Ce vendredi 6 octobre, les représentants des auteurs et ceux des éditeurs se retrouvaient rue de Valois, au ministère de la Culture, pour une assemblée plénière. Celle-ci avait pour objet les à-valoir, mais le rendez-vous a menacé de tourner court : le ministère s'était en effet opposé, dans un premier temps, à la présence de Denis Goulette, avocat conventionné par la Charte des Auteurs et Illustrateurs de Jeunesse pour défendre les intérêts des écrivains.
Le 06/10/2023 à 16:03 par Antoine Oury
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06/10/2023 à 16:03
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L'année 2023 a été marquée par une nouvelle phase de négociations entre les auteurs et les éditeurs, coordonnée par le ministère de la Culture. L'objectif affiché étant de faire évoluer le cadre juridique des relations contractuelles, avec six points en ligne de mire (reddition des comptes, obligation d'information, arrêt de la commercialisation du livre, entre autres) et des réflexions sur la rémunération des auteurs.
À ce titre, la ministre de la Culture Rima Abdul-Malak avait souhaité « l’encadrement plus précis de la pratique des à-valoir », ces sommes parfois versées aux auteurs par les éditeurs avant la parution du livre. Elles sont ensuite récupérées par les seconds sur les ventes de l'ouvrage, puis le pourcentage sur le prix de vente prend le relais, pour rémunérer les écrivains.
Selon une étude de la Société des Gens de Lettres (SGDL) et de la Société des auteurs dans les arts graphiques et plastiques (ADAGP), publiée en avril dernier, cette pratique de l'à-valoir tend à reculer. 38 % des auteurs interrogés se sont déjà vu proposer des contrats d’édition n'en comportant pas, tandis que le montant médian est de 2500 €. Une large part des auteurs (70 %) « constatent que leurs à-valoir sont insuffisants pour leur permettre de se consacrer sereinement à l’écriture de leur prochain livre », soulignait encore l'étude.
Autrement dit, la question est cruciale pour la situation économique des auteurs et la vitalité de la création littéraire.
Cet important sujet devait réunir ce 6 octobre le collège des auteurs, composé de représentants du Conseil permanent des écrivains, de la Ligue des auteurs professionnels et de la Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse, et celui des éditeurs, incarné par le Syndicat national de l'édition (SNE). Une assemblée plénière, donc, entièrement consacrée au sujet des à-valoir.
Au sein du collège auteur, la Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse, donc, organisation représentative qui a souhaité être assistée d'un avocat, Denis Goulette, avec lequel la structure a passé une convention. « Il fournit des conseils juridiques aux adhérents et nous accompagne dans ce type de réunions, notamment », nous explique-t-on.
Une mission tout à fait conforme au champ d’activité professionnelle de l’avocat, encadré par le Règlement Intérieur National de la profession d'avocat, tel qu'adopté par le Conseil national des barreaux.
Il est le défenseur des droits et des libertés des personnes physiques et morales qu’il assiste ou représente en justice, et à l’égard de toute administration ou personne chargée d’une délégation de service public comme à l’occasion de la réunion d’une assemblée délibérative ou d’un organe collégial.
– Article 6 du Règlement Intérieur National de la profession d'avocat
Cependant, une fin de non-recevoir a été opposée à la présence de Denis Goulette au sein de l'assemblée plénière. Nicolas Georges, directeur adjoint de la Direction générale des médias et des industries culturelles, directeur du Service Livre et Lecture du ministère, l'aurait laissé entendre à La Charte dans la semaine, et aurait récidivé ce jeudi 5 octobre au soir, selon nos informations.
Pourtant, lors de la réunion préalable entre le ministère de la Culture et le collège auteurs, le 21 septembre dernier, la présence de Denis Goulette avait pu être constatée par Nicolas Georges, sans qu'une objection ne soit formulée.
À l'heure H, les représentants des auteurs se sont présentés à la porte du ministère, accompagnés de Denis Goulette, mais aussi d'un huissier, présent pour constater le refus d'accéder au bâtiment si nécessaire. Dans un premier temps, l'avocat a bien été refoulé par le service de sécurité, mais une intervention de Nicolas Georges a finalement permis, in extremis, son entrée au ministère...
La présence de Denis Goulette lors de l'assemblée plénière gênait aux entournures le Syndicat national de l'édition. Contactée, l'organisation patronale le reconnait et explique : « Ces discussions d’ordre interprofessionnelles sont d’ordre politique et réunissent les représentants des organisations concernées. Le fait que ces organisations d’auteurs viennent accompagnées de leurs conseils respectifs — en la personne d’avocats — en dénaturerait par conséquent l’esprit et la teneur. »
La délégation du Syndicat national de l'édition, pour sa part, réunit des membres de son bureau, le président et des membres de sa commission juridique, et enfin son directeur général (Renaud Lefebvre) et son directeur juridique (Julien Chouraqui).
