LettresDuMonde23 - En Nouvelle-Aquitaine, le festival Lettres du monde défend les littératures des quatre coins du globe. Cet engagement est porté par une association née en 2003. Cécile Quintin, sa directrice, est accompagnée dans cette aventure par l’ancienne journaliste de Télérama, chargée de la programmation littéraire de l’événement, Martine Laval, et de Manon Robin, chargée de communication et coordinatrice de projet.
Le 03/10/2023 à 12:20 par Hocine Bouhadjera
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« En Nouvelle-Aquitaine, le seul festival littéraire itinérant dédié aux littératures du monde », voici comment sa directrice résume Lettres du monde. 20 ans déjà, et une vingtaine d’invités pour cette édition anniversaire qui se tiendra dans 44 villes de la région Nouvelle-Aquitaine. En tout, 10 jours de festivités du 16 au 26 novembre prochain, et 70 rencontres littéraires sur tout le territoire.
L’association Lettres du monde, créée par Cécile Quintin et Olivier Desmettre, n’est pas née ex nihilo, mais a souhaité donner une suite à une précédente initiative inscrite dans la région Aquitaine, Le carrefour des littératures qui a cessé d’exister en 2003, en y ajoutant sa spécificité.
Quand Le carrefour des littératures développait un fort tropisme pour les auteurs autour du bassin méditerranéen, les 10 premières années du festival Lettres du monde se sont concentrées sur les littératures d’un pays à chaque édition. Lorsqu’Olivier Desmettre est parti créer sa maison d’édition en 2015, Cécile Quintin s’est rapprochée de Martine Laval. Cette dernière apporte une expérience d’une trentaine d’années de journaliste-critique littéraire spécialisée en littérature étrangère à Télérama.
À partir de 2014, toutes deux décident de réunir chaque année des auteurs de différentes contrées autour d’une thématique : « Les bibliothèques étaient ravies de cette focalisation sur un pays, car elle pouvait organiser un temps fort autour de celui-ci, mais la programmation par thème offre plus de choix quant aux plumes que l’on peut convier. Au bout de 10 ans, c’est intéressant de faire évoluer une manifestation », explique la directrice de Lettres du monde.
Aujourd’hui, la programmation de Lettres du monde réunit une grande majorité d’auteurs étrangères, certains des traducteurs des auteurs et s’autorise « un ou deux auteurs français qui “regardent vers l’ailleurs” », toujours dans l'optique de s’offrir une plus importante latitude dans la programmation. Le tout sans avoir pour contrainte la rentrée littéraire, mais bien « en faisant des choix d’auteures qui nous intéressent littérairement, auteurs connus ou reconnus comme des primo-romancier en proposant un panel éclectique et diversifié (pays et genre différents, petite et/ou grande maison d’édition) », décrit Cécile Quintin.
Outre le fait de s’inscrire dans le territoire de la Nouvelle-Aquitaine, le festival a fait le choix fort de réaliser toutes ces rencontres en médiathèques, bibliothèques, librairies indépendantes, établissements scolaires et universitaires : « On respecte et travaille avec toute la chaîne du livre, du traducteur, à l’auteur, à l’éditeur, avec les librairies, aux bibliothèques, et dans cette optique, on souhaite associer tous les maillons, ainsi que les documentalistes, enseignants, universitaires », explique sa directrice.
Elle développe : « Les bibliothécaires par exemple se sentent parfois les parents pauvres du monde du livre, notamment dans la possibilité d’accueillir un auteur étranger. Leur proposer de s’inscrire dans le festival Lettres du monde est l’occasion souvent unique de recevoir par exemple un Javier Cercas ou un Alberto Manguel dans leur mur, mais pas que. Pour le festival, c’est aussi l’occasion de leur faire découvrir des primo-romanciers et donc de faire circuler leurs oeuvres, moins ou peu connues, auprès de leurs lecteurs. Et cela nous tient à cœur. C’est le cas cette année avec l’auteure iranienne Nasim Marashi ou avec Bianca Joubert qui nous arrive du Québec. Alors quand une petite bibliothèque du Lot-et-Garonne apprend qu’elle va accueillir un auteur étranger, elle est ravie de cette opportunité. C’est ouvrir des fenêtres sur le monde, sur l’ailleurs, dans des territoires ruraux où il y a souvent peu d’offres. »
Ce département rural du Lot-et-Garonne, dont cinq bibliothèques prennent part à la manifestation : « Un festival à l’intérieur du festival », résume Cécile Quintin avec fierté.
