EXCLUSIF – Au terme de l’audience du 17 octobre devant le Conseil d’État, le rapporteur général n’avait pas laissé entrevoir le moindre espoir. Deux organisations de défense des artistes-auteurs attaquaient frontalement le ministère de la Culture, pour la rédaction déplorable d’une ordonnance. Avec au cœur du sujet, la rémunération des auteurs, appropriée et proportionnelle à leur travail.
Le 15/11/2022 à 17:25 par Nicolas Gary
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Publié le :
15/11/2022 à 17:25
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« Le pourcentage de droits d’auteurs perçus sur les ventes est en effet proportionnel — puisque reposant sur une notion de somme reversée à partir d’un montant découlant du pourcentage », analysait Me Delamarre, avocats des plaignants devant la cour. « À ce titre, 0,5 % de droits d’auteurs est proportionnel. Mais peut-on considérer que la somme qui en découlera est appropriée en regard du travail réalisé ? »
Si la réponse du rapporteur général, Laurent Domingo, lors de l'audience du 17 octobre avait surtout démontré une faculté inouie à noyer des poissons, la décision finale du Conseil d'État aura désavoué une partie des conclusions exposées à la cour. Sans bouger les branchies.
Le Comité pluridisciplinaire des artistes auteur (CAAP) et la Ligue des auteurs professionnels avaient porté le fer contre l’ordonnance de transposition de la directive européenne sur le droit d’auteur. En avril 2019, le texte posait l’exigence d’une rémunération « proportionnelle et appropriée » pour les auteurs, mais dans le document de mai 2011, la rue de Valois, éternelle étourdie, oubliait une partie des termes. Seule la rémunération proportionnelle figurait dans l’ordonnance.
Le CAAP et la Ligue avaient alors présenté un recours pour excès de pouvoir en juin 2021, cherchant à faire annuler le texte. Or, le moins que l’on puisse dire est qu’au sortir des conclusions du rapporteur général, l’ambiance était morose, tant l’intervention défendait bec et ongle l’ordonnance. Comme si les propos du directeur général du Syndicat national de l’édition, Pierre Dutilleul, avaient été suivis à la lettre : « Nous sommes très attachés au modèle actuel et nous n’avons pas envie de revenir dessus. »
En gommant le terme « approprié », Valois avait-il commis un impair ? On en doutait plus que raisonnablement en sortant de l’audience. D’ailleurs, Laurent Domingo était même allé jusqu’à un examen linguistique des termes, pour conclure que, même si les autres pays de l’Europe avaient utilisé les deux adjectifs, le français, lui, n’avait besoin que d’un. Émile Benveniste en rit encore…
Pourtant, la crainte de voir cette question une fois pour toutes enterrée planait lourdement sur les plaignants. Êtres de peu de foi…
Ce 15 novembre 2022 en devient particulièrement symbolique : journée mondiale consacrée aux écrivains indûment retenus prisonniers à travers la planète, elle coïncide avec le rendu de la décision du Conseil d’État. Certes, plusieurs points ont été rejetés, non sans une certaine ironie. Parmi eux, le fait que les Organismes de Gestion Collective puissent être habilités à représenter les auteurs lors de négociations interprofessionnelles ou la signature d'accords.
Ces mêmes OGC qui avaient savouré « une transposition ambitieuse pour les auteurs », comme l’indiquait le communiqué de la SACD en mai dernier. L’organisation estimait même que s’y trouvait « un cadre, des objectifs et un calendrier pour favoriser la conclusion d’accords professionnels entre auteurs et producteurs afin d’encadrer leurs pratiques contractuelles, faire émerger de nouvelles protections et garantir de nouveaux droits ».
À LIRE: L'accord auteurs-éditeurs reporté après un doute sur la constitutionnalité
La Scam, pour sa part, saluait « un intense et long combat mené par les auteurs et autrices ». Et soulignait surtout que « [s]eule une transposition ambitieuse, fidèle au texte d’origine et étendue à l’ensemble des pays européens permettra une juste application de la directive droit d’auteur, bénéfique à toute la création ».
