Voilà deux semaines, le label Milady Romance invitait des blogueuses particulièrement actives à une Tea Party. Nulle question de politique, durant cet après-midi, uniquement de... romance. Le genre le plus maltraité de l'édition était à l'honneur, le temps d'une tasse de thé et de quelques cupcakes. Mais dans un monde en mutation, non seulement le genre se découvre une légitimité nouvelle, le cas de Fifty Shades of Grey faisant office de référence, mais surtout, c'est un monde dépourvu de complexes qui se profile. Enquête en milieu amoureux, entre nobles sentiments, histoires d'amour scabreuses, et véritable marché.
Le 01/07/2013 à 18:32 par Nicolas Gary
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01/07/2013 à 18:32
La romance, comment dire... « Rien que le mot m'amuse », nous confiait un éditeur. Pourtant, le secteur n'a rien de comique. Et s'il fait rire, c'est bien souvent parce que l'on néglige d'inclure des Marc Levy, des Catherine Pancol et consorts dans ce registre. Et pour cause : « La romance, ça vend très bien. Et l'érotique avec lui, évidemment. Mais ça a toujours fonctionné », poursuit notre interlocuteur, frustré de ce que sa maison lui refuse la constitution d'un catalogue de littérature érotico-sentimentale. Chez Milady Romance, on assume pleinement. Pour preuve, cette réunion entre initiées, où l'on badine clairement avec l'amour.
Les lectures des unes et des autres, ce sont des romans sentimentaux, mais pas simplement : « J'aime que l'on y parle de sexe. Ce n'est pas pour le simple plaisir de la lecture, ça échauffe un peu l'esprit également », confie Anne. Grande lectrice, près de 20 livres par an, elle se réjouit de figurer parmi les heureuses membres du futur Ladies Club de Milady Romance. Car l'éditeur a joué la carte d'une communication principalement axée sur ces lectrices et chroniqueuses, « dont les billets font parfois figurent de dissertations », et plus encore, rivaliseraient sans peine avec des chroniques de journalistes professionnels.
Le Ladies Club est un concept très simple : un club de blogueuses profitant d'avantages tout au long de l'année, avec un traitement de faveur : deux mois avant la sortie des livres, la version numérique (PDF) est envoyée, et si l'ouvrage est chroniqué, la version papier sera offerte. Un comité de lecture est créé pour permettre de discuter avec l'éditrice et pouvoir donner son avis sur les titres. Et puis, luxe, une invitation 5 à 6 fois par an, pour une conférence de presse dédiée. Le tout sera articulé autour d'un site internet, à venir, qui se présente comme un point de convergence pour toutes les intéréssées - et les intéressés...
Du grand luxe évidemment, et un traitement VIP qui séduit. Lors de la Tea Party, nous avons pu constater le plaisir - c'est rien de le dire… - que les filles avaient à se retrouver ensemble, et échanger autour de leurs lectures.
Chez l'éditeur 100 % numérique, Numeriklivres, la romance est devenue une évidence : « Progressivement, en plus de nos collections littéraires, nous avons créé des collections consacrées à la littérature de genre dont la romance avec la publication des premiers titres de Marie Potvin et surtout avec la série Les Héros, ça s'trompe jamais (deux saisons de 6 épisodes). »
Parole d'auteur indépendant : Charlie Audern "Le public attend autre chose des épopées romantiques à la Danielle Steel" |
Et tant qu'à faire, autant varier les plaisirs. La romance y est parfois « légère et drôle, parfois un peu érotisée, elle peut-être également dramatique comme c'est le cas avec les titres comme Aime moi de Christine Machureau ou encore Le Brasier de Sandra Mézière, deux titres que nous recommandons fortement. »
Avec comme trame de fond de répondre aux besoins des lecteurs. L'éditeur programme une nouvelle série en épisodes pour la rentrée, ainsi que de nouveaux auteurs. Le genre sera « omniprésent au cours de la saison 2013-2014 », assure le fondateur, Jean-François Gayrard. Car avec la romance, on assure des ventes, que ce soit en numérique ou en papier.