Une présentation de la programmation est faite dès le printemps aux médiathèques partenaires qui, dans la liste des auteurs proposés, font un choix par ordre de préférence d’un auteur qu’elles souhaiteraient accueillir en novembre, et reste à l’équipe du festival néo-aquitain de proposer à chacun des auteurs un programme nomade de rencontres. Du cousu main, afin de satisfaire le mieux possible les publics et partenaires associés à cette aventure.
Soutenir les acteurs du monde du livre, et réunir du public autour de cette littérature spécifique, tel est l'objectif : « Sensibiliser, faire découvrir, donner envie de lire, participer au bouche-à-oreille, sortir du cadre des écrivains qu’on voit trop régulièrement dans les salons et festivals... » Mais aussi mettre en avant les éditeurs régionaux comme l’Arbre vengeur ou Agullo, ou engagés pour la littérature étrangère, « prenant des risques », comme Zulma, Actes Sud, Verdier, Sabine Wespieser, Anacharsis, Les Avrils, La Contre Allée et bien d’autres.
L’un des enjeux aujourd’hui porte sur la baisse de la littérature étrangère lue en France. Elle a besoin d’être soutenue selon la directrice du festival Lettres du monde, car elle est victime souvent d’une méconnaissance du public, outre les enjeux économiques importants pour les éditeurs (achat des droits, coût de la traduction et des frais quant à l’invitation de l’auteur en France pour une tournée de promotion…); qui sont plus frileux dans la prise de risque que cela représente pour une maison d’édition. « Il faut véritablement faire l’effort de promouvoir les auteurs étrangers », résume la directrice du festival Lettres du monde.
Promouvoir les littératures étrangères, c’est aussi mettre en lumière ces traducteurs également, « longtemps évincés, même sur les couvertures des livres », rappelle Cécile Quintin. Certains des traducteurs des plumes invitées participeront aux festivités.
Pour cet anniversaire des 20 ans, Lettres du Monde propose un riche programme sur 10 jours, avec un coup d’envoi à la Librairie Mollat de Bordeaux. L’Espagnol Javier Cercas et l’Argentino-Canadien Alberto Manguel, « qui se connaissent bien », évoqueront 20 ans de littérature d’ici et d’ailleurs. Avoir 20 ans, l’âge du fantasme d’écrire, dirait Roland Barthes. Les Néo-Aquitains pourront également profiter de la présence exceptionnelle du mangaka Kenshirô Sakamoto, dont le premier tome de sa série Toah’s Ark - Le livre des Anima (trad. Thibaud Desbief), est paru en France chez Kana en avril dernier.
Pour cette invitation exceptionnelle, le festival a mutualisé la venue du Japonais dans le sud-ouest de la France, avec le festival de BD de Clairac, la Human Academy d’Angoulême, la librairie Krazy Kat Manga et d’autres partenaires.
Des “locomotives” donc, mais aussi des auteurs qui méritent d’être plus connus en France, comme le Bosnien Velibor Čolić, notamment programmé dans une rencontre croisée avec l’Iranienne Nasim Marashi à la librairie indépendante La Machine à lire, à Bordeaux. Celui qui écrit aujourd’hui en français et a publié chez Gallimard en 2020 Le Livre des départs, a été enrôlé dans l’armée bosniaque, avant de déserter en 1992. En tant que réfugié politique, il utilise la littérature pour lutter contre le profond désespoir de ceux qui ont été témoins de la disparition totale de l’humanité chez l’Homme. Nasim Marashi, elle, raconte l’envie de départ et d’exil qui hante un trio de jeunes Iraniennes.
