Succès non négligeable pour un livre politique, Faire, signé François Fillon, s'est vendu à près de 122.300 exemplaires (données Edistat). À 20 € pièce, le chiffre d’affaires représentait plus de 2,4 millions € pour l'éditeur. Sorti en septembre 2015, le document allait préfigurer la campagne présidentielle du candidat, vainqueur de la primaire de droite. L'auteur est revenu sous le feu des projecteurs judiciaires, avec des hoquets quant au contrat de l'ouvrage.
Le 04/09/2021 à 12:55 par Nicolas Gary
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Publié le :
04/09/2021 à 12:55
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Le Parquet national financier, qui a ouvert l’enquête, a probablement quelques connaissances sur le droit des contrats dans l’édition. À cette heure, sont en effet interrogés les émoluments reçus par Maël Renouard, recruté comme assistant parlementaire entre novembre 2013 et septembre 2015. Dans les faits qui sont reprochés, la justice s’interroge donc sur les 38.000 € perçus sur cette période, en regard de l’activité réelle.
Or, tout porte à croire que Maël Renouard n’avait sur cette période pour seule mission que d’aider à la rédaction de Faire. L’enquête de Buzzfeed en 2017 et les réponses fournies par le candidat alimentaient la confusion : François Fillon niait le recours à un coauteur, quand ledit coauteur n’apportait que peu de précisions sur ses fonctions parlementaires.
Une fois encore, le rôle des collaborateurs de députés, exposé par l’Assemblée nationale, relève du flou gaussien. Les règles, clarifiées en 2018, inventorient les tâches confiées — et qui découlent tant des besoins du député que « des compétences de la personne recrutée ». De fait, engager un écrivain pour un travail administratif ou de secrétariat paraît douteux : Maël Renouard, philosophe, normalien et agrégé, apparaîtrait légèrement surqualifié pour ces tâches.
La qualification pour ce qui est de la rédaction de propositions de loi ou d’amendements intrigue également. L'écriture de discours, elle, devient plus plausible — Maël Renouard fit partie des plumes de François Fillon, Premier ministre entre 2009 et 2012. Quant à la rédaction d’un ouvrage politique, si l’auteur ne s’est jamais distingué dans cette catégorie, au moins avait-il une connaissance des idées du candidat, pour lui avoir longuement prêté les mots nécessaires.
« Il est stupéfiant de prétendre qu’un collaborateur parlementaire ne puisse pas participer à l’écriture d’un livre politique par un député », indiquait à l’AFP l’avocat de François Fillon, Me Antonin Lévy. Dans les faits, les collaborateurs relisent, certes, mais il serait bel et bien stupéfiant qu’ils y engageassent quasi deux années pleines de rédaction, aux frais de la République. Surtout quand un contrat d’édition est engagé. Par ailleurs, il y a loin entre participer et écrire pour le compte de, voire à la place de...
Si l’industrie du livre prend parfois des allures de Far West, elle est régie par quelques règles : le Code de la propriété intellectuelle en fait partie. Son article L. 113-1 indique que la qualité d’auteur « appartient, sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui l’œuvre est divulguée ». Ainsi, une plume missionnée pour l’écriture d’un livre, n'aura pour unique moyen d’exister que donc de figurer sur le contrat d’édition.
À ce titre, le rédacteur de l’ombre — désormais appelé coauteur ou ghostwriter — a deux possibilités. Traditionnellement, c’est à dire, en dehors de tout arrangement spécifique, ce dernier est logé à même enseigne que l’auteur : un contrat d’édition, avec une avance et pourcentage sur les ventes, dès lors que ces dernières ont remboursé l'à-valoir versé. Bien que les contrats diffèrent suivant les maisons, une tendance se dégage : l’auteur officiel perçoit généralement plus sur les droits d’auteurs, tandis que le ghostwriter recevra une somme plus importante sur l’avance.
« On propose assez facilement une répartition de 60 % pour la personnalité et 40 % pour le coauteur, sur le pourcentage de droits reversés », nous indique un éditeur. « Sur les avances, cela peut varier, suivant la personnalité en question entre 4000 et 14.000 €. » Voire plus, selon nos informations. « Mais pour les politiques, c’est toujours compliqué », précise un autre. Comprendre : personne ne souhaite vraiment s'engager dans le descriptif des détails opérationnels.