Pour exemple, Milady Romance a écoulé 500.000 exemplaires papier en une année. Un véritable succès, pour les 80 titres du catalogue, alors même que le genre ne semblait pas une évidence avance sa création. Les meilleures ventes sont d'ailleurs des titres aux résonnances particulières :
Outre-Atlantique, depuis plusieurs années déjà
La romance est le genre rêvé des amateurs de lecture numérique. Bien souvent ce sont des séries de 30 pages maximum qui sont publiées : le format sitcom. Et l'on sait bien que ces séries doivent nous laisser sur notre faim au terme de chaque épisode. Les gros pavés sont quant à eux décourageants. Il y aurait le sentiment que l'ebook est un long fleuve tranquille, trop tranquille peut-être pour les plus fins lecteurs. Game of Thrones ou Harry Potter c'est déjà trop verbeux, on se sent si vite dépassé.
Les lecteurs d'ebooks ne se préoccupent pas du nombre de pages, le divertissement est immédiat et ne demande pas d'effort, ou si peu. C'est ce que visent les concepteurs d'applications, minimiser l'effort pour accéder aux titres des plateformes. David Hewson en a fait l'expérience. L'auteur du thriller Epiphany qui s'est modérément bien vendu a vu décoller ses ventes lorsqu'il a décidé de l'auto-publier, ainsi que le titre Native Rites, une histoire plus classique dans le genre de l'horreur, qui n'a cartonné qu'au format numérique.
Pour lui l'e-lecture est plus décontractée, pas nécessairement plus occasionnelle, mais demandant moins d'efforts. Mais Hewson sait que ces seules observations ne suffisent pas à expliquer le succès de ses titres au format numérique, il a conscience que beaucoup de facteurs entrent en jeu dans la disparité des ventes.
Et si Anastasia Steel marche mieux sur Amazon que Miss Bovary, c'est pour la simple et bonne raison qu'Emma n'est plus toute jeune et carrément moins sexy il faut croire, quand Fifty Shadeof Grey est sorti en avril 2012, aux USA. Beaucoup tablent sur le mode d'utilisation des liseuses, les études sur les usages des e-lecteurs prolifèrent et l'on parle du comportement d'un e-lecteur. À l'inverse, quelle étude récente a cherché à comprendre si un lecteur écorne davantage les pages de son livre en période de vacances plutôt qu'au quotidien ? (voir notre actualitté)
"Le numérique, c'est une offre qui ne s'épuise jamais,
en permanence accessible, et que nous tentons de diversifier
pour offrir au plus grand nombre, un livre qui lui convienne."
Dans le domaine de la romance, impensable de passer à côté des éditions Harlequin. Avec 600 à 700 titres publiés chaque année, la maison a pris le virage numérique voilà cinq ans - c'était en 2008, au lancement du premier Sony Reader, le PRS-500. Aujourd'hui, le catalogue papier ne se compte plus, alors que celui de l'offre numérique s'étoffe : ce sont près de 4000 titres, et une cinquantaine de nouveautés chaque mois. « En 2008, nous avons commencé avec une trentaine de livres », se souvient Antoine Duquesne, directeur marketing.
Pour sa maison, le numérique commença par la numérisation du fonds de catalogue, comme tout un chacun. Puis ce furent des publications simultanées numérique et papier, avec une offre de plus en plus importante. Mais rapidement, la maison s'est penchée sur le stricte numérique : les nouvelles d'un recueil papier sont commercialisées séparément en numérique, certaines offres se précisent avec des publications, pour lesquelles l'impression n'interviendra qu'ultérieurement. Et ce jusqu'au lancement de la marque HQN.
Parole d'auteur indépendant Céline Etcheberry La romance en numérique pour "affiner ses critères de lecture" |
Avec cette collection, qui intervient à l'occasion du 35e anniversaire de la marque, c'est une approche exclusivement numérique qui se monte, avec différents genres, dépassant la simple romance. « Nous y proposons des genres différents, et des offres impossibles à mettre en place dans le monde imprimé, car toutes les oeuvres ne pourraient pas être rentables. » Une texte bref, le format qui intéresse particulièrement, pour une lecture sur mobile, par exemple. Et niveau prix, HQN balaye très large : de 49 cents à 7,99 €, tous les goûts, tous les prix. « Le numérique, c'est une offre pour les lecteurs qui ne s'épuise jamais, qui est en permanence accessible, et que nous tentons de diversifier pour offrir au plus grand nombre, un livre qui lui convienne. » La marque a d'ailleurs l'originalité de ne publier que des auteurs francophones, contrairement à Harlequin, qui propose beaucoup de traductions.