Autrement dit, certaines personnalités très au fait de l'état du droit et des législations, face auxquelles les représentants des auteurs — souvent bénévoles — ne sont pas toujours bien armés pour répliquer. À l'inverse, Denis Goulette, qui fut délégué général de la Guilde des Scénaristes, est un spécialiste, qui a participé par ailleurs à une intense réflexion sur une réforme globale du droit d'auteur — Panser le droit d'auteur — et a ouvertement critiqué l'organisation du dialogue social des scénaristes et des artistes-auteurs en France, visant le législateur et le ministère de la Culture.
En 2020, le même Denis Goulette avait ainsi signé une publication de la Guilde dont il était alors le délégué général, intitulée L'impossible dialogue social. Artistes-auteurs : Pourquoi la France bafoue-t-elle la constitution et ses engagements internationaux en matière de dialogue social ?. Dans cette enquête, il pointait les problématiques liées à la représentation des auteurs dans les négociations sur leurs conditions de travail et de rémunération.
Il expliquait notamment que le ministère de la Culture avait une tendance à se tourner vers les organismes de gestion collective (OGC) pour traiter de la situation des auteurs. Un constat depuis établi par de nombreux syndicats d'artistes-auteurs, qui contestent cette confusion apparemment volontaire.
Les différentes réunions de travail de 2023, sous l'égide du ministère, ont apporté de l'eau à son moulin : en février dernier, le ministère de la Culture avait déjà choisi quelles organisations syndicales pouvaient se retrouver autour de la table. Le Comité pluridisciplinaire des artistes auteurs et autrices (Caap) n'avait ainsi pas obtenu son invitation, tout comme la Fédération des éditions indépendantes (Fedei). Dans le cas du premier, le ministère avait émis une justification : « pas suffisamment représentative », quand bien même aucun critère de représentativité n'était avancé...
Il y a quelques mois, la même situation s'était donc jouée, rue de Valois : le Caap avait dépêché une représentante pour assister à la réunion du 21 février 2023. Son entrée avait été refusée, des faits constatés par un huissier. Denis Goulette peut donc s'estimer heureux...
La ministre de la Culture, en déplacement à Gradignan pour le festival Lire en Poche, a précipité son départ de la manifestation, et ActuaLitté n'a pas été en mesure de l'interroger sur le sujet. Nous avons contacté le ministère de la Culture, sans obtenir de réponse pour le moment.
Photographie : entrée du ministère de la Culture, ActuaLitté, CC BY SA 2.0
24 Commentaires
Denis la malice
06/10/2023 à 19:13
Le monsieur vient aux réunions au ministère accompagné d'un huissier... et d'un photographe ? Coup de com perso ou opération montée de toute pièce ?...
Nerioche
09/10/2023 à 20:05
Allons, un smartphone suffit de nos jours
Lulu Vroumette
06/10/2023 à 22:18
Passionnant !...
Et un article sur les punaises de lit au Ministère de la Culture, y avez-vous pensé ? Cela aussi ça fait vendre du papier en ce moment...
Rhemus
07/10/2023 à 08:40
Dommage de lire "médias", avec un "s" : ce mot est invariable.
Toinou
08/10/2023 à 15:05
L'ajout d'un accent indique assez clairement la francisation du mot, ce qui devrait a priori s'appliquer aussi à son accord.
Les différents dictionnaire semblent pencher soit pour l'accord, soit reconnaissent un usage flottant, par exemple ici : https://www.cnrtl.fr/definition/m%C3%A9dia
Rhemus
08/10/2023 à 23:11
Dans la défense de la langue française, il n'y a pas de place pour la demi-mesure : que cela plaise ou non, "média" (qui porte l'accent, comme "fac-similé" ou "véto", pour se plier aux règles de la grammaire française) est, pour le pluriel, une exception (comme "duplicata") et ne prend pas de "s" ; il est et restera un nom masculin invariable.
Mireille Lépine
07/10/2023 à 10:00
J'abonde complètement le sens de cet article.
Assez systématiquement le Ministère tente d'écarter les organisations professionnelles des artistes ainsi que leur syndicats, des tables de négociations, en favorisant les organismes de gestion collective.