« Comme si l’on expliquait à des salariés qu’ils seraient défendus par un syndicat qui compte dans ses rangs des représentants du patronat », notait Me. Delamarre. Un point qui n’aura pas convaincu la cour – de fait, le rapporteur général l’aura même occulté durant son intervention.
Le Snac avait à l'époque presque fait preuve de plus de nuance : « Les avancées qui figurent dans l’Ordonnance complètent des principes aujourd’hui applicables dans le Code de la propriété intellectuelle, pour beaucoup d’entre elles, des discussions professionnelles sectorielles seront nécessaires pour permettre d’en préciser les conditions de mise en œuvre. » Sans anticiper le passage devant le Conseil d'État, donc.
Ainsi, seule l’une des conclusions a été approuvée : l’annulation de l’ordonnance du 12 mai 2021. Et ce, « en tant qu’elle ne prévoit pas que les auteurs cédant leurs droits exclusifs pour l’exploitation de leurs œuvres ont le droit de percevoir une rémunération appropriée ».
Car pour déplaisantes que soient les demandes que le Conseil d’État a balayées, le nœud gordien résidait bien dans la rédaction de l’ordonnance. Et le président Jacques-Henri Stahl ne s’en laisse sur ce point pas conter : ainsi, « pour la transposition de l’article 20 de la directive, un droit à rémunération complémentaire lorsque la rémunération proportionnelle initialement prévue se révèle exagérément faible », reprend-il.
Cet élément n’ayant pas été prévu, « contrairement à ce qu’exige la directive », l’absence d’une mention faisant état d’une rémunération qui « soit, d’emblée, “appropriée” », devient un manque cruel. Dès lors, « les requérants sont, par suite, fondés à […] demander l’annulation [de l’ordonnance] dans cette mesure ». Sur cette base, mais sur cette base seule. Un petit pas pour la justice, mais un grand pas pour les artistes-auteurs, notera-t-on.
L’État est par ailleurs contraint à verser 3000 € aux requérants, au titre de l’article L. 761-1.
Le camouflet est partiel, mais la gifle bien réelle pour le ministère, et plus encore, pour le cabinet de Roselyne Bachelot, à l’origine de cette ordonnance. Comment la nouvelle locataire de Valois, Rima Abdul-Malak composera avec cette décision ? ActuaLitté a sollicité le ministère de la Culture et reste en attente de sa réaction. La ministre qui plaidait pour une plus grande transparence quant aux revenus et ventes des auteurs disposera désormais d’une belle opportunité pour apporter plus de clarté et d’égalité.
« Même si ce succès n’est que partiel, nous nous réjouissons de cette issue dès lors que les conclusions du rapporteur public nous étaient pleinement défavorables », note le conseil du CAAP et de la Ligue.
Communiqué de la Ligue et du CAAP du 15 novembre 2022
Victoire : les artistes-auteurs et autrices ont bien droit à une rémunération appropriée ! Le Conseil d’État vient en effet d’annuler une ordonnance du ministère de la culture qui niait ce droit. Alors que le gouvernement français devait transposer ce droit à une « rémunération appropriée et proportionnelle », rendu obligatoire au niveau européen, il avait réduit cela à la seule rémunération proportionnelle, déjà existante en droit français…
La Ligue des auteurs professionnels et le CAAP avaient constaté cette mauvaise transposition et n’avaient pu obtenir du ministère qu’il corrige cette erreur manifeste.
Face au mépris de l’institution censée défendre les artistes-auteurs et autrices, la Ligue et le CAAP n’ont eu d’autre choix que de saisir le Conseil d’Etat via un recours pour excès de pouvoir.
Le 15 novembre 2022, le Conseil a rendu sa décision : il annule en partie l’ordonnance, considérant qu’elle ne reconnaissait pas aux auteurs et autrices ce droit à une rémunération appropriée.
Nous demandons maintenant au gouvernement de transposer à la lettre dans le droit français cette obligation européenne. Sans quoi il confirmerait qu’il s’oppose à l’un des droits les plus élémentaires des artistes-auteurs et autrices : être rémunérés pour leur création de manière appropriée.
