« Adopté » par l'Assemblée nationale après l'usage du 49.3 par le gouvernement, le Projet de loi de finances pour 2023 a été examiné au Sénat par la commission de la Culture, de l'Éducation et de la Communication et par celle des Finances. Les relations entre les auteurs et les éditeurs et la situation de la Bibliothèque nationale de France ont interpellé les sénateurs.
Les examens du Projet de loi de finances 2023 se sont déroulés ces derniers jours au Sénat, suivis par les publications de plusieurs avis et rapports. Julien Bargeton (Paris, RDPI) a ainsi rendu un avis sur le PLF, au nom de la commission de la Culture. Il remarque, pour commencer, la bonne santé générale de l'édition française, avec des ventes « supérieures de 15 % à 2019, dernière année de référence ». Il note toutefois les difficultés des librairies, dont les marges sont exposées aux conséquences de l'inflation.
« De manière générale, la hausse des prix du papier fait peser de vrais risques sur le secteur », indique le sénateur, qui attend les initiatives promises par la ministre de la Culture fin octobre, en lien avec le Centre national du livre.
Un des gros morceaux de l'avis du sénateur concerne les négociations entre les éditeurs et les auteurs sur les niveaux des rémunérations. L'édition, représentée par l'organisation patronale, le Syndicat national de l'édition, s'oppose à toute forme de régulation, quand les auteurs attendent un cadre plus strict pour les pourcentages versés sur les ventes des ouvrages.
« Les auteurs mettent en avant leur volonté d’évoquer, avant de s’engager, la question de leur rémunération, sujet que les éditeurs ne souhaitent pas aborder. La situation parait donc bloquée pour l’heure », constate Julien Bargeton au sujet des négociations. Ces dernières avaient pourtant abouti sur cinq points d’accord susceptibles d’améliorer la transparence des informations fournies aux auteurs, ainsi qu’à l’établissement d’une « clause de poursuite », centrée sur la question de la rémunération, mais cette dernière aura brisé le dialogue.
« Le rapporteur pour avis juge indispensable la reprise très rapide du dialogue entre ces deux partenaires de la création », souligne l'avis publié. Surtout qu'une réécriture partielle de l'ordonnance de mai 2021 s'imposera : le ministère de la Culture a sur ce point été condamné par le Conseil d'État, ayant oublié de retranscrire la notion de rémunération appropriée, conformément à la directive européenne.
La Bibliothèque nationale de France inquiète également Julien Bargeton, en raison d'une « forte contrainte économique », renforcée cette année par la crise énergétique. Cette dernière générera un surcoût de 3,6 millions € pour l'établissement, menant les dépenses d’énergie à 9,4 millions €, d'après les estimations du sénateur.
« En dépit de la progression de sa dotation, la BnF se retrouve donc contrainte dans sa politique d’investissement par la nécessité d’assurer un fonctionnement courant de plus en plus onéreux », note-t-il dans son avis.
Investissement et fonctionnement sont par ailleurs promis à de nouvelles hausses avec l'ouverture du centre de conservation de la presse d'Amiens, précédé par un chantier de 96 millions €, dont 40 à la charge des collectivités. Sa livraison est prévue en 2028.
Pour financer la numérisation des collections de presse, un des objets de l'ouverture de ce centre, le sénateur réclame « une véritable volonté politique », étant donné que la BnF « n’a pas pu recourir aux dispositifs d’investissement d’avenir ou de relance ».
Jean-François Husson (Meurthe-et-Moselle, Les Républicains), rapporteur général de la commission des finances, évoque lui aussi la situation de la BnF dans le cadre de son examen du PLF 2023.
Les crédits du programme « Livre et industries culturelles » sont ainsi passés au crible : ils connaissent « une majoration de près de 9,5 millions € en 2023, soit une progression de 2,9 % par rapport à la loi de finances pour 2022 », mais restent principalement tournés vers les opérateurs du ministère. Parmi ceux-ci (Bibliothèque nationale de France, la Bibliothèque publique d’information et Centre national du livre), la BnF en capte la plus grande partie.