Lors de la reconstitution du Conseil d'Administration du nouvel Organisme remplacant la Maison Des Artistes et l'AGESSA, La représentation de la CGT FO a été écarté, sans motif.
Peut-être lié au fait que seule la CGT FO, pour défendre les droits de certains auteurs spoliés, a esté en justice ET gagné contre les deux organismes!!
Mathias Lair
07/10/2023 à 14:04
Ce ne sont pas les auteurs qui sont persona non grata, comme votre titre l'indique faussement, mais seulement Monsieur Denis Goulette. Sur ce fait, la plupart des auteurs sont d'accord avec les éditeurs. Non sans raison.
Merci de ne pas censurer ce si court commentaire.
Nicolas Gary
07/10/2023 à 22:58
Cher Mathias,
il faudrait résolument apprendre à lire : le titre ne dit en aucun cas que les auteurs sont persona non grata, mais que "la défense des auteurs est persona non grata".
Peut-être serait-il temps de cesser de hurler à la censure, que nous ne pratiquons pas, d'ailleurs, et de commencer à commenter sans chercher à fausser les informations dès vos premiers mots ?
Qu'en pensez-vous ?
Mathias Lair
08/10/2023 à 09:33
C’est encore pire ! La défense des auteurs persona non grata ? Que faites-vous des 15 organisations d’auteurs représentés par le CPE et de la Charte ? Ils ne défendent rien ? Ils ne négocient rien ? Bonjour l’amalgame ! Sacré Nicolas ! Tout cela pour un type qui rêve de faire de tous les auteurs des salariés, c’est à dire de faire disparaître 90% d’entre eux, pareil pour les petits éditeurs…
PS : je suis heureux d’apprendre que désormais vous publierez tous mes commentaires !
Frédéric Maupomé
08/10/2023 à 23:23
Denis Goulette étant l’avocat de la Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse, en cherchant à l’exclure c’est la Charte qui est attaquée puisque privée de son conseil juridique. La charte n’ayant pas de juriste salarié, la seule manière pour elle d’être soutenue par un juriste (pour le soutien a ses adhérents, mais aussi pour ces discussions) c’est de faire appel à un avocat.
Quand à cette accusation ridicule de vouloir faire des auteurs des salariés… D’une part en tant que conseil de la Charte, il était là pour la soutenir (et la Charte n’a jamais souhaité faire des auteurs des salariés, comme aucune association d’auteur à ma connaissance) d’autre part je ne crois pas avoir jamais vu Denis Goulette exprimer dans ses autres communications ou dans ses anciennes fonctions le souhait de transformer les auteurs en salarié.
Bibi
09/10/2023 à 22:00
La Ligue volant au secours de la Charte... comme c'est touchant... n'a-t-elle pas les moyens de se défendre elle-même, à commencer par la voix de son "avocat", ou est-elle encore sous tutelle (curatelle ? ).
Par ailleurs l'article d'actualité omet étrangement de dire pourquoi le Ministère s'est opposé à la présence de ce monsieur... peut-être devriez-vous faire le travail jusqu'au bout ?... Et expliquer comment il se comporte dans ces reunions... le lecteur pourrait alors se faire son opinion quand à la question de savoir si cette personne a sa place autour d'une table de négociation, où il n'est pas d'usage de proférer insultes et noms d'oiseaux à l'egard de gens avec qui l'on negocie...
John
09/10/2023 à 22:42
Vous êtes décidément bien informé...
Confusus
09/10/2023 à 22:07
Une fois de plus, tout ce que la Charte va gagner (et souhaite peut-être? ), c'est de faire échouer ces négociations... au détriment des auteurs qu'elle prétend défendre... joli fait d'armes... qu'elle n'oubliera pas de rappeler à ses membres esperons-le... il y a bien longtemps que la Charte ne défend plus les auteurs, mais seulement son gage-pain...
mathias Lair
09/10/2023 à 23:25
Il n'y a que cette organisation à venir avec une béquille juridique, les autres non. A ce stade des négociations il n'avait pas de raison d'être là.
Henri
10/10/2023 à 09:00
Donc le SNE peut venir avec sa direction juridique mais si une association d'auteurs veut venir avec son conseil, c'est une "béquille" inutile à ce stade. Mais qui êtes-vous pour décréter cela?
Frédéric Maupomé
10/10/2023 à 09:04
C’est absolument faux.
Le CPE est venu avec 5 juristes, la ligue est venue avec ses juristes aussi. Le sne également. (Comme a chaque fois depuis plus de 2 ans, rien de spécial)
Et le service juridique du ministère était là également.
