Une fois n’est pas coutume, ce billet n’a pas pour objectif de vous présenter une nouvelle lecture. Pourtant, il y a à faire en ce moment. Peut-être trop d’ailleurs. Trop de livres, trop d’auteurs ? La question se pose non ?
Le 06/09/2018 à 12:05 par La Licorne qui lit
Publié le :
06/09/2018 à 12:05
ActuaLitté, CC BY SA 2.0
Septembre, on le sait, c’est les départements communication et marketing qui se mettent en branle, les attachées de presse qui courent paniquées sur des talons de 15 cm pour obtenir un créneau chez Ruquier (d’accord elles courent déjà en avril). Pendant ce temps, les responsables salons essaient de placer leurs poulains bankables dans les festivals à la mode, alors que les éditeurs poussent les titres dans l’espoir de grappiller un, ou plusieurs, prix…
La rentrée, c’est la folie, l’euphorie, les bouchons de champagne qui sautent, les stylos Mont-Blanc qui s’épuisent en dédicaces, et souvent une belle indigestion de petits sandwichs aux rillettes de saumon ingurgités lors des nombreuses réceptions données dans les plus beaux hôtels particuliers de la capitale.
Le livre sur les Quais de Morges constitue le premier évènement important de la rentrée. Elles étaient – presque – toutes là, les stars de la littérature. Bussi, Puertolas, Picouly, Mabanckou, Laferrière, Assouline, Dicker, Di Fluvio, Joncour, Khadra, Schmitt, Sansal, Zep, Torreton, Foenkinos, président élu pour ces quelques jours, et j’en passe et des meilleurs. Il y eut aussi cette polémique enclenchée par des auteur.e.s locaux : ils exprimaient leur mécontentement d’avoir dû laisser la place à Claire Chazal et Stéphane Guillon…
Autre triste observation, cette programmation manquait cruellement de têtes d’affiche féminines. Mais cette chronique n’a pas vocation à être un revival de #metoo…
C’est en effet un autre sujet qu’il faudrait aborder, certes pas foncièrement nouveau, mais essentiel : la rémunération des auteurs. Thème d’autant plus central dans le cadre d’une manifestation qui ne les rémunère pas – exception faite pour les ateliers, les lectures et les performances qui demandent un certain degré et un temps substantiel de préparation…
En toute humilité, cette notion de « préparation » laisse perplexe.
Qui vérifie exactement qui prépare quoi et comment ? Une âme généreuse aurait la gentillesse de nous éclairer ? Alors, oui, Morges, c’est joli, y’a le lac, la tente VIP, les petits fours mentionnés ci-dessus, mais les auteurs viennent à titre purement gracieux. Cet état de fait découle apparemment d’un manque de ressources financières, la direction ayant expliqué avoir déjà dû resserrer la programmation.
Alors, payer les auteurs, pensez-vous donc ! Rappelons également que les organisateurs ont reproché au Salon du livre de Genève d’avoir décidé unilatéralement en avril dernier de payer tous les auteurs invités, suite à la débâcle évitée de justesse à Paris… pur, très pur l’air en Suisse, non ?
C’est dans ce contexte convivial et détendu que s’est tenue une discussion entre professionnels sur cette épineuse question de la rémunération. Libraires, organisateurs de salons et de festivals, pouvoirs publics, éditeurs et auteurs – sous représentés malheureusement – dont certains représentants de l’AdS (Association des Autrices et Auteurs de Suisse) se sont réunis afin de confronter leurs opinions et leurs points de vue, dans une ambiance relativement calme malgré les désaccords existants.
ActuaLitté, CC BY SA 2.0
Nous sommes en Helvétie, on ne s’aboie pas dessus et on cherche le compromis. Pour des raisons de discrétion, la teneur des débats restera sous silence ici. Cependant un heureux consensus a émergé : les auteurs doivent être payés, peu importe s’ils sont bons, pas bons, s’ils préparent ou pas, s’ils lisent de manière audible ou pas, ils doivent être payés. La logique ne doit plus être celle de l’offre et de la demande, les auteurs ne doivent pas être les derniers maillons de la chaîne à percevoir les quelques pièces que peut générer un salon.
Non, les acteurs impliqués doivent se concerter, et les auteurs ont le droit de renoncer à leur cachet ou le revoir à la baisse en fonction de l’institution qui l’invite. Le libraire indépendant n’a en effet pas les mêmes moyens que le Salon du livre de Genève… Tout travail mérite salaire, point de divergence là-dessus.
Ce qui est nettement moins clair évidemment est la source du financement : qui va payer ? En cette période de contraction des budgets, en particulier ceux alloués à la culture, il est difficile de concevoir la manière de soutenir cette charge non négligeable qui va fortement peser sur les budgets des évènements littéraires.
Manifestement, une réflexion sera menée à ce sujet par les pouvoirs publics, qui auront la charge de décider qui des villes, des cantons, de la Confédération devra prendre ce poste à sa charge. À nouveau, nous sommes en Suisse, État fédéral et hautement décentralisé, c’est compliqué. Par conséquent, toutes et tous s’entendent sur le fait que le principe de rémunération sans être accompagné d’un renforcement des dispositifs de soutiens financiers = moins d’auteurs invités…
Alors, fini les « je suis fâché, je n’ai pas été convié, je fais un festival off pour me venger… » Les programmateurs devront procéder à certains arbitrages, qui feront assurément des malheureux et qui feront la part belle aux stars et aux beaux gosses de la littérature. Toute ressemblance avec des personnages existant, tels Romain P., Marc L. ou Joël D. est purement fortuite. Bref, la chose n’est pas si simple en réalité, et rappelons qu’en Suisse, il n’existe pas à proprement parler de Centre national du livre, qui vient en aide aux festivals et salons.