Plusieurs auteurs de cette programmation s’inscrivent dans cet entre-deux de cultures, langues, et dans un engagement, qu’il soit écologiste, féministe, antiraciste, humaniste, pour la liberté d’expression... Comme la politologue marocaine installée en France Fatima Ouassak, qui milite pour une « écologie pirate », Ubah Cristina Ali Farah qui quitte sa Somalie natale pour l’Italie après le déclenchement de la guerre civile en 1991, Eduardo Berti (Argentine-France), Kossi Efoui (Togo-France), ou Najat El Hachmi, né au Maroc mais qui écrit simultanément en castillan et en catalan, ou encore Rinny Gremaud (Corée du Sud-Suisse).
« Nous défendons une ouverture sur le monde, des esprits, par l’entremise des auteurs qui portent une expérience de vie forte, une voix et une écriture singulière et l’envie de partager, comme Kamel Daoud, Andrei Kourkov ou Pinar Selek qui ont été des invités des éditions précédentes », nous explique Cécile Quintin. Et d'être formel : « Nos “thèmes-titres” du festival et nos choix littéraires ne sont pas sans lien avec l’actualité. Lorsque le festival a pour titre Hautes tensions, Libres ! ou Welcome !, je crois que les auteur.es invitées savent ce pour quoi, elles.ils ont été choisis aussi pour cette édition. Car leurs oeuvres parlent du monde, de ses crises et ses bouleversements. »
Si, pour les éditeurs, s’engager pour la publication d’auteurs étrangers peut représenter un risque non négligeable, axer son festival sur une programmation de littérature étrangère nécessite un investissement important, notamment pour la partie logistique et organisationnelle. D’autre part, le festival explique attacher une importance toute particulière à l’accueil de ses invités et à l'accompagnement, tout au long de leur séjour.
Alors, quand l’inflation étrangle les collectivités locales, et fait violemment augmenter les coûts pour les festivals, la problématique devient prégnante : « On entend fêter dignement ses 20 ans, mais on s’interroge sur les conditions dans lesquelles nous pourrons poursuivre cette aventure », confie la directrice de Lettres du Monde. Et d'ajouter : « Pour cela, nous alertons nos partenaires financiers sur la fragilité de ce festival littéraire itinérant. »
Dans la région qui accueille la ville d’Angoulême, une journée d’étude est par ailleurs organisée autour de l’adaptation d’œuvres littéraires en bandes dessinées et/ou roman graphique, en collaboration avec le festival BD de Clairac, à La Méca de Bordeaux. Cet événement se déroulera de 9h30 à 16h30 le jeudi 23 novembre et s’adresse principalement aux professionnels du monde du livre - libraires, éditeurs, bibliothécaires, documentalistes et traducteurs, les étudiants, enseignants et tous ceux qui s’intéressent au sujet.
Interviendront les auteurs de bande dessinée Christian Cailleaux, Richard Guerineau, Marion Duclos, les traducteurs Fanny Soubiran et Edmond Tourriol, et l’écrivain, essayiste, scénariste, critique et spécialiste de la bande dessinée Benoît Peeters.
À l’occasion des 20 ans du festival, mais aussi des éditions de l’Arbre vengeur, un hommage à Walker Hamilton est prévu. L’auteur écossais disparu à seulement 35 ans en 1969 est l’auteur d’un unique et étonnant roman, Tous les petits animaux, traduit par de l’anglais par Jean-François Merle, réédité par la maison bordelaise. Une lecture par le comédien Alexandre Cardin, suivi d’un échange avec David Vincent, l’éditeur et la participation de l’illustrateur Mehdi Beneitez sera proposée à Bordeaux et à Casseneuil. « Un évènement à ne pas manquer », pour Cécile Quintin.
Ci dessous, le programme détaillé de l'édtion 2023 du festival Lettres du monde :
Crédits photo : Cécile Quintin / Lettres du monde
DOSSIER - Lettres du Monde : promouvoir les littératures et les cultures du monde
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