REPORTAGE – Des livres courts et simples à lire, exigeants dans le fond, accessibles dans la forme. Voilà l'intention des espaces « Facile à lire » que de plus en plus de médiathèques expérimentent en France afin que des publics « éloignés » renouent avec le livre... avec facilité.
Courants dans les médiathèques d’Europe du Nord, mais aussi au Québec, les espaces « Facile à lire » se sont déployés à partir de 2014 dans la région bretonne sous l’impulsion de Françoise Sarnowski, qui en a importé le concept, et de Livre et Lecture en Bretagne qui a coordonné leur développement. Les cinquante lieux de médiation et médiathèques qui relayent aujourd’hui la démarche « Facile à lire » proposent une offre de lecture adressée à une multitude de publics éprouvant des difficultés de lecture.
Les livres « Facile à lire », à la fois simples et courts, sont présentés de face dans un meuble dédié, bien visible. Cinq ans après, l’expérience bretonne est concluante. Les espaces « Facile à lire » ont su capter de nouveaux publics en tissant des partenariats entre les médiathèques et des acteurs sociaux.
En novembre 2018, le ministère de la Culture, l’Association des bibliothécaires de France (ABF), l’Agence nationale de lutte contre l’illettrisme (ANLCI) et la Fédération interrégionale du livre et de la lecture (FILL) se sont associés pour annoncer le déploiement national de l’offre de lecture « Facile à lire » et proposer une labellisation permettant d’obtenir le logo officiel.
L’offre de lecture « Facile à lire » s’adresse notamment à des personnes en situation de handicap ou des adultes débutants en lecture-écriture, dans un contexte régional où l’illettrisme concerne 11,5 % des personnes de 18 à 65 ans. Sabrina DumontFellows, directrice de la Bibliothèque départementale de la Somme, prévient que « si on ne participe pas à la lutte contre l’illettrisme, à un moment donné on n’aura même plus la possibilité d’avoir des lecteurs. On travaille sur la consolidation du public actuel et la construction du public de demain ».
Les espaces « Facile à lire », disposés dès l’entrée de la bibliothèque, adressent des signaux bienveillants à des publics peu à l’aise avec la lecture. « On vise des publics qui ne viennent pas forcément à la bibliothèque, explique Peggy Mieze, responsable du service adulte à la médiathèque communautaire de Saint-Omer. On vise également des personnes qui se remettent doucement à la lecture. Il y a aussi un fonds pour les “DYS”. Et puis aussi, tout simplement, des personnes qui sont fatiguées ou déprimées ».
« On peut aussi toucher des lecteurs qui ont l’habitude de lire, mais qui n’ont pas le temps, complète Laurence Brismalein, directrice de la médiathèque de Loon-Plage. J’ai l’exemple d'une maman qui emmène toujours ses enfants dans l’espace jeunesse. Elle prend des documents uniquement pour ses enfants. Pas pour elle. Parce qu’elle n’a pas le temps de lire. Elle a vu le rayon "Facile à lire" et elle s’est dit : « Ça, j’aurai le temps ! ». C’est donc "Facile à lire", mais facile pour tout le monde ! C'est vraiment le message ! »
L’offre « Facile à lire » peut également répondre aux besoins des personnes qui apprennent le français. « Quand je suis arrivée sur le territoire dunkerquois, je me suis rendu compte qu’on avait beaucoup de publics qui ne parlaient pas ou mal le français, qui venaient à la médiathèque pour l’espace multimédia, mais pas pour lire », précise Laure Delhopital Lamirand, directrice de la médiathèque de Gravelines. « Je me suis dit qu’il y avait quelque chose à faire. »
En proposant à plusieurs médiathèques de la Somme, qui accueillent des cours de réapprentissage, un meuble et un fonds « Facile à lire », Sabrina Dumont-Fellows forme le vœu que « la médiathèque (soit) la première marche d’accès à la culture. En discutant avec des personnes qui sont en grande souffrance et qui se vivent en marge de la société, on s’aperçoit qu’il n’est pas naturel pour elles d’aller vers la bibliothèque. Tout comme il n’est pas naturel d’aller au spectacle, d’aller au cinéma... Parce qu’elles pensent qu’elles ne sont pas assez "bien" pour ça, que ce sont des lieux qui ne sont pas faits pour elles. En les emmenant à la bibliothèque ou à la Maison de la Culture d’Amiens, on leur a montré du beau. On leur a montré que c’était aussi pour elles ».