En l’état, le Parquet s’interroge donc sur les sommes perçues par l’attaché parlementaire durant sa mission. Mais s’il y a un contrat d’édition classique, Maël Renouard aura également pu recevoir de l’argent directement versé par Albin Michel. Loin de la double peine, on basculerait dans le double bonus ?
Contactés sur ce point, pas plus l’éditeur du livre, Alexandre Wickham, que Gilles Haéri, président des éditions Albin Michel depuis janvier 2019, et directeur général de la holding, n’ont retourné nos demandes d'explications. Gageons que le Parquet aura plus de chance.
Les hypothèses s'avèrent cependant toutes aussi discutables les unes que les autres. Soit le coauteur a été rémunéré deux fois — avance et émoluments d’attaché parlementaire. En ce cas, il est épatant d’être payé deux fois pour la même tâche, avec un contrat de droit privé. Et s'ajoutent ensuite les droits d’auteur - selon la presse, l’ouvrage aura rapporté 250.000 € à François Fillon, soit 10 %.
APARTÉ : Le dernier baromètre SCAM-SGDL 2021 fait état d’une moyenne de 8,2 %. « En littérature générale, la majorité des contrats (52 %) prévoit un taux de droits d’auteur de 10 à 15 %. Mais 11 % des auteurs et autrices perçoivent moins de 5 % ; 34 % perçoivent de 5 % à 10 % ; 1 % perçoit 15 à 20 % et seulement 2 % perçoivent plus de 20 %. »
En outre, nombre de contrats fonctionnent par palier : le pourcentage augmente en fonction du nombre de vente. Mais admettons : 10 % pour François Fillon… et combien alors pour son ghostwriter ?
Autre option : Maël Renouard ne figurait pas dans le contrat d’édition, ce qui étonnerait une grande partie de la profession. En ce cas, il aurait été payé strictement sur des fonds publics pour coécrire un livre dont seul Francois Fillon aurait perçu l'avance et les droits d’auteur. C’est-à-dire que les impôts du contribuable ont payé la rédaction, mais François Fillon qui a encaissé les bénéfices. Un fait suffisamment rare pour être souligné.
Enfin, ultime piste, le contrat de droit privé prévoyait un coauteur rémunéré directement par François Fillon sur ses fonds personnels et alors celui-ci l’a fait payer par des fonds publics plutôt que de mettre la main à la poche. De quoi gentiment glisser vers d’insondables abîmes de perplexité.
Selon l’avocat de François Fillon, exhumer cette affaire viserait avant tout à décrédibiliser son client, alors que l’appel du précédent procès doit intervenir prochainement. Pour d’autres, ce calendrier judiciaire se télescoperait avec celui des présidentielles approchant, dans la perspective purement électoraliste d’éliminer un rival ?
Que l’on se rassure : côté La République en Marche, certains députés n’ont pas hésité à recourir à leur collaborateur parlement faire, sur leur temps de travail, les relations presse et la communication de leur propre ouvrage.
L’autre question, plus insidieuse, sera de découvrir si Albin Michel accepterait un prochain livre du potentiel candidat, mis en cause – après avoir refusé celui d’Éric Zemmour pour incompatibilité politique. « Pour autant, la liberté d’un éditeur de publier ou de ne pas publier un livre est tout aussi inaliénable. Comme celle de refuser de voir toute une maison risquer d’être instrumentalisée au service d’un calendrier et de visées politiques personnelles, très éloignées de notre mission d’éditeur », assurait Gilles Haéri.
En cas de convocation de son auteur par la justice, où se situe la liberté éditoriale ?
Les éditions Albin Michel ont répondu pour partie à nos questions : « Les éditions Albin Michel n’ont jamais signé de contrat avec M. Maël Renouard et n’ont aucun commentaire à faire sur la question que vous évoquez. »
crédit photo : European People's Party, CC BY 2.0
14 Commentaires
Henri Paratte
04/09/2021 à 23:21
Cette situation soulève en effet de nombreuses questions. On pourrait en ajouter une, qui est celle des ventes: y a-t-il vraiment tant de lecteurs et lectrices que cela, sachant pertinemment que ces bouquins ne sont jamais écrits par leur auteur supposé, qui ont acheté ce livre qui est au fond de la propagande électorale à peine déguisée (comme ceux de tous ses prédécesseurs, bien entendu). Ou des achats massifs, semi-fictifs et artificiels, ont-ils été organisés pour pouvoir gonfler les chiffres des ventes? Une chose est sûre, ces livres qui peuvent être 'écrits' parfois par jusqu'à quatre ou cinq 'plumes' sont un véritable marécage. Et Fillon a peut-être loupé son rendez-vous avec l'histoire, mais pas avec le fric...
jujube
05/09/2021 à 04:48
Un diagnostic brillant et pointu, Monsieur Gary; un texte de maître et belle écriture; un petit fumet de polar avec maintes pistes à suivre à la loupe.
