Même si d’après les données AIE-Nielsen l’édition italienne a connu une croissance de 2,4 % cette année, des inquiétudes persistent, ainsi que des questions à résoudre. Voici, en suivant ce qui a été dit pendant le Forum del libro — une rencontre de professionnels du livre italiens qui a eu lieu il y a quelques jours — le bilan d’une année surprenante, entre ombres et lumières. Ou « le miracle du livre ».
D’après les données de l’analyse de marché réalisée par le Bureau des études de l’Association des éditeurs italiens (AIE) en collaboration avec Nielsen, présentées le 29 janvier 2021 lors du Séminaire de perfectionnement de l’École de librairie Umberto et Elisabetta Mauri, l’année du livre italien s’est terminée avec une légère croissance par rapport à 2019. C’est ce que l’association Forum del libro, fondée en 2006 pour promouvoir la lecture, a appelé, entre autres, le Miracle du livre, titre de la réunion qui s’est tenue en ligne le 5 février 2021 et qui a permis de mieux réfléchir aux lumières et aux ombres de l’édition italienne.
ROME: une libraire menacée d'expulsion
Encadré par Maurizio Caminito, président du Forum del Libro, et par la journaliste Maria Teresa Carbone, cet événement a accueilli les discours du président de l’AIE Ricardo Franco Levi, du président de l’Association des libraires italiens (ALI) Paolo Ambrosini et de nombreux autres invités, universitaires et professionnels du monde du livre. Voici les principaux sujets.
Comme le rappelle Giovanni Solimine, président du prix Strega, (le « Goncourt italien »), en ce qui concerne la lecture, nous ne pouvons analyser l’année 2020 en bloc, car les réactions des lecteurs ont été différentes entre la première et la deuxième partie de l’année, avec une réponse des lecteurs de plus en plus positive. La situation s’est améliorée pour différentes raisons, dont le fait que dans la deuxième phase du confinement (en automne dernier) « il y avait une disponibilité de revenus au sein de certaines classes sociales, comme les enseignants ou les opérateurs culturels », catégories socioprofessionnelles qui d’habitude sont parmi les principaux acheteurs des livres.
Plus généralement, à quoi doit-on cette reprise ? Les facteurs positifs évoqués par les différents intervenants sont multiples. Ricardo Franco Levi rappelle par exemple « la capacité entrepreneuriale des éditeurs et des libraires, ainsi que la capacité d’écoute et d’intervention des institutions publiques et des structures administratives gouvernementales ».
Pour se rendre pleinement compte de l’efficacité des mesures prises par l’État italien en faveur de la lecture et de la culture, il faudrait remonter à 2017. Comme nous explique encore Solimine, la baisse du secteur éditorial dans les années 2011-2016 n’était que faiblement liée à une contraction généralisée de la consommation, car une très forte baisse a été enregistrée chez les jeunes générations : « Le vrai problème a été le déplacement de toute une génération de lecteurs vers les réseaux sociaux et l’internet. »
Comment s’est donc produite la reprise de 2017 ? « Depuis 2016, le gouvernement a crée le Bonus Cultura ou App18 [500 euros à dépenser dans le secteur culturel pour les jeunes de 18 ans]. Pendant les années de crise, il y avait eu une perte de 241.000 lecteurs parmi ceux qui auraient eu 18 ans en 2016 et, depuis 2016, 183.000 ont été récupérés. Un résultat si important découle notamment de l’app18. »
Ces efforts pour une politique publique du livre ont été poursuivis en février 2020, quand la loi pour la lecture a été annoncée, avec des mesures significatives comme le crédit d’impôt pour les librairies, qui s’élève à 18 millions €, ou le soutien aux petits éditeurs et aux traducteurs. De plus, la présidente de la commission pour la culture de la Chambre des députés Flavia Piccoli Nardelli rappelle qu’il « il existe un amendement qui prévoit la prolongation de la mesure en faveur des bibliothèques jusqu’en 2021 [il s’agit de la loi selon laquelle les bibliothèques ont reçu 30 millions d’euros à dépenser pour l’achat de livres dans des librairies de proximité] ».
Le succès du numérique : podcast, ebooks et prêts numériques
Un autre thème important et assez controversé est celui du numérique. Comme l’affirme Giulio Blasi, directeur de Horizon Unlimited srl (www.medialibrary.it, ou MLOL, le premier réseau italien des bibliothèques numériques) « nous devons bien distinguer notre crainte des monopoles avec l’équation numérisation-concentration (…) ».