L’offre « Facile à lire » participe à rendre la médiathèque plus familière et inclusive. Elle s’adresse à des publics qui peuvent parfois redouter le lieu, le méconnaître ou ne pas voir son intérêt. « Sur Loon-Plage, en travaillant avec des partenaires locaux comme le CCAS (Centre communal d’action sociale), nous avons repéré un public éloigné de la lecture, explique Laurence Brismalein. Ce sont des personnes qui ont des priorités autres que la culture ou les loisirs. Le repas, le logement ou l’emploi passent avant tout. On s’est dit que notre rôle en tant qu’acteur culturel serait de faire comprendre à ces personnes qu’elles ont aussi besoin d’une médiathèque pour obtenir le reste. On est en train de construire ça avec des partenaires locaux en créant des moments conviviaux. On y travaille ensemble. Quand on accueille ces personnes à la médiathèque, c’est autour d’un café, d’un thé, de petits gâteaux. Ça peut être une projection, un débat, des lectures... Parce que les gens qui ont du mal à lire adorent qu’on leur lise des histoires ! »
Le succès d’un espace « Facile à lire » dépend de son intégration dans un périmètre plus vaste que son espace d’implantation et de l’implication d’un maximum d’acteurs (associatifs, éducatifs, sociaux...) en lien avec des publics éloignés. Ce sont ces partenaires qui pourront faire connaître l’espace « Facile à lire » et accompagner pas à pas de nouveaux usagers vers la médiathèque. La valorisation du fonds « Facile à lire », par des animations régulières et des moments conviviaux, se révèle essentielle.
La participation du public à la réalisation du projet est également préconisée. « L’idée c’est que des personnes en situation d’illettrisme ou qui ne fréquentent pas la bibliothèque soient associées à la création des meubles », explique Bernadette Cottel, directrice de la Médiathèque départementale de l’Oise, qui a outillé plusieurs médiathèques, dont certaines situées en centres pénitentiaires, en leur proposant des collections « Facile à lire » et un accompagnement dans le montage de partenariats.
« Notre objectif est d’impliquer des associations de savoir-faire. Je pense à l’association "Outils en main", précise Laurent Van Tiel, responsable des publics spécifiques à la médiathèque. Ce sont des personnes retraitées qui étaient auparavant menuisiers, électriciens... qui travaillent avec des jeunes en difficulté. À la fin, le meuble appartient à la personne qui a travaillé dessus. Du coup, la médiathèque lui appartient un peu. Ça améliore l’estime de soi. »
Certains professionnels estiment que l’appellation « Facile à lire » peut être stigmatisante. Nathalie Millot, responsable de la médiathèque de Beaucamps-le-Vieux (qui dispose d'un espace « Facile à lire » mis à disposition par la Bibliothèque départementale de la Somme) interroge : « Un escalier part toujours du niveau zéro pour aller à l’étage. Non ? On monte toutes les marches ? C’est mieux pour éviter de tomber ! Si je vais dans un lieu et que dans ce lieu j’existe aussi parce qu’on me propose des livres qui m’attendent, c’est un moyen de me sentir reconnu. »
Laurence Brismalein confirme que « le "Facile à lire" plaît à tous et pas seulement à certains publics. C’est universel. Il n’y a pas de discrimination. Ceux qui sont habitués à lire sont intéressés aussi par ce rayon, qui est situé juste en face de l’entrée. Ils découvrent des livres vers lesquels ils n’allaient pas parce qu’ils ne les connaissaient pas. C’est un rayon avec plein de propositions différentes, beaucoup de variété : des livres en gros caractères, des petits livres avec beaucoup de chapitres et peu de pages, écrits très simplement. Le lancement est déjà très positif ».
L’offre de lecture « Facile à lire » est issue d’une sélection réalisée par des bibliothécaires sur des critères d’accessibilité et de lisibilité. Un livre « Facile à lire » s’identifie par des critères de forme (textes courts, police assez grande sans empâtements, chapitres brefs, mise en page aérée avec paragraphes, phrases courtes, vocabulaire simple, couverture attrayante...) et de contenu (récits simples, mais non simplistes, histoires fortes, sujets valorisants, livres « miroirs » qui permettent au lecteur de s’identifier facilement).
L’ASBL « Lire et écrire » (qui accompagne en Belgique des apprenants dans l’apprentissage de la lecture et de l’écriture) s’est associée aux Éditions Weyrich afin de créer une collection unique en son genre : « La Traversée ». Les livres édités dans cette collection intègrent les critères du « Facile à lire » dès leur création. Chaque livre propose une histoire puissante, avec des mots simples. La lisibilité des textes est validée par un comité de lecture composé d’anciens apprenants.
Mais mis à part cette collection, il est assez difficile d’identifier des ouvrages répondant à l’ensemble des critères. Laure Delhopital Lamirand confirme que « c’est compliqué de trouver des livres simples adaptés aux adultes. L’offre éditoriale ne suit pas forcément derrière ». Mais les bibliothécaires ne manquent pas de ressources ! Ils sont prêts à dénicher le « Facile à lire » dans leurs fonds et de nombreux corpus réalisés par des médiathèques départementales leur facilitent désormais le travail.
La dynamique « Facile à lire » est engagée, elle confirme une tendance croissante pour les médiathèques à s’interroger sur la place des publics, dans toute leur diversité. Comme le souligne Sabrina Dumont-Fellows : « C’est un animal social le bibliothécaire : un médiateur. Il ne faut pas oublier qu’on travaille pour un public. Même le public qui n’est pas là. »
Plus d'informations sur le site.
Commenter cet article