Information ActuaLitté : La visite de François Hollande à la BnF était porteuse de plus d'un symbole. Aller porter des roses dans l'établissement qui porte le nom du dernier président socialiste, François Mitterrand, avait déjà de quoi faire sourire, pour ce qui est de la réappropriation des lieux. Mais sur place, le président a été accueilli par un Bruno Racine au comportement pour le moins charmeur, comme nous l'ont rapporté plusieurs personnes présentes.
Le 11/05/2012 à 15:55 par Clément Solym
Publié le :
11/05/2012 à 15:55
C'est pour un hommage que François Hollande était venu rendre visite à la BnF, en compagnie de Mazarine Pingeot, la fille de François Mitterrand, et d'Aurélie Filippetti, ce qui ne devrait plus laisser trop de doutes planer quant à sa nomination au ministère de la Culture. Soit. Au cours de cette visite, c'est une rose que Mme Pingeot et M. Hollande ont déposée sur la plaque commémorant l'inauguration du bâtiment - qui s'était déroulée le 30 mars 1995.
« Parler de François Mitterrand, j'aurais pu le faire sur son parcours politique, ce qui l'avait conduit à la victoire le 10 mai, mais je voulais aussi parler de ce qui est, à mes yeux, le rôle d'un président de la Ve République, pour un homme de gauche, de donner à la culture toute sa place », commenta simplement François Hollande. Une parole et un geste commun forts, évidemment, qui ont été suivis d'un tour du propriétaire organisé par Bruno Racine. Évidemment.
Un bon nombre de photos sont d'ailleurs disponibles sur le site du Parisien.
Back to the roots !
La BnF a connu de tristes heures, ces derniers mois, et n'a manifestement toujours pas retrouvé le sourire. En effet, en février dernier, ActuaLitté dévoilait en exclusivité les coulisses de la numérisation effectuée par la société Jouve, dans une prestation proche du ‘ni fait, ni à faire'. Des livres abîmes, voire salement abîmés, des délais de traitement de la numérisation non respectés, une volumétrie bien en deçà de ce que le marché public exigeait. Bref, la numérisation des oeuvres posait un sérieux problème. (voir notre actualitté)
Jouve avait répondu, dans un premier temps, aux interrogations de ActuaLitté, avant de couper tout contact, manifestement un peu agacé de notre volonté d'y voir clair. « Plus d'un million de pages ont déjà été numérisées et la montée en charge constatée actuellement permettra de respecter les engagements contractuels à la fin de l'année 2012 », assurait la société.
Et durant l'intervalle, le syndicat FSU avait demandé des comptes à la société, affolé par une situation qui virait au cauchemar : « Les réponses lénifiantes apportées par la direction de la BnF aux questions des journalistes ne laissent pas d'interroger.Comment, en effet, nier la réalité d'un dérapage généralisé et renouveler sa confiance à Jouve quand ce dernier continue de saccager les livres fragiles qui lui sont confiés et n'a, de surcroît, traité que moins de 0,5% du total du marché de numérisation ? »
Même le ministère de la Culture s'était ému, tant de la dégradation des ouvrages, que de la mauvaise exécution « C'est plus compliqué que prévu et cela prend plus de temps, nous a depuis votre article expliqué l'établissement, mais selon Arnaud Beaufort [Directeur général adjoint de la BnF, NdR], la montée en charge devrait se régler prochainement », se justifiait la BnF. Mais au ministère, on commençait à trouver le temps long. « Il est possible pour la BnF de faire des observations, ou de se montrer plus menaçante, en appliquant des pénalités suite au retard, par exemple, mais le ministère n'a pas le pouvoir de le faire. Sur un marché de cette ampleur, les réglages techniques sont toujours nécessaires. Mais effectivement, cinq mois après la phase de test, [validée fin septembre 2011, NdR], cela commence à être un peu long. Si dans deux ou trois mois, la situation est inchangée, il faudra aviser. » (article du 9 février)
Or, ActuaLitté est en mesure d'affirmer aujourd'hui que les trois mois arriveront prochainement à échéance, et que la situation n'a pas vraiment évolué.
On coupe, on rase, on remplace
Ce que ne nous avait pas dit le ministère de la Culture, c'est que de fortes pressions étaient exercées sur le groupe Jouve, entraînant ainsi la démission de Pierre-Vincent Debatte, alors directeur général du groupe Jouve, qui a été remplacé le 13 mars par Thierry Tomasov. Ce dernier a « pour mission d'accélérer le développement du groupe, d'optimiser son efficacité opérationnelle et de valoriser ses nombreux atouts pour tenir sa place de leader sur ses marchés. » (voir le communiqué)
Pour autant, nous explique-t-on en interne, à la BnF, les résultats ne sont pas vraiment meilleurs. « L'utilisation de l'argent alloué pour ce marché public se fait sûrement quelque part, mais ici, rien, ou si peu, ne se passe, en dépit des pressions du ministère. » Mieux : « On assiste à une fronde de toutes les personnes qui font autorité dans le domaine, au sein de l'établissement contre ce projet. »
Une fronde ? Mais dirigée contre qui ? La question va se poser autrement.