D’après lui « le commerce électronique est innovant pour tous les secteurs de la chaîne et le numérique est un élément destiné à améliorer l’efficacité du système ». En effet le numérique apparaît au centre de plusieurs dynamiques, parfois positives, parfois négatives, et influence plusieurs domaines, de celui de la commercialisation à celui de l’événementiel, en passant par celui des infrastructures numériques.
BIBLIOTHÈQUES: une crise profonde en Italie
Une note positive est l’augmentation des prêts numériques dans les bibliothèques, liée à une accélération générale de la culture numérique. Giulio Blasi affirme que « dans le premier confinement les bibliothèques ont vu une augmentation de 200 à 250 % dans notre plate-forme [MLOL], une croissance globale par rapport à l’année précédente de 100 % ». Un résultat extraordinaire qui dépend aussi du fait que les bibliothèques travaillent avec le numérique depuis 2009.
Marino Sinibaldi, président du Cepell (Centre pour le livre et la lecture), en prenant l’exemple du boom de la consommation des livres numériques, livres audio et podcasts, souligne l’importance de ces nouvelles formes de lecture. Il affirme que « ces environnements inédits sont devenus familiers », en instaurant « une nouvelle confiance envers les technologies ». En même temps il faut considérer que les présentations des livres et les festivals se sont parfois tenus sous forme hybride ou intégralement numérique.
D’autre part, le numérique n’est pas que porteur de nouveaux espoirs… Plusieurs interlocuteurs manifestent la crainte que le marché du livre soit affecté par des « concentrations verticales qui provoquent des distorsions dans le commerce électronique, dans la logistique », comme l'affirme Solimine. On va donc vers ce qu’on pourrait appeler des problèmes de monopole. Des craintes qui avaient émergé aussi à l’occasion du dernier séminaire de l’école des libraires Umberto et Elisabetta Mauri.
Bruno Mari, vice-président de Giunti Editore, un important groupe éditorial italien, explique tout cela avec des données élaborées par le Bureau de recherche Giunti : il affirme que cette année « le poids en pourcentage sur la valeur totale du marché de la part d’Amazon est passé d’environ 26 % à 37 %. » Cela pourrait sans doute provoquer des problèmes d’équilibre dans le marché, mais aussi un appauvrissement de la diversité. « Nous devons trouver un moyen d’introduire un système de régulation qui empêche un phénomène de distorsion comme celui qui se produit actuellement. »
En plus de la crise de certains secteurs comme celui de l’édition scolaire, du beau livre et du tourisme et de celle des chaînes de librairies, un autre problème qui a été soulevé est celui du « manque de synergie entre les imaginaires du cinéma, des séries télé, des jeux vidéo et celui de la lecture » comme le suggère l’autrice et journaliste Loredana Lipperini. En effet la croissance du temps consacré à ces activités demeure plus importante que celle de la lecture.
Qu’est-ce qu’il reste donc à faire pour le livre italien ? Ricardo Franco Levi indique des points pour l’engagement futur de la filière : « Stabiliser les interventions des dernières années ; soutenir les investissements pour l’innovation ; soutenir l’élargissement du réseau, dans le but d’avoir plus de librairies et plus de bibliothèques en Italie ; lutter contre la pauvreté éducative et soutenir le droit à l’étude. » Il soulève enfin d’autres questions importantes, comme le débat sur le droit d’auteur et la lutte contre le piratage.
En ce qui concerne l’avenir, on pourrait donc imaginer une intensification des politiques publiques en matière de lecture et un renouvellement des initiatives qui ont fonctionné. De ce point de vue, sont importantes bien évidemment les bibliothèques et les écoles, mais aussi les familles, d’après Paolo Ambrosini un pilier fondamental pour une bonne stratégie de promotion de la lecture. Il souhaite aussi un nouveau pacte dans la chaîne d’approvisionnement du livre.
Une autre proposition intéressante est celle d’étendre aux 14-17 ans, très pénalisés par l’enseignement à distance — qui a été appliqué massivement en Italie dans les lycées — l’app18.
Il serait important aussi de penser à des politiques de réglementation dans le commerce électronique et de réduction des avantages fiscaux de certains opérateurs.
Marino Sinibaldi et la professeure de l’Université Bocconi Paola Dubini suggèrent enfin un dernier point : l’importance de « l’expansion de l’expérience culturelle privée [visionnage de séries, films, lecture de livres] qui a pris des dimensions extraordinaires et incalculables », ainsi que de l’épargne privée des familles et des entreprises. Le problème est donc d’obtenir des données fiables et de savoir comment valoriser cette expérience privée de la culture du point de vue collectif.
crédit illustrations : ActuaLitté, CC BY SA 2.0
Commenter cet article