À l'âge de 76 ans, l'auteur et ancien ministre de la Culture Frédéric Mitterrand est décédé, des suites d'un « cancer agressif », d'après un communiqué diffusé par sa famille. Locataire de la rue de Valois entre 2009 et 2012, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, le neveu de François Mitterrand restait assez inclassable, au niveau politique.
Le 22/03/2024 à 10:05 par Antoine Oury
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22/03/2024 à 10:05
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Vu aux côtés de Bernard Tapie, puis encarté auprès des radicaux de gauche, soutien de Jacques Chirac, avant d'être récupéré par Nicolas Sarkozy, puis de retour à gauche avec François Hollande... Difficile d'associer Frédéric Mitterrand avec un courant de pensée politique.
À l'inverse, il aura toujours été un homme de culture, d'abord dans le monde du cinéma quand, au début des années 1970, il abandonne l'enseignement pour racheter l’Olympic Palace, à Paris, avant de constituer un réseau de salles. Il se fait vraiment connaitre du grand public à la télévision, avec l'émission Étoiles et toiles, à partir de 1981 sur TF1.
Cette même année, il s'essaie à la réalisation avec le documentaire Lettres d'amour en Somalie, inspiré par une rupture amoureuse avec un de ses collaborateurs. Il réalisera tout au long de sa vie plusieurs documentaires, dont le dernier, Trump, le parrain de Manhattan, est finalisé en 2018.
Remercié par TF1, il creuse ensuite le même sillon autour de la cinéphilie sur le service public audiovisuel, auquel il restera longtemps associé.
En 2008, il est choisi par Nicolas Sarkozy, alors président de la République, pour diriger l'Académie de France à Rome (la Villa Médicis). Quelques mois plus tard, ce même Sarkozy le nomme au ministère de la Culture pour succéder à Christine Albanel, associée aux polémiques autour de la loi Hadopi, destinée à lutter contre le piratage des œuvres culturelles.
Son mandat, du côté du livre, sera marqué par le vote de la loi sur le prix unique du livre numérique, en 2011, qui étend les dispositions de la loi Lang de 1981 aux ebooks, qui ont fait leur apparition sur le marché depuis quelques années.
Il est clair dans ce contexte que l'objectif consistant à préserver la diversité éditoriale, en prenant appui sur un riche réseau de détaillants, reste pleinement d'actualité à l'heure numérique. S'il est normal que l'arrivée du numérique s'accompagne de transferts de valeurs à l'avantage d'acteurs nouveaux, nous devons veiller à ce que cette transformation n'aboutisse pas à une baisse globale de la valeur produite comme ce fut le cas pour la musique. Il convient d'éviter que des acteurs en position de force n'imposent des conditions défavorables à toute la chaîne du livre.
– Frédéric Mitterrand, le 7 avril 2011, à l'Assemblée nationale
Au cours de ses mandats nait également l'Institut français, établissement public à caractère industriel et commercial, opérateur du ministère de la Culture chargé de la politique culturelle à l'étranger.
Également homme de lettres, Frédéric Mitterrand publie son premier livre, Lettres d’amour en Somalie, aux éditions du regard en 1983, parallèlement à la réalisation du documentaire homonyme. Il signe ensuite divers ouvrages, des titres consacrés au cinéma (L'Ange bleu : un film de Josef von Sternberg, Plume, 1995) aux documents sur des pays et cultures (Maroc, 1900-1960 : un certain regard, avec Abdellah Taïa, Actes Sud, 2007).
Il développe aussi une écriture autobiographique, notamment dans Tous désirs confondus (Actes Sud, 1988), illustré avec des photos de Robert Doisneau ou Willy Ronis, et surtout La Mauvaise Vie, qui comporte des éléments romancés. Paru en 2005 aux éditions Robert Laffont, il obtient le Prix La Coupole la même année, et devient un best-seller.
Ce même ouvrage, qui évoque le recours à la prostitution par le narrateur dans plusieurs pays, dont la Thaïlande et l'Indonésie, lui vaudra des soupçons de tourisme sexuel auprès de mineurs, dès la parution du livre. Pendant la promotion, il précise que les passages ne portent en aucun cas sur la prostitution de mineurs, mais, en 2009, Marine Le Pen l'accuse ouvertement, en citant d'une manière erronée des extraits de son texte. Au 20h de TF1, alors ministre de la Culture, il réfute à nouveau ces accusations.
La même année, il est également critiqué pour un soutien apporté au réalisateur franco-polonais Roman Polanski, accusé de crime sexuel sur mineur : il déclare qu'il s'agit d'« une histoire ancienne qui n'a pas vraiment de sens », suscitant le courroux des associations de victimes.
Dans Le désir et la chance, publié en 2012, il revient sur son expérience au ministère de la Culture, avant de poursuivre son œuvre autobiographique dans d'autres livres, notamment La Récréation (Robert Laffont, 2013) ou Mes regrets sont des remords (Robert Laffont, 2016).
Candidat malheureux à l'Académie française, il entre à l'Académie des beaux-arts en 2019, pour siéger au fauteuil n°7, précédemment occupé par Jeanne Moreau, dans la section des créations artistiques dans le cinéma et l’audiovisuel.
