Les artistes-auteurs contre-attaquent : s'estimant victimes d'un « déni de démocratie » en matière de gouvernance de leur régime social, ils dénoncent aujourd'hui une situation française qui irait à l'encontre des règles nationales et européennes en matière de liberté syndicale. La Guilde des scénaristes, syndicat professionnel, publie un document accablant, qui vise l'État et déplore la place trop importante des organisations de gestion collective dans le dialogue social.
Le 04/09/2020 à 16:54 par Antoine Oury
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04/09/2020 à 16:54
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Même dans des secteurs aussi différents que la littérature et l'audiovisuel, les artistes-auteurs font face à des problématiques proches, voire similaires. L'une d'entre elles concerne leur représentativité et leur action syndicale, par l'intermédiaire de leurs organisations professionnelles. Ces dernières ne seraient pas suffisamment entendues par le gouvernement, au profit des sociétés de gestion collective, dont les intérêts ne sont pourtant pas en phase avec ceux des artistes-auteurs.
Ces observations sont celles de la Guilde des scénaristes, qui a récemment publié une enquête intitulée L'impossible dialogue social. Artistes-auteurs : Pourquoi la France bafoue-t-elle la constitution et ses engagements internationaux en matière de dialogue social ?. En une trentaine de pages, ce document explique une réalité que connaissent trop bien les organisations professionnelles d'auteurs : une parole confisquée et une action politique centrée sur l'exploitation des œuvres, et non la création de ces dernières.
« Cette enquête survient après plusieurs constats : un régime de protection sociale qui se retrouve sans organe de surveillance depuis 2014, mais aussi une situation catastrophique sur les retraites, où l'on découvre que l'Agessa n'a jamais fait sa mission, ce qui met en danger l'avenir de nombreux artistes-auteurs et scénaristes », nous explique Denis Goulette, délégué général de la Guilde des scénaristes et auteur de l'enquête.
Autre problématique rencontrée par les artistes-auteurs, la gestion de l'Urssaf, leur organisme de de collecte des cotisations sociales, dont les missions sont entachées par de nombreux dysfonctionnements, « que nous mettons en lien avec l'absence de représentants des bénéficiaires, à savoir les artistes-auteurs », dans sa gouvernance.
Comment expliquer cette absence des artistes-auteurs, et de leurs organisations professionnelles, des organismes qui sont censés les servir ? Une absence dommageable : « Pour nous, il y a un lien entre la faiblesse des organisations professionnelles et la pauvreté de l'encadrement des pratiques et des accords en matière de protection des créateurs », indique Denis Goulette. « Et ce lien, Bruno Racine le faisait aussi dans son rapport. »
Le document de la Guilde des Scénaristes, qui analyse la situation en quatre parties, consacre la première aux organisations de gestion collective. Ces dernières, comme la Scam, la SACEM, la SACD ou encore la Sofia, sont des sociétés civiles, privées, dont la mission première est la collecte et la distribution des droits d'auteurs : tout auteur souhaitant recevoir ses droits doit y être inscrit.
Or, indique la Guilde des scénaristes, les pouvoirs publics mènent, volontairement ou non, le dialogue social avec ces organisations de gestion collective (OGC). « Par commodité, les politiques privilégient des réunions avec les OGC, car cela est plus rapide et plus aisé que de multiplier les discussions avec des organisations professionnelles », relève Denis Goulette. Et, par l'obligation d'inscription des auteurs, les OGC peuvent se prévaloir d'un nombre de membres conséquent.
Historiquement, des organismes comme la SACEM et la SACD ont assuré un rôle de défense des intérêts des auteurs de l'écrit, notamment à leur création, aux XVIII et XIXe siècle, alors que les guildes et corporations étaient interdites en France. « À la fin des années 1980, toutefois, ces OGC ont dû adopter une forme de société privée, raison pour laquelle la Société des Gens de Lettres a créé sa filiale privée, la Scam, pour pouvoir rester une association reconnue d'utilité publique », explique le délégué général.