Waw, ça m'a plu! Merci!
Vivement la suite du feuilleton!
Arthur Magnus
06/09/2021 à 12:21
Marrant, le papier m'a laissé l'impression inverse : méandreux, trop long, basé sur bien trop d'hypothèses ("tout porte à croire"... "paraît douteux"... "devient plus plausible"... "il serait bel et bien stupéfiant").
Interrogation légitime, traitement médiocre (et surtout, je le répète, bien trop long. On pouvait résumer l'affaire de manière bien plus synthétique, me semble-t-il. Le papier en aurait gagné en force.) (Tout cela bien entendu à mon humble avis, mais j'ai nettement préféré l'article du Monde https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/09/03/affaire-des-assistants-parlementaires-francois-fillon-vise-par-une-nouvelle-enquete_6093255_3224.html sur le sujet. Le papier de Nicolas Gary – que je salue au passage (NG, pas son papier ;) ) –, a pour lui qu'il se penche davantage sur ce qui est contractuel, CPI etc)
Quant à "Belle écriture"... Quid de "n’ont retourné nos demandes d'explications" (ça se retourne, des demandes d'explications ? Il me semble qu'on y répond ou y réagit, plutôt.) et de "parlement faire" (j'ai cru à un jeu de mots, à première lecture, mais il semble bien que Nicolas Gary voulait écrire "parlementaire pour faire/effectuer") ?
Nicolas Gary -ActuaLitté
06/09/2021 à 12:25
Bonjour Arthur
Justement, nous venons de mettre à jour l'article avec ladite réaction précédemment non retournée de la maison.
Pour ce qui est des hypothèses, pardon pour les méandres, mais il est compliqué d'affirmer sans preuves. Alors, il reste le flux des interrogations, et elles sont multiples, comme vous le voyez.
Je tâcherai de mieux faire.
jujube
06/09/2021 à 23:01
@Arthur Magnus (quel beau nom!)
Chacun son style.
Moi j'apprécie celui de Nicolas Gary. Cette appréciation contemple l'ensemble de ses textes.
Tout d'abord, l'auteur est très bien informé sur ce qu'il écrit et puis, c'est un professionnel de la langue française, expert en concordance des temps (fait très rare aujourd'hui et que j'associe à "la belle écriture": celle que l'usager respecte), jongleur habile et grand amateur des jeux de mots - savants ou non, inattendus souvent et parfois gentiment moqueurs.
Il accepte les critiques qu'il juge recevables et, facilement, reconnait le manque ou l'erreur qui, malencontreusement, a pu s'égarer dans ses phrases. Enfin, son sens de l'humour ne lui lâche jamais la main.
Dans son "papier" sur l'exploit littéraire du sieur Fillon, Monsieur Gary a écrit avec prudence, tout simplement. Il n'accuse pas , n'invente rien ni ne prétend apporter des preuves. Bref, il nous donne du "suspens", l'envie d'en savoir plus et l'intention de lire avec avidité la suite.
Pas mal, non?
Arthur Magnus
08/09/2021 à 11:50
Jujube, quel dithyrambe !
Loin de moi l'idée de vouloir que Nicolas Gary accuse sans preuves (et il est bien trop fine mouche pour s'y risquer)...
À ce niveau, le problème que présente à mes yeux son papier, c'est justement qu'à ce jour, rien n'est établi. On peut apprécier l'exercice consistant à développer des hypothèses basées sur un certain nombre de faits à ce jour non avérés, ce n'est pas pour ma part ce que j'attends d'un site d'actualité. (Pourquoi ne pas attendre un peu que le brouillard qui règne sur et autour de cette affaire se soit éventuellement un peu dissipé ?)
