Deux auteurs attirent l'attention, alors qu'approchent l'année 2023 et de nouvelles entrées d'œuvres dans le domaine public. Le poète Paul Éluard, pilier du surréalisme, auteur de textes engagés et enflammés, côtoie Charles Maurras, homme de lettres dont les idées antisémites et nationalistes le conduiront à collaborer avec le régime nazi, pendant la Seconde Guerre mondiale.
Le 19/12/2022 à 10:12 par Antoine Oury
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19/12/2022 à 10:12
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Né en 1895 et mort en 1952 à l'âge de 56 ans, Paul Éluard, Eugène Grindel de son vrai nom, a laissé derrière lui une imposante œuvre écrite, tout en marquant au passage l'histoire littéraire. Jeune homme à la santé fragile, il est mobilisé pendant la Première Guerre mondiale, avant de s'engager dans un autre affrontement collectif, artistique cette fois.
Dès 1918, il s'engage en effet dans le mouvement surréaliste, bien décidé à pousser la littérature dans ses retranchements. Aux côtés d'André Breton et Louis Aragon, il s'encarte au Parti communiste français. Dans les années 1920, il publie Capitale de la douleur (1926) et L'Amour la poésie (1929), des recueils qui incarnent son langage de l'expérience amoureuse.
Plus tard, avec le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, sa poésie prend un tour un peu plus engagé encore, un recueil se présentant même sous le titre Poèmes politiques en 1948. Deux ans plus tard, il signe une Ode à Staline, laquelle s'inscrit dans le culte de la personnalité et la ferveur communiste qui entoure le leader de l'URSS. Jusqu'à présent, les œuvres de Paul Éluard étaient publiées par les éditions Seghers (Editis), