Près d’un an et demi qu’auteurs et éditeurs ont tenté de trouver des solutions d’entente à travers de multiples négociations professionnelles. Après l’accord de novembre 2014, Pierre Sirinelli était de nouveau mandaté pour accompagner les organisations dans leurs échanges. Objectif : faire évoluer le cadre juridique des relations contractuelles. Et, surprise, non pas simplement sur cinq points, mais bien six.
Le 20/12/2022 à 10:58 par Nicolas Gary
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20/12/2022 à 10:58
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Historique, ce 20 décembre ? Surtout en regard des embûches, camouflets et revirements que l’accord aura rencontrés depuis mai 2021. Réunissant six associations d’auteurs, dont la Ligue des auteurs professionnels, désormais pleinement intégrée au paysage, il est donc signé avec le syndicat des éditeurs.
Suivant la volonté qui s’en dégage, il impliquera « une intervention législative ou réglementaire », afin que ses dispositions entrent en œuvre. Six points et non plus cinq — et comme prévu, pas un mot sur l’évolution de la rémunération [l'accord complet est disponible en fin d'article] :
Or, si l’on ne parle pas directement d’argent dans ces points, la feuille de route signée entre les parties en juillet 2021, abordant, elle, la rémunération, demeure. Mais il était grand temps que le professeur Sirinelli en finisse avec sa mission.
Frédéric Maupomé, président de la Ligue, n’a dit pas autre chose dans son discours : si l’accord importe, il résulte « malheureusement aussi d’un rendez-vous manqué ». En occultant la question de la rémunération, « aucun compromis n’a pu être trouvé sur cette question fondamentale ».
Et ce, alors que le Conseil d’État vient de sanctionner l’ordonnance du ministère de la Culture transposant la directive européenne sur le droit d’auteur. Omettant d’intégrer que les revenus se devaient d’être « proportionnels et appropriés », le texte a été renvoyé sur le métier.
« Je me demande toutefois si cette question restera d’actualité jusqu’à ce qu’il n’y ait plus d’auteurs et d’autrices. Ou si les seuls qui resteront seront celles et ceux qui pourront se le permettre », interroge alors le président de la Ligue. Voilà des années que ce mantra revient : sans auteurs, pas de livres, pas d’éditeurs, pas de libraires. Donc un ministère de la Culture qui n’aura plus que le Patrimoine et les autres arts dans son périmètre d’action ?
Pour le Conseil Permanent des écrivains non plus, « cet accord n’est pas à la hauteur de nos espérances », note Séverine Weiss, présidente de l’ATLF et co-présidente du CPE. Le partage de la valeur n’est pas une option, pas plus que l’on ne peut reléguer la question économique comme cinquième roue du carrosse.
Christophe Hardy, président de la SGDL et co-président du CPE, lui aussi, pointe « l’avenir inquiétant que le SNE semble vouloir dessiner pour nous [auteurs] ». Et d’insister sur « la vulnérabilité économique de tous les auteurs de l’écrit ».
Pour la SGDL, la rémunération minimale demeure au cœur des impératifs, car « l’absence de ce principe est une vraie menace pour une majorité des auteurs ». Corréler les aides publiques à l’édition aux montants versés aux créateurs comptera parmi les combats qu’entend mener l’association.
[de gauche à droite] Christophe Hardy, Pierre Sirinelli, Séverine Weiss, Rima Abdul Malak, Frédéric Maupomé, Sarah Dormont, Vincent Montagne - ActuaLitté, CC BY SA 2.0
Vincent Montagne, président du SNE, concède que ces discussions, « longues et fastidieuses », n’en furent pas moins « utiles et nécessaires, car elles reflètent des adaptations pour nos métiers ». Donc significatives, impliquant des modifications dans la durée et, pour les plus petites structures, des charges et une logistique importantes.
Et de retenir une notion nouvelle, de coinvestissement, « que je n’avais pas assez retenue. Nous agissons ainsi en partenaires, parce que le livre n’est pas un bien comme les autres. » L’accord s’engage vers plus de transparence, qui impliquera des outils pour y parvenir, insiste-t-il.
« L’accord que nous trouvons aujourd’hui au pied du sapin ne doit rien à la magie de Noël », plaisante le professeur Sirinelli, qui, avec Sarah Dormont, aura mené les débats. « Et en dix-huit mois, le traîneau du Père Noël n’a pas pris le chemin le plus direct. » Le résultat, insatisfaisant pour les uns, trop riche pour les autres, atteint selon lui « le juste milieu, que vous ferez vivre ».
Après 20 mois de réunions plénières hebdomadaires et d’autres en parallèle, l'investissement demeure incontestable. Si l’on entend que certains ont traîné des pieds, « je connais des stakhanovistes bien moins assidus que vous ». Heureusement, le travail ne manquera pas, ainsi que la feuille de route le confirme.
