En l'espace de quelques jours, le Pass Culture, principale innovation culturelle des présidences d'Emmanuel Macron, aura fait l'objet de deux rapports. L'un est signé par la Commission des finances du Sénat, l'autre par la Cour des Comptes, qui relèvent chacune des améliorations à apporter au dispositif.
Le 25/07/2023 à 13:06 par Antoine Oury
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Publié le :
25/07/2023 à 13:06
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Proposition culturelle du candidat Macron de 2017, généralisé à tous les jeunes de 18 ans depuis 2021, le Pass Culture est passé d'un système de crédit - 300 € à dépenser en expériences et biens culturels - à un parcours de découverte qui démarrera dès la 6e à partir de la rentrée prochaine.
Cette extension à venir proposera des crédits d'un montant de 25 € par élève, en 6e, puis en 5e. Soit la même somme que celle attribuée en 4e, puis en 3e. En 2024, le dispositif s'ouvrira aux jeunes Français de l'étranger.
Ces nouveaux bénéficiaires et l'élargissement du domaine du Pass Culture ont un coût : le budget est passé de 24 millions € en 2019 à 199 millions en 2022 et finalement 208,5 millions € en 2023, soit une hausse de 9,5 millions €, pour représenter 26 % des montants du programme Transmission des savoirs et démocratisation de la culture du ministère.
L'intérêt de la Commission des finances du Sénat et de la Cour des Comptes, en ce début de mois de juillet, n'est donc pas vraiment surprenant...
Dans son examen du dispositif, la Cour des Comptes s'est concentrée sur les origines du Pass et son modèle économique, laissant de côté, pour plus tard, un bilan qualitatif.
Annoncé par le candidat Macron en 2017, le Pass Culture doit être rapidement mis en place après son élection, tâche confiée au ministère de la Culture. Au sein de celui-ci, le projet est géré par le cabinet et le secrétariat général, ce qui pose d'emblée « un certain nombre de problèmes de nature
administrative et financière, dont les répercussions sur la gestion des ressources humaines et
du projet lui-même sont importantes ».
Début 2018, la DINSIC (direction interministérielle du numérique et du système d'information et de communication de l'État), devenue la direction interministérielle du numérique (DINUM) entre dans la danse et devient ordonnatrice des dépenses pour le projet.
La création de la fameuse « start-up d'État » survient alors. Différents prestataires interviennent ensuite, sollicités par le ministère, pour apporter des formations en coaching développement, déploiement et design aux équipes. Prestations que la DINUM, chargée de la gestion financière, ne suit que de très loin... « Il apparaît donc un écart entre la gestion quotidienne du projet, censée relever du ministère de la culture en tant qu’il rédige les expressions de besoins et suit leur réalisation opérationnelle, et la gestion administrative et financière, purement formelle », relève la Cour des Comptes. Celui-ci « affecte toute la chaîne de contrôle du circuit de la dépense publique », mais compromet aussi des archives, qui disparaissent à cause de cette gestion informelle.
Cette gouvernance bicéphale et ce suivi défaillant sont les symptômes, pour la Cour, « d’une action publique menée dans l’urgence et sans considération de la traçabilité des procédures et des réalisations qui a conduit à fragiliser le dispositif ».
Quelque peu agacée par la multiplication des recours aux consultants par l'État - un rapport publié le 10 juillet évoque cette tendance - la Cour des Comptes persiste et signe concernant le Pass Culture.
Elle revient ainsi sur le cadre de travail d'Éric Garandeau, inspecteur général des finances, ancien président du Centre national du cinéma, et de Frédéric Jousset, co-fondateur de Webhelp, président de Beaux-Arts Magazine, intervenus après avoir reçu une lettre de mission du ministère. Ces deux consultants travaillent à différents niveaux, dans des conditions qui ne sont pas clairement définies - les archives à ce sujet manquent, ici aussi.