La différence fondamentale entre une organisation professionnelle et une société de gestion collective réside dans un point précis : la première a pour objet exclusif « l’étude et la défense des droits » des personnes mentionnées dans leurs statuts, quand la seconde a pour objet principal la gestion du « droit d’auteur ou les droits voisins de celui-ci pour le compte de plusieurs titulaires de ces droits ». Impossible, donc, de considérer que les OGC sont des organisations professionnelles.
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« La Guilde des scénaristes ne dit pas que les OGC ne peuvent pas avoir pour mission de défendre les intérêts des auteurs, mais simplement que ce ne sont pas leur objet exclusif », précise Denis Goulette. Ajoutons aussi que les OGC comptent généralement en leur sein des représentants des éditeurs et producteurs, ce qui complique encore un peu plus une éventuelle mission de défense des intérêts des auteurs, forcément influencée dans ces conditions. Par ailleurs, les moyens financiers des OGC, organisations privées, auraient orienté le lobbying au détriment des organisations professionnelles d'artistes-auteurs.
Des pouvoirs publics consensuels vis-à-vis des organisations de gestion collective auraient peu à peu privatisé le dialogue social, sans volonté de structurer ce dernier pour qu'il s'ouvre aux artistes-auteurs eux-mêmes, qu'il prétend défendre.
Si la Guilde des scénaristes publie ce document aujourd'hui, c'est parce que le ministère de la Culture a justement annoncé le lancement d'une concertation sur la question de la représentativité, qui pose donc bien problème. « Ainsi, nous rappelons à toutes les parties l'état de la loi. »
En effet, la Guilde considère qu'en l'absence d'élections professionnelles et de cadre syndical clair pour les artistes-auteurs, le législateur et les pouvoirs publics favorisent de facto l'émergence des organisations de gestion collective comme les seuls interlocuteurs représentant les artistes-auteurs. Ce qui, pour la Guilde, constitue une entorse à la liberté syndicale, reconnue par les législations française et européenne.
« Le dernier décret, celui du 29 août dernier, est symptomatique du mal que nous dénonçons. Il fait référence à des conditions pour apprécier si une organisation représente ou non les artistes-auteurs, mais s'affranchit d'une des conditions que le législateur pose, à savoir l'élection professionnelle. Un seul mot suffit : le décret évoque une organisation représentant les auteurs, plutôt que “représentatives”. Ce changement permet de faire valider le texte par le Conseil d'État », déplore Denis Goulette.
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Ce décret, d'après les propos du ministère de la Culture à la Guilde des scénaristes, aurait vocation à être temporaire, pour remédier à l'absence de gouvernance à la tête du régime de protection sociale des artistes-auteurs. « Ce décret serait modifié dans deux ans, nous dit-on, mais la ministre et le gouvernement auront changé d'ici là, ce qui nous laisse avec une simple promesse. » De la même manière, le précédent ministre de la Culture, Franck Riester, n'avait rien répondu de précis à la nécessité d'élections professionnelles, déclarant seulement que « des élections devront avoir lieu dans tous les secteurs où cela semblera opportun ».
La Guilde des scénaristes propose au législateur l'ajout d'un amendement à l’article L2135-12 du code du travail, qui évoque les organisations syndicales de salariés. L'organisation espère que ses observations feront mouche auprès du gouvernement, dans le cadre de la concertation sur la représentativité. Dans le cas contraire, elle se lancera, sans doute avec le soutien d'autres syndicats, dans l'action judiciaire, peut-être jusqu'à la Cour de Justice de l'Union européenne.
Le document de la Guilde des scénaristes est accessible, en intégralité, à cette adresse.
Photographie : illustration, ActuaLitté, CC BY SA 2.0
Par Antoine Oury
Contact : ao@actualitte.com
2 Commentaires
Jojo
04/09/2020 à 18:09
Des élections professionnelles pour représenter les auteurs serait reconnaître que le droit d'auteur n'est pas seulement un droit de propriété mais aussi un droit du travail.
Jojo
Mathias Lair
05/09/2020 à 10:59
La guilde fait une erreur dont le résultat (l'intention ?) amalgame la SGDL aux OGC : aujourd'hui la Scam n'est pas une filiale de la SGDL, elle s'en est séparée depuis longtemps.