Voilà une quinzaine de jours, la ministre de la Culture indiquait dans un courrier aux collèges des auteurs et éditeurs qu’au terme de cette signature, « il serait souhaitable que le dialogue entre vos organisations puisse prospérer pour le futur, afin de progresser dans la définition de meilleures règles du contrat d’édition ». Et d’évoquer « la sécurisation et [..] l’encadrement plus précis de la pratique des à-valoir, propre à votre secteur ».
À LIRE: Le Sénat inquiet de la situation “bloquée” entre auteurs et éditeurs
Elle préconisait alors « une systématisation de la progressivité des taux de rémunération prévus au contrat », option à laquelle le SNE ne semble pas opposé.
D’autres sujets viendront sur la table, comme « les ventes de livres vers l’étranger, les ventes de livres soldés ou, indépendamment de la vente des livres, les prestations particulières demandées par les éditeurs aux auteurs ». Ou encore les « assiettes de rémunération des auteurs pour l’ensemble des revenus issus d’exploitations de leur œuvre par des tiers ».
Mais, par-dessus tout, ce sont « les bonnes pratiques en matière de rémunération » qui retiennent l’attention de la locataire de Valois. « À cet égard, et sur le fondement d’une concertation, le Centre national du livre pourrait travailler à la conditionnalité de ses aides pour les projets éditoriaux », indiquait-elle.
Verra-t-on un jour l’arrivée de Booktracking, l’outil confié désormais à Laurent Le Meur, directeur technique de l’EDRLab ? Cette solution de suivi des ventes et d’informations ouvert aux auteurs nécessite l’implication des libraires, insistait la lettre.
Hébergeant cette signature en ce 20 décembre, elle retient qu’au terme de cette mission de médiation de vingt mois, les sujets ne méritaient pas moins. « De nouvelles règles du jeu, plus justes, plus simples », furent posées en 2014 : l’accord de ce jour s’inscrit dans cette continuité. Par ailleurs, c’est au niveau européen que l’on a pu défendre le droit d’auteur.
La décision du Conseil d’État contraindra le gouvernement à réviser le texte de transposition, « une autre étape, dès que l’on pourra disposer du temps législatif », note-t-elle. Avec quel calendrier ? La question demeure. Le MCC s’engagera sur cette voie, et celles évoquées, car le ministère de Rima Abdul-Malak entend porter et accompagner l’industrie du livre.
« Vous avez parlé du couple auteur-éditeur, n’oublions pas les lecteurs : il s’agit donc d’un ménage à trois, peut-être le seul qui dure », plaisante-t-elle. Cependant, derrière la boutade, la lecture représente un enjeu crucial, assure-t-elle. Ainsi, 10,5 millions de livres vendus à travers le Pass Culture participent de cette politique. D’autant que la moitié des jeunes ayant acheté un manga ont acheté un livre d’un autre genre — l’application compte à ce jour 250.000 références.
« Nous sommes là pour vous accompagner en médiateurs. Le rôle de l’État n’est pas d’administrer votre filière », conclut-elle. Interpellée par Frédéric Maupomé, Rima Abdul Malak sera-t-elle « ce qu’aucun de vos prédécesseurs, en cinquante ans, n’a été : la ministre des auteurs ». Rendez-vous en janvier 2023 pour la reprise des échanges...
Crédits photo : Rima Abdul-Malak - ActuaLitté, CC BY SA 2.0
Par Nicolas Gary
Contact : ng@actualitte.com
2 Commentaires
Lily
21/12/2022 à 12:37
"Pas de livre, sans auteur !" Tellement vrai... Travail remarquable et de longue haleine effectué par les représentants d'auteurs. Merci à eux. Pour beaucoup, l'écriture n'est pas un luxe, seulement la Vie !
R. Raynal
24/12/2022 à 10:19
Comment ? Ces gueux d'auteurs veulent être payés ? Et puis quoi encore ! Faisons comme nous l'avons toujours fait : payons les de 5 % de droits, versés une fois l'an, sans visibilité aucune... Bon, faisons leur l'obole de leur verser leurs "droits" deux fois l'an, nous sommes en 1822, tout de même... Mais faisons remarquer que cela va nous coûter, il va falloir équiper nos comptables de nouveaux bouliers, si ce n'est même, horresco referens, envisager l'achat d'une de ces "Pascaline"...
Pendant ce temps là, sur l'Amazone...
Les droits sont versés mensuellement, les ventes suivies quotidiennement, les droits varient entre 30 et 70 %, le prix de vente (et la marge, donc...) déterminé par l'auteur... Mais continuons à vilipender le pendart, et surtout ne changeons rien !