Concernant le premier, sa société Garandeau Consulting « a travaillé sur le Pass Culture dans le cadre de prestations de sous-traitance livrées à un prestataire de la DINSIC pour un montant total de 868.500
€ soit 1.042.000 € entre 2018 et 2019 ». Éric Garandeau et deux de ses salariés sont alors désignés comme des « “chargés de développement commercial” [...] alors qu’ils assurent en fait des fonctions de direction de projet », souligne la Cour des Comptes.
Assez logiquement, elle « s’interroge sur l’opportunité du recours à un consultant extérieur, en disponibilité de son administration d'origine [Éric Garandeau est inspecteur général des finances], pour lui confier des missions de nature administrative du même ordre que celles qu’il aurait remplies dans le cadre d’un détachement ou d’une mise à disposition ».
En 2019, Éric Garandeau était même destiné à devenir « conseiller du président » de la SAS Pass Culture « alors qu’il était sous-traitant de la société qui avait mis en œuvre le Pass et allait continuer à le faire pour la SAS ». Une position pour le moins schizophrénique et problématique : après l'intervention de la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie publique, Garandeau démissionne finalement de la SAS, après quelques semaines d'activité.
La Cour des Comptes rappelle, en guise de morale de l'histoire, que « le recours aux consultants extérieurs doit être réservé aux seules missions techniques pour lesquelles les administrations ne disposeraient pas des compétences requises en interne ».
Et de conclure :
La Cour note que le pilotage du Pass Culture, dans sa première phase, a été emblématique des dérives du recours extensif à des consultants extérieurs pour des missions de nature administrative et politique.
- La Cour des Comptes
La facture du Pass Culture et des crédits qui lui sont associés pèse majoritairement sur les finances publiques, note la Cour des Comptes dans son rapport. À l'origine, l'État espérait pouvoir prendre en charge 20 % des dépenses, pour 80 % laissées aux « différents partenaires ». Finalement, la majeure partie de celles-ci revient à l'État, à l'exception de « “contributions sur réservation” assimilables à des réductions de prix, comprises entre 2 et 10 % de l’offre, selon un barème général progressif appliqué aux offreurs à partir de 20.000 € annuels de chiffre d’affaires ». Sous ce système, les finances publiques pour 2022 s'élèvent à 200 millions €, pour 12,5 millions € de contributions des offreurs...
Au total, la maîtrise des coûts potentiels du dispositif est encore incertaine à ce jour et appelle une vigilance d’autant plus grande que ses impacts n’ont pu être évalués qualitativement, au-delà des taux d’utilisation effectivement croissants en raison d’une notoriété désormais assurée.
- La Cour des Comptes
La consolidation de ce modèle économique reste complexe en raison de la forme de la SAS Pass Culture, intégralement financée par des fonds publics. Codétenue par l'État et la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC), elle devrait s'en affranchir et être mise en concurrence pour intégrer des partenaires extérieurs et des capitaux privés.
Pour la Cour des Comptes, « l’entité en charge de la gestion du Pass Culture devrait faire l’objet
d’une inscription sur la liste des opérateurs de l’Etat, qu’il s’agisse durablement d’une SAS
(privée de ressources propres comme c’est le cas aujourd’hui ou dotée d’une filiale à vocation commerciale) ou d’un établissement public ». Cette inscription permettrait notamment une subvention de fonctionnement, mais aussi une meilleure information des actions et résultats de l'entité.
La Commission des finances du Sénat rejoint la Cour des Comptes sur ce dernier point et déplore que, « malgré son poids budgétaire, la SAS ne figure pas dans la liste des opérateurs de l’État ». Dans son propre rapport, elle aborde pour sa part le versant qualitatif du Pass Culture, saluant un nombre d'inscriptions [3,04 millions au 1er mai 2023] qui « répond pour partie aux cibles fixées à l’échelle nationale dans le contrat d’objectifs et de performance signé entre la SAS Pass Culture et l’État ».
