ai jamais entendu dire qu il soit prévu dans le contrat la mème procédure....
les faillites des "sub prime" toutes causées par des erreurs d anticipation des banques ont toutes été compensées par de l argent public le votre et le mien suivant l excellent principe de la privatisation des gains et de la nationalisation des pertes....
averoess
17/02/2024 à 09:05
Editeur, j'ai été victime d'une tentative d'arnaque similaire. J'ai tout de suite informé la banque qu'elle m'avait crédité d'un chèque de 25500 € que je n'avais pas endossé ni remis a la banque, l'arnaqueur m'ayant assuré qu'il me paierait la commande par virement. Je n'ai donc pas donné l'ordre de remboursement. Par la suite le chèque a été rejeté car sans provision provenant d'un chéquier volé. Je n'ai pas répondu à l'arnaqueur me demandant si j'avais renvoyé l'argent...
Weirdaholic
17/02/2024 à 12:09
C'est malheureusement une arnaque bien connu (mais qui visait d'ordinaire des particuliers) :
https://www.hoaxbuster.com/societe/2005/08/29/chque-contre-virement
La banque aurait dû le savoir...
Pat
17/02/2024 à 13:27
Comme d'hab pour les arnaques, les banques sont à la ramasse, se dédouanent de tout.
"on envoyé un mail" ok super Jacqueline mais sinon tu peux appeler c'est pas juste une affaire de 30 euros là...
Il y avait un doute énorme et la nana dont c'est le métier lui dit quand même "oh ben vous pouvez le faire si vous voulez mais ya peut-être un risque mais pas sûr"😂 Dans un mail même pas reçu (sûrement jamais envoyé au passage)
Pour prélever frais et autre assurance (qui marche pas du coup) alors là les mecs ont zéro hésitation !
Dire que c'est ma banque aussi...Il va falloir être très prudent...
Dom
18/02/2024 à 23:49
Comme le dit Alex, c'est une technique classique qui touche le plus souvent les particuliers. L'escroc envoie une somme supérieure dont le transfert est annulable (comme un virement PayPal) un vendredi et demande un virement RIB pour rembourser la différence (qui lui n'est pas annulable). Le lundi, à la réouverture de la banque, le virement Paypal à été annulé. L'escroc garde la différence car le virement Rib, lui, n'est pas annulable.