Un point a été longuement débattu, en long en large et en travers : à quel moment devient-on un écrivain professionnel ? Car oui, certains ont avancé, d’une manière assez méprisante, qu’un « petit auteur pas connu » devrait déjà être content, même honoré, d’être présent sur un salon, lui offrant ainsi l’opportunité de faire sa promotion. Certes, mais pour reprendre les mots d’un François célèbre, qui sommes-nous pour juger de la qualité d’un auteur ?
Un auteur autoédité qui vend des milliers de livres est-il moins professionnel qu’un auteur Grasset qui n’a vendu que 200 exemplaires de son premier roman ? Le Renaudot n’a-t-il pas inclus dans sa sélection un vilain auteur Amazon ? Là encore, c’est le rôle du programmateur, de faire des choix. Et là encore, c’est aux auteurs d’accepter lesdits choix. Il est clair néanmoins que d’offrir une rémunération à auteur, qui prend de son temps pour rencontrer ses lecteurs et participer à des tables rondes et autres ludiques animations, aura pour effet de lui donner un statut, un véritable statut.
Payer un auteur, c’est reconnaître qu’écrire représente une profession, un métier, un travail qui mérite un salaire digne et équitable. Effet boule de neige, cercle vertueux : l’auteur se sent mieux, il prend ses responsabilités, il devient plus professionnel, il s’informe sur ces droits, il prépare mieux ses interventions et ainsi de suite. Éventuellement, il mûrit un peu et apprend à se débrouiller seul, à ouvrir son application Google Maps évitant ainsi aux GO - Gentils Organisateurs - de salons de devoir les materner.
Car oui, les auteurs sont de grands enfants, et ne réalisent pas que leurs appels intempestifs au milieu de la nuit un jour avant la manifestation du genre « j’ai égaré mes billets de train » ou « finalement, j’ai bien réfléchi, je ne viens pas, je déteste le titre du débat auquel je suis supposé participer… » peuvent pousser certains GO au burn-out. Autre sujet que celui du « jusqu’au sommes-nous prêts à aller pour les écrivains ? ». Nous y reviendrons ultérieurement dans un autre billet.
ActuaLitté, CC BY SA 2.0
Reste alors cette conviction profonde, ici partagée, que si l’ensemble de la chaîne faisait un minimum d’efforts – incluant les éditeurs qui ont aussi le devoir de traiter honnêtement leurs auteurs, et les rétribuer dans le respect de certains standards communément acceptés –, la rémunération des auteurs profiterait à tous. Le principe n’est plus sujet à polémique, sortons donc de ce rapport de force permanent. Reste juste évidemment à trouver les pépettes !
Mais concluons sur cette expérience, au demeurant fort agréable, à Morges. Après une matinée à écouter des auteurs qui se battent avec conviction pour percevoir quelques 200 CHF, qui au final ne changeront en rien leur quotidien – ils continueront à avoir une, deux ou trois occupations complémentaires et à tirer le diable par la queue pour la beauté de l’art – est venu le temps de l’inauguration.
Sans surprise, succession d’allocutions officielles, montagne de brioches au crabe et litres de vin servis sans compter. Puis le discours de David Foenkinos, qui après avoir souligné à quel point il était jouissif d’être appelé président à tout va, a lancé un appel aux personnes qui auraient éventuellement un souci de logement : « La terrasse de ma chambre au Lausanne Palace faisant quasiment la taille du parc Monceau, je vous héberge avec plaisir si vous êtes en dêche pour la nuit. »
Certes, le discours était plein d’humour et de dérision, mais les mots de Foenkinos ont pu faire prendre conscience du différentiel qui existe entre la réalité vécue par les auteurs. Alors que la grande majorité des écrivains présents ce soir-là est rentrée sagement dans son petit appartement, une petite minorité d’élus a eu le bonheur de se vautrer dans des draps de satin, buller dans un jacuzzi grand comme ma cuisine et se goinfrer le lendemain matin au buffet gargantuesque du petit-déjeuner.
Personne n’est à blâmer : nous agirions certainement de même et les palaces font une grande braderie sur les prix quand il s’agit d’accueillir des VIP dans leurs murs. Pas de condamnation donc, juste un constat. Qui mesure d’autant mieux les revendications de celles et ceux qui n’ont pas les mêmes privilèges, et font pourtant preuve d’un talent égal, sinon plus.
À partir de là, il devient urgent qu’une réflexion soit menée sur la façon dont les ressources sont dépensées lors des manifestations culturelles. Bien que livre ne soit nullement épargné de logiques commerciales et consuméristes, l’art, et plus particulièrement la littérature qui se revendique comme le parent pauvre, ne devrait pas mener à ce genre d’écarts et ne devrait pas créer de si grandes injustices.
L’admiration reste infinie pour ces gens qui écrivent et qui nous font lire, peu importe, quoi, peu importe qui. Mais remettons nos petites pattes sur terre et tentons de trouver des modèles sains et fonctionnels. Sans tomber dans un schéma communiste, les paillettes font le charme de la littérature. Tout travail mérite salaire certes, mais tout livre ne mérite pas un cinq étoiles avec vue sur le Léman…
Surtout si c’est un pavé qu’on a envie de jeter dans le lac.
Par La Licorne qui lit
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