La Charte n’a pas de juriste salarié et n’a pas d’autre choix pour avoir un conseil juridique que de venir avec son avocat.
John
09/10/2023 à 21:48
Mathias Lair vous êtes bien péremptoire.
Il conviendrait de fonder vos propos.
Vous nous dites que « sur ce fait (que Monsieur Denis Goulette soit persona non grata), la plupart des auteurs sont d'accord avec les éditeurs. »
D’où tirez-vous cette affirmation ? Vous faites des sondages ? Au nom de qui parlez-vous ?
Ensuite vous nous dites « tout cela pour un type qui rêve de faire de tous les auteurs des salariés »
Là encore, d’où tirez-vous cette affirmation ?
J’ai compris que vous vous prétendiez auteur. Vous êtes surtout à ce que je lis un auteur de fausses nouvelles, et un bon...
Mathias Lair
09/10/2023 à 23:27
Oui, je suis informé, désolé. Mais je garde mes sources pour moi.
Reginald
10/10/2023 à 11:44
La baudruche se dégonfle.
John
10/10/2023 à 13:18
Trop facile.
Vous affirmez sans aucune démonstration. C'est de la calomnie.
Lamentable.
Adrien Tomas
10/10/2023 à 11:19
Bonjour,
En tant qu'administrateur de la Charte, je vais me permettre de répondre aux accusations graves dans ces commentaires.
La Charte n'a pas pour objectif de faire échouer ces négociations. Elle souhaite simplement qu'elles aient lieu sous des auspices égalitaires et soient basés sur des faits juridiquement vérifiables. D'où la présence d'un conseil juridique, en la personne d'un avocat.
La raison pour laquelle un huissier (on dit commissaire de justice maintenant, d'ailleurs) était présent était pour faire constater l'interdiction d'accès à la réunion à Me Goulette, qui avait été prévenu très peu de temps auparavant de sa soudaine exclusion sans aucun motif juridique valable. Il est heureux que le Ministère ait soudain changé d'avis et laissé Me Goulette assister à l'entrevue - qui a tourné court, parce que les autres participants se sont offusqués de sa présence et ont préféré quitter la table, là encore sans aucune justification juridique précise.
La raison qui a été donnée pour justifier l'exclusion de Me Goulette de ces concertations n'a jamais été le fait que "certains auteurs et les éditeurs étaient d'accord pour cela" (il ne manquerait plus que ça, que les autres organisations puissent adouber qui peut ou non assister la Charte, vous ne voulez pas nommer nos administrateurs aussi ?), mais bel et bien le fait qu'il soit avocat. La raison donnée, qui est de parler de "discussions informelles ne nécessitant pas la présence d'un avocat", est aussi absurde qu'inquiétante.
Nous sommes supposés nous passer de conseil juridique parce que c'est "informel", alors que TOUTES les autres organisations ont AU MOINS un juriste à leurs côtés ? Et puis quoi encore ?
Et quel serait l'intérêt de ces concertations, je le rappelle placées sous l'égide du Ministère de la Culture ET pendant lesquelles tout le monde est assisté par un professionnel de la loi, s'il ne s'agit que de discuter d'usages non transposables dans la loi ?
La Charte participe à ces réunions dans l'espoir de faire évoluer les choses de manière concrète, c'est-à-dire en limitant les usages contraires à la loi et en inscrivant dans celle-ci des éléments protecteurs pour les auteurs et autrices. Si le but est simplement de bavarder gaiement dans un cadre confortable sans aucune conséquence concrète, effectivement on ne risque pas d'aller très loin.
La Charte affirme son attachement à des avancées pour les auteurs.rices, qui doivent respecter les lois en vigueur et non relever du fait du prince. Et la Charte a le droit d'être assisté par un avocat dans des négociations interprofessionnelles, ainsi que l'indique la loi. Ce n'est pas parce qu'un grand nombre d'organisations dans ce milieu a choisi d'ignorer joyeusement le cadre légal pour faire ce qui les arrange, au détriment de la représentativité, de ce qui est véritablement une avancée pour les artistes-auteurs et autrices ou de la loi fiscale et sociale, que nous souhaitons les imiter.
Nous sommes des professionnels soucieux de la loi et, à ce titre, exigeons d'être traités comme tels.
Antoine
08/10/2023 à 19:03
Si l'avocat est mandaté par une association d'auteurs, c'est bien leur défense juridique qui est interdite. C'est grave.
Lily
08/10/2023 à 10:06
En tous cas, chouettes burlingues au ministère... doivent pas s'ennuyer !