Qualifiée de « tonneau des Danaïdes de la mission » par les sénateurs, la BnF sort du chantier Richelieu, mais s'engage dans un autre : le site François Mitterrand doit bénéficier de travaux de rénovation jusqu'en 2027, pour un montant total de 63,3 millions €. Le Sénat y ajoute toutefois les remplacements des fenêtres du site (10.000 au total, pour un montant de 16.000 € chacune) ainsi que les remplacements des éclairages, pour 10 millions € supplémentaires. « Aucun des deux projets n’a bénéficié de concours via le plan de relance ou le plan de résilience », regrettent les sénateurs, qui estiment les travaux « sous financés ».
Le rapport de la commission des finances rejoint celui de Julien Bargeton sur les enjeux liés à la conservation de la presse, mais il ajoute encore une inquiétude vis-à-vis du fonctionnement de la BnF, sur le personnel cette fois. « Les effectifs de la Bibliothèque nationale de France connaissent une certaine stabilité depuis 2016, après une diminution des emplois supérieure à 10 % entre 2009 et 2015 : - 260 ETPT sur la période », constate-t-il, notant une altération de « [l]a qualité de l’accueil et du fonctionnement » des sites Richelieu et Tolbiac.
« Au sous-financement des travaux correspond donc un sous-investissement dans les moyens humains, les deux pouvant apparaître paradoxaux au regard de la dotation conséquente et croissante accordée chaque année à l’opérateur », ajoute encore le rapport sénatorial à l'adresse du ministère de la Culture.
Toujours vis-à-vis du programme « Livres et industries culturelles », le Sénat s'interroge sur la sous-action destinée à soutenir éditeurs, libraires et professionnels du livre, dotée de 13,4 millions € en 2023, soit 2,2 millions € supplémentaires.
« La progression des crédits intrigue d’autant plus qu’une large partie des crédits vise à financer deux organisations — la Centrale de l’édition et le BIEF — dont les missions se recoupent », expliquent les sénateurs. Certes, le ministère avait annoncé une rallonge pour ces deux acteurs, afin d'améliorer la présence du livre français à l'étranger, mais aussi améliorer le transport vers l'outre-mer, mais le Sénat estime que des actions de soutien précédentes auraient dû être évaluées avant d'allonger la monnaie.
L'autre programme important pour le livre est le 361, qui porte sur la « Transmission des savoirs et la démocratisation de la culture ». La commission des finances recommande un transfert des crédits du programme « Livres et industries culturelles » dédiés au développement de la lecture vers le premier, pour plus de pertinence.
Concernant le programme 361 en lui-même, « 50,7 millions € de mesures nouvelles sont prévus en son sein, les crédits devant au total atteindre 800,68 millions € en autorisations d'engagement », note le rapport. Celui-ci examine dans le détail le bilan et l'avenir du Pass Culture, principale mesure culturelle du premier, et sans doute du second mandat d'Emmanuel Macron.
« Le Pass Culture représente 25 % des crédits du programme 361 », indique le Sénat, qui ajoute qu'il « est également le deuxième opérateur du ministère de la Culture, derrière la Bibliothèque nationale de France ». « Au 13 septembre 2022, 2,1 millions de jeunes étaient inscrits et 14 millions réservations de produits culturels ont été opérées via le Pass, pour un montant total de 235 millions € », relèvent les sénateurs.
Les rapporteurs recommandent l'instauration de sous-plafonds, « à l’image de celui mis en place pour les achats numériques », afin de pousser à la diversification des réservations opérées par les jeunes. La grande place du livre dans ces dernières (51 %) et du manga (70 %) parmi les livres est clairement visée.
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Par ailleurs, les sénateurs s'inquiètent de l’accès des jeunes non-scolarisés au Pass : seuls 3,7 % des usagers du Pass ont déclaré être non-scolarisés.
Enfin, le rapport du Sénat souligne que l'action de l'État vers l'éducation artistique et culturelle ne doit pas se limiter au Pass Culture : remarquant la hausse de crédits, qui bénéficie notamment aux contrats territoire lecture, il s'interroge sur l'efficacité de la dépense publique. « [L]a part des enfants et adolescents ayant bénéficié d'une action d'éducation artistique et culturelle a ainsi été revu[e] à la baisse en 2021 », quand la mesure de l'effort en faveur des territoires prioritaires fait aussi état d'une réalisation inférieure (18,7 % des crédits de la mission) aux prévisions (30 %).
Photographie : illustration, Pierre Metivier, CC BY-NC 2.0
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