Le CPE a diffusé un communiqué pour saluer la décision, dans un tour de force significatif : aucune des organisations qui le composent ne s'est associée à la démarche juridique, d'une part, et de l'autre, le deux structures engagées dans le recours en excès de pouvoir, le CAAP et la Ligue des auteurs professionnels ne sont pas même citées.
Le Conseil Permanent des Écrivains (CPE) se félicite de la décision rendue le 15 novembre 2022 par le Conseil d’État, qui annule partiellement l’ordonnance du 12 mai 2021 portant transposition notamment de l’article 18 de la directive européenne sur le droit d’auteur du 17 avril 2019.
Le Gouvernement avait fait le choix peu inspiré – et ce, malgré les remarques et mises en gardes formulées par de nombreuses organisations d’auteurs – de s’écarter, dans sa transposition en droit français, tant de l’esprit que de la lettre de cette directive, en choisissant d’omettre les termes de « rémunération appropriée ».
Le CPE appelle donc les pouvoirs publics à procéder dans les meilleurs délais à la mise en conformité de la loi française avec le droit européen. Les auteurs du livre sont à cet égard tout à fait disposés à faire des propositions pertinentes pour aider à définir plus précisément ce qu’est une « rémunération appropriée ». Elles ne manqueront pas de nourrir les négociations interprofessionnelles entre les organisations d’auteurs et le Syndicat National de l’Édition, placées sous l’égide du ministère de la Culture et consacrées depuis avril 2022 à la question de la rémunération des auteurs du livre.
Crédit photo : Xena*best friend* (Vera), CC BY NC 2.0
Par Nicolas Gary
Contact : ng@actualitte.com
6 Commentaires
Jojo
15/11/2022 à 18:33
La décision du Conseil d'État démontre que le Ministère de la Culture et les gouvernements qui se sont succédés ces dernières années mangent dans la main du SNE : discrétos, on gomme le mot "approprié" pour miner le terrain des négociations sur la rémunération. C'est politique : bien tordu et bien pourri !
Juju
15/11/2022 à 20:40
Un oubli qui laisse songeur en effet... le SNE tient-il la plume (et la gomme) de la Ministre de la Culture quand celle-ci écrit la loi ? En l'occurence, une loi de transposition adoptée par ordonnance du Gouvernement, pour éviter tout débat démocratique au Parlement... Plus c'est gros, plus ça passe... mais pas cette fois...
Dorinne
16/11/2022 à 06:15
Bravo, continuons de nous battre
Marianne L.
16/11/2022 à 09:54
Tout n'est pas gagné, mais dans ce long combat, il est important de saluer une victoire, même partielle !
retraitdroitderéserve
17/11/2022 à 16:25
Bonjour,
enfin une bonne nouvelle pour les auteurs. J'ai travaillé au ministère de la culture et dans des établissements publics sous sa tutelle toute ma vie professionnelle (ou quasi). J'ai été heureuse d'atteindre un âge où je pouvais arrêter fur à mesure que je voyais sa destruction et celle de politiques ambitieuses menées dans divers secteurs.
J'ai notamment eu la responsabilité du bureau du droit d'auteur (sic), puis d'autres structures au fur et à mesure des modifications internes. Juriste de formation et ayant des amis écrivains et peintres je reste attentive aux évènements qui touchent ce secteur. En l'occurrence, la transposition de la directive me semblait plus que critiquable. Un premier pas vers un meilleur traitement des auteurs ?
Autrice-Observatrice
17/11/2022 à 23:58
Le ministère de la Culture, bureaucratique et asservi aux lobbies industriels, est certainement aujourd'hui le pire ennemi des créateurs et de la création, qu'il serait supposé défendre, soutenir et protéger. Ce dossier en est un énième triste exemple. Fut un temps pas si éloigné où d'aucuns évoquaient sa suppression... Cela serait sans doute la plus grande marque de doutien à apporter aux créateurs...