Après une prise de participation d'Olivier Mitterrand, son frère, dans la maison d'édition Christian Bourgois, en 2019, Frédéric Mitterrand avait été nommé directeur éditorial, pour assurer une « transition » après le départ de Dominique Bourgois, veuve du fondateur de la structure.
Édith Leblond (PDG), Renaud Leblond (directeur éditorial), Catherine de Larouzière (secrétaire générale) et toute l’équipe des éditions XO, transmettent un message à la rédaction, reproduit ci-dessous.
« C’est avec une infinie tristesse que nous avons appris le décès de notre ami Frédéric Mitterrand. Très
proche de Bernard Fixot, il avait publié chez XO des livres qui reflétaient son immense culture mais
aussi son extraordinaire éclectisme : son goût de l’histoire, son amour des arts et, en particulier, du
cinéma. La littérature avait pris, ces dernières années, une place prépondérante dans sa vie. Frédo,
comme nous l’appelions, débarquait, souvent à l’improviste, avec ses feuillets manuscrits sous le bras,
casquette vissée sur sa tête. Car il écrivait tout à la main, d’une écriture serrée, belle et régulière. Mais
c’est son regard, plein de douceur et de bienveillance, son attention aux autres, son humour ponctué
d’éclats de rires fracassants, ses doutes, sa gravité aussi face aux drames de l’existence et de l’histoire,
qu’il nous laisse à tous. Personnalité hors du commun, il portait en lui à la fois une mélancolie et un
amour passionné de la vie. Il combattait avec courage cette maladie qui n’est jamais venue à bout de
ses projets et de son envie d’écrire. Il préparait pour nous un nouveau livre, très personnel. Il va
terriblement nous manquer. »
Écrivain, réalisateur, homme politique, Frédéric Mitterrand a été membre de la Scam dès ses débuts, en 1985, avant d’en devenir administrateur de 2007 à 2008. Il portait haut l’étendard de la culture.
Les auteurs et autrices saluent aujourd’hui son engagement indéfectible pour la défense du service public, au long des nombreuses fonctions qu’il a assurées durant sa carrière.
Directeur de la Villa Médicis à Rome en 2008, il fut nommé un an plus tard ministre de la Culture et de la Communication, un mandat qu’il poursuivra jusqu'en 2012. C’est durant cette période qu’il fit adopter la loi Hadopi favorisant, devant l’émergence d’acteurs du numérique et du partage sur internet, la diffusion et la protection de la création.
Auteur de nombreux livres (dont Une adolescence, 2015 ; La Récréation, 2013 ; Les aigles foudroyés, 1997, aux éditions Robert Laffont) et réalisateur de documentaires (Arletty - Soehring : hélas, je t’aime, 2020 ; Assia Djebar, avec Virginie Oks, 2007 ; La Délivrance de Tolstoï, 2003 ; Mémoires d’exil, 1999 ; Rapho, avec Patrick Jeudy, 1987 ; Lettres d’amour en Somalie, 1982...), il fut à l’initiative d’un rapport du ministère de la Culture sur le documentaire de création. Une attention à la création audiovisuelle portée également par la Scam, qui publiait en juin 2011 son premier « Etat des lieux du documentaire » pour éclairer, à l'heure où apparaissaient de nouveaux supports et de nouveaux services, les conditions de production de l'écriture documentaire et les enjeux de diffusion du genre.
Ardant défenseur du droit d’auteur, il a milité au niveau européen en faveur du modèle français.
En 2011, à l'occasion du 30e anniversaire de la Scam, il avait réaffirmé lors d’un discours son engagement : « Les sociétés de droits d’auteur sont les vigies de la création, les gardiennes de cette mémoire, sans laquelle la Culture serait pur divertissement et la Création audiovisuelle une industrie sans valeur ajoutée ».
Photographie : Frédéric Mitterrand (à droite), alors ministre de la Culture, aux côtés du compositeur estonien Arvo Pärt, en 2011 (Estonian Foreign Ministry, CC BY 2.0)
Par Antoine Oury
Contact : ao@actualitte.com
Paru le 19/10/2023
544 pages
9,50 €
Paru le 24/04/2019
152 pages
Rizzoli International publication
35,00 €
Paru le 26/11/2020
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Robert Laffont
21,00 €
Paru le 14/11/2019
354 pages
XO Editions
19,90 €
4 Commentaires
Jacques Lèbre
22/03/2024 à 12:02
Et vous ne signalez pas la mort du grand poète portugais Nuno Judice (le 17 mars), alors qu'il a été bien traduit en France. La poésie, il est vrai...
Elisa Guim
23/03/2024 à 15:03
Mort de Nuno Judice, merci de le signaler.
J'aimais entendre la voix de Frédéric Mitterrand.
merci au rédacteur Antoine Oury de ne pas taire l'autre partie de l'homme.
Gilles
26/03/2024 à 13:26
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Marie
23/03/2024 à 08:01
Grande tristesse, des pensées pour ses trois fils et tous ceux qu'il aimait et qui l'aimaient. Sa liberté, l'éclectisme de ses goûts, son oral chantant en font un personnage à part. Qui restera dans les mémoires.