Les liens entre la société Jouve et l'actuel président de la BnF sont difficiles à démêler, et plus compliqués encore, lorsqu'il s'agit de prendre en compte non seulement l'implication de Jouve au sein de la BnF comme mécène de l'établissement, notamment autour de l'espace numérique. Mais également en ce qui concerne la création d'une filiale BnF Partenariat, société dans laquelle Jouve pourrait prendre une importante participation au capital. Toujours selon la rue de Valois, contacté en février dernier : « La société a fait des propositions, allant dans ce sens, mais Jouve ne sera probablement pas actionnaire. Une vingtaine d'autres propositions ont été faites, et il est aussi possible que Jouve reste prestataire ou partenaire commercial. » Il est tout aussi possible qu'une nomination au conseil d'administration de la SAS fasse qu'un responsable de Jouve se retrouve parmi les décideurs...
Ou bien que Bruno Racine dispose d'un poste d'administrateur dans cette société. Mais pour cela, encore faudrait-il qu'il soit toujours en poste.
Façon MacMahon, j'y suis, j'y reste - en tout cas, je veux y rester
C'est que l'actuel président brigue en effet un troisième mandat à la tête de l'établissement. Certains bruits de couloirs assurent que le philosophe Alain Finkielkraut était fortement pressenti, dans l'idée où Nicolas Sarkozy aurait été réélu. D'autres assurent même qu'un certain BHL aurait rencontré à plusieurs reprises les autorités nécessaires pour accéder au poste de président. Information que nous ne sommes pour l'heure pas encore parvenus à confirmer. Mais finalement, le Finkielkraut de François Hollande pourrait tout à fait être BHL.
Soit. Il est notoire, nous explique-t-on depuis la BnF, que Bruno Racine tente de conserver son poste. « C'en devient même indécent », nous confirme une source. L'avantage pour tout le monde, s'il était reconduit, c'est que le dossier Jouve lui resterait dans les mains. Et la présence hier de François Hollande avait quelque chose de plus étrange encore. Des journalistes présents durant cette rencontre - dont était absente Jacqueline Sanson, directrice générale adjointe de la BnF [NdR : la présence ou l'absence n'est pas confirmée à cet instant par la BnF toutefois], et pour laquelle le Conseil d'administration n'avait pas été tenu informé - assurent que la représentation ressemblait à la candidature d'un jeune sorti d'école…
« Oui, on peut dire qu'il faisait des courbettes à Hollande », nous précise une personne présente. « Ça avait quelque chose d'obscène, j'avoue. »
ENA d'un jour, ENA toujours
Il faut revenir sur un point. François Hollande et Bruno Racine partagent… des études communes à l'ENA. En effet, l'Ecole Nationale d'Administration forme des élites administratives, et François Hollande est manifestement le premier président à en sortir. Bruno Racine était sorti de l'ENA en 1979, promotion Michel de Lhospital et François Hollande en était sorti en 1980, la célèbre promotion Voltaire. Les deux hommes ont pu avoir l'occasion de se rencontrer, voire…
Rien n'est précis pour le moment, mais ce point commun autour de l'ENA a pu servir de levier, ou pourrait servir à l'occasion. Et heureusement, rien ne dit non plus que cela servira… Sauf que le mandat de Bruno Racine s'achèvera lan prochain.
Reste qu'aujourd'hui, la numérisation à la BnF continue de poser problème : le matériel est encore loin d'être adéquat, les délais ne sont toujours pas les bons, et le résultat n'est pas à la hauteur. Alors quid ? Le contrat n'a toujours pas été dénoncé, ce qui pousse certains à se demander quels sont les liens qui existent entre le directeur de l'établissement et la société Jouve.
Et surtout, qui va prendre la suite des événements, et récupérer un dossier dont le ministère de la Culture apprécierait, selon nos informations, que l'on n'en parle plus… que pour saluer ses résultats. Une optique partagée par la direction de la BnF, qui pour sa part avait fait pression sur le personnel de l'établissement, pour tenter de démasquer les personnes qui avaient laissé fuiter les différents clichés d'ouvrages endommagés que nous avions publiés.
Mais il paraît que tout est contrôlé par l'informatique...
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