D'autant plus qu'il est déjà arrivé à Nicolas Gary de déraper en rédigeant un papier "d'hypothèses" de ce genre. Dans ma mémoire défaillante (je n'arrive pas à remettre la main sur ce bon Dieu de papier), il s'agissait d'une attaque d'un cadre du CNL (cadre dont je n'avais jamais entendu parler) qui, parce qu'il avait des responsabilités dans un autre organisme, était forcément malhonnête aux yeux de Nicolas Gary, qui ne l'écrivait bien entendu pas frontalement, c'était comparable dans la manière de dénigrer sans preuve aux "tout porte à croire" et "il serait stupéfiant que" qu'on trouve ici.
jujube
08/09/2021 à 23:23
Merci, Arthur Magnus, d'avoir pris la peine de me répondre.
Est-il moins grave ou pas d'être dithyrambique qu'arthritique ou logarithmique (on dirait que ces mots, une fois lâchés dans la nature, piquent comme des moustiques, vampirisent comme des tiques et cognent comme des triques)?
Bon, je rigole mais préfère l'adjectif "élogieux" qui a de meilleurs yeux pour voir les choses, me semble-t-il.
J'aime le style de Nicolas Gary, je vous ai expliqué pourquoi.
Savoir qu'il peut se tromper de temps à autres me ravit: il est donc plus qu'un habile traceur de mots chez ActuaLitté. C'est aussi un être humain, faillible comme tout le monde...et n'en est pas mort.
Attention, si c'était le cas, évitons de confondre l'opinion d'autrui non partagée avec l'erreur ou l'égarement. Cela ne mène qu'à des complications et ennuis.
Vous avez vraiment un très beau nom!
Cordialement,
Jujube
Arthur Magnus
09/09/2021 à 18:15
Tenez, Jujube (pseudonyme qui m'évoque immanquablement Gotlib), j'ai fini par retrouver l'article en question
https://actualitte.com/article/7412/auteurs/directeur-de-la-sgdl-et-conseiller-litteraire-des-jeux-olympiques-de-paris
... juste pour le plaisir, bien sûr ;), de vous donner une nouvelle occasion de nous répéter combien Nicolas Gary est beau, est grand, est tout ce qu'il y a de recommandable (ce dont je ne doute pas un instant, d'ailleurs).
Nicolas Gary - ActuaLitté
09/09/2021 à 18:52
Bonjour Arthur
Je me doutais que vous pointeriez ce papier, et en le relisant, vous conviendrez avec moi que les réponses fournies sont plus que floues.
Et ma mère serait d'accord avec vous : je suis très beau :)
Arthur Magnus
09/09/2021 à 22:56
Bonsoir Nicolas, vous pouviez en effet vous douter que je "pointerais" ce papier puisque j'y faisais allusion deux commentaires plus haut...
Quant aux réponses plus que floues, je conviens volontiers, mais ce n'est pas ce qui me gênait (et continue de me gêner) dans votre papier.
jujube
09/09/2021 à 22:49
Cher Arthur Magnus:
Merci pour votre link, mais sachez que je n'y aurai pas accès parce que le thème ne m'intéresse pas.
Je ne connais pas Monsieur Nicolas Gary, ne l'ai jamais vu ni écouté sa voix, mais son style me convient. (Et que dire du diagnostic de sa maman)?
J'apprécie aussi les personnes persévérantes et mêmes obsessives: elles ont le courage de leurs opinions et s'engagent avec vigueur. Pardon, mais pas toujours sur la bonne voie.
Vous m'êtes très sympathique et je désire que vous preniez grand soin de vous dans ces moments de pandémie intolérable.
Avec beaucoup de sympathie,
Jujube,
Famille: Rhamnacea, espèce: Z. jujuba, genre: Ziziphus, ordre: Rosales
Marie
05/09/2021 à 09:01
Sa main sur le coeur, montrant qu'il était croyant, est inoubliable...Un TARTUFFE de la pire espèce, doublé d'un Harpagon, merci Molière, visionnaire.
jujube
05/09/2021 à 22:17
Sera-t-il puni ou canonisé, ce bipède?
Pic
06/09/2021 à 07:15
Vous découvrez la politique ?
Macron, qui a été élu grâce aux juges qui ont « spontanément » déglingué Fillon, est celui qui a osé dire que son truc qui ne marchait pas n'était pas un échec (entre autre monument de conneries que sa majesté nous a adressé depuis des mois).
À partir de là, ces gens-là vivent dans un monde bizarre qui n'a rien de commun avec celui du péquin lambda.