Badge créé par le site Chapitre32.com
Crédit ActuaLitté
Chez HQN, pas d'impression à la demande de prévue pour le moment : on se consacre plutôt à des recherches : « Notre lectorat est avide de lectures. Avec l'accès permanent que permet l'ebook, les demandes sont aussi plus exigentes. Chaque année, nous vendons 7 à 8 millions d'exemplaires en papier, et le numérique n'a pas cannibalisé les ventes. C'est un autre marché qui se développe, en marge, pour le moment, mais avec un fort potentiel. »
Parole d'auteure indépendante : Eva Dupea "La romance est le genre préféré des amateurs de lecture numérique" |
Ce que la maison constate, au cours de ces cinq dernières années, c'est tout d'abord que chaque lancement ou annonce de nouvel appareil de lecture coincide avec une augmentation des ventes. « On pourrait tous les citer, explique Antoine Duquesne. Mais en 2010, avec l'iPad, on a vraiment commencé à vendre des livres, du jour au lendemain. Surtout que c'est en cette année que nous avons ouvert la vente directe sur notre site. » Cette émergence, elle n'a jamais cessé de se confirmer : en 2012, l'éditeur a augmenté ses ventes de 300 %, en regard de 2011. Et pour 2013, on s'attend à faire au moins 250 % de mieux. « Il nous a fallu cinq ans, depuis 2008, pour atteindre le million d'exemplaires vendus. Eh bien, en 2013, nous devrions vendre un million supplémentaire. »
A titre de comparaison, l'éditeur de 50 nuances de Grey, JC Lattès, nous a annoncé que la trilogie s'était écoulée à 3 millions d'exemplaires, dont 3 % en numérique.
La coexistence numérique/papier a également dégagé des tendances : la chick-lit, qui était arrivée vers 2003 chez l'éditeur, connaît un déclin en papier, « l'offre est moins exposée en librairie », et conséquemment, « c'est très en vogue en ebook ». De même, la romance historique connaît un engouement « que l'on n'attendait pas vraiment ». A ces exemples près, les choses n'ont pas été bouleversées : « Ce qui marche en numérique, c'est ce qui marche, ou marchait, en papier. Dans le roman sentimental, qui reste notre coeur de métier, les best-sellers sont identiques. Surtout, nous n'avons pas assisté à une sur-performance dans la littérature érotique. »
Le mythe de la lectrice honteuse de lire de la romance
dans les transports en commun, et qui se précipiterait
sur les appareils numériques pour assouvir son vice, en toute discrétion ? Bof...
Ah ? L'effet 50 nuances de Grey n'a pas d'impact ? Non. Et d'ailleurs, le mythe de la lectrice honteuse de lire de la romance dans les transports en commun, et qui se précipiterait sur les appareils numériques pour assouvir son vice, en toute discrétion, Antoine Duquesne n'y croit pas trop. « Nous n'avons pas d'étude pour le démontrer, simplement quelques chiffres. D'abord, nous vendons toujours autant de livres en papier, et je pense sincèrement que cette question de lecture inavouable, cachée ou honteuse, n'a pas cours en France. Ensuite, se réfugier derrière une tablette, ou un smartphone, c'est avant tout rechercher un confort. »
Dernier point : les lectrices/teurs de Harlequin lisent beaucoup, et sans gêne. « Pour eux, le numérique représente une facilité de lecture, une commodité. Donc, des lectures supplémentaires. La lecture était déjà nomade, et nous croyons beaucoup à son développement sur mobiles.C'est aussi pour cela que nous avons lancé les applications mobiles : ce sont des outils de convergence pour ne jamais quitter sa lecture. »
Reste alors les communautés de lecteurs. « Nous suivons évidemment les échanges, mais n'avons pas mis en place de structure pour les accueillir, sur internet. » Evidemment, on tente de passer par le net pour toucher plus de lecteurs. Pour la collection Young Adult, Darkiss, l'éditeur est allé chercher les jeunes lecteurs, notamment en investissant sur Facebook, pour leur attirer l'attention, dans un univers numérique qu'ils pratiquent. Le succès est discutable, mais l'intention était bonne. « Nous savons que certains blogs sont aujourd'hui des référents, et de véritables prescripteurs. » Pas d'engagement spécifique dans ce domaine toutefois.
Mais à vrai dire, de la romance à l'amour, si l'on connaît la chanson, chacun est libre de choisir sa mélodie.
DOSSIER - L'intelligence artificielle au service du livre et de la lecture
Par Nicolas Gary
Contact : ng@actualitte.com
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