Concernant le volet collectif, le rapport de la commission note que les premiers résultats « sont encourageants ». « Au 20 mai 2023, 86 % des collèges et lycées avaient utilisé ce mécanisme (92 % des établissements du secteur public) », détaille le document, qui précise que 2 millions d'élèves en sont bénéficiaires, soit la moitié du public cible, un bilan qui s'explique notamment par l'éloignement de certaines offres culturelles. À ce titre, le ministère est vivement invité à plancher sur une prise en charge des transports vers ces lieux culturels.
À LIRE - Pass Culture : le gouvernement insiste sur l'éducation artistique et culturelle
Si le Pass fonctionne, mais est-il suffisant ? Pour la Commission des finances, clairement pas, puisqu'elle évoque la notion de proximité et la question sociale, mais aussi la médiation culturelle, qui doivent être traités par le ministère de la Culture.
Il est, plus largement, regrettable qu’aucun objectif n’ait été assigné à cette politique publique en matière de médiation culturelle, de diversification culturelle ou d’affirmation des droits culturels. Ce faisant, le ministère de la culture prend le risque de résumer le volet individuel du pass à une simple plateforme d’achat de biens et de services.
- Commission des finances du Sénat
Par ailleurs, les jeunes non-scolarisés passent largement à côté de l'application, un point que le ministère devra résoudre, pour la commission.
En matière de diversification des pratiques culturelles, le rapport relève que « le volet collectif semble plus enclin à atteindre » cet objectif : un argument en faveur de l'accompagnement, certes, et il reste à voir si la génération d'élèves ayant bénéficié de la part collective conservera cette éclectisme en autonomie.
Le rapport de la Commission des finances du Sénat est accessible ci-dessous.
Photographie : illustration, ActuaLitté, CC BY SA 2.0
Par Antoine Oury
Contact : ao@actualitte.com
3 Commentaires
D.L.
26/07/2023 à 09:37
Le pass culture est une usine à gaz à destination des grosses librairies.
En France, des centaines de petites structures du livre ne peuvent pas en profiter à cause de son fonctionnement. Pour proposer le Pass culture, le libraire doit avoir accès aux bases de données du livres dont l'abonnement coûte un fortune. Sinon, il doit rentrer toutes les références des livres… à la main !
Les réunions avec les responsables du Pass ont confirmé cet état de fait. Ce qui est débile dans cette histoire, c'est qu'en Région Sud PACA, un Pass jeune permet aux lycéens de bénéficier de 80€ culture dont 28 pour le livre.
Une appli téléphone, un QR code, et en autant de temps que pour payer avec une carte bancaire classique, le livre est dans le sac du lycéen! Pas besoin de base de données, pas de perte de temps, et surtout, de la plus petite à la plus grosse structure, tout le monde est bénéficiaire.
Trinitro
26/07/2023 à 12:46
Libraire partenaire depuis de début du Pass'Culture, et bien que nous trouvions l'idée excellente,
après un an, nous avons fini par arrêter à cause du travail de mise en ligne et de communication par E-mail avec les jeunes que cela nécessitait.
En effet, une personne était dédiée au Pass'Culture et y passait des matinées complètes.
Création des annonces produits fastidieuse, communications multiples par E-mail avec le jeune.
Avec de plus 5% reversés à PC une fois un certain CA atteint...le rapport temps/bénéfice ne devenait plus rentable.
Une simplification du système serait bien venue ?
Surtout lorsqu'il faut créer les annonces des produits une par une et attendre la validation.
Une bonne idée a simplifier
D.L
26/07/2023 à 14:57
Si vous êtes en Région Sud, intéressez-vous au pass jeune de la Région, simple et efficace. Pas de redevance et il suffit d'un téléphone pour scanner le QR code de la carte ou afficher votre QR code que le lycéen scanne avec son appli téléphone…
Les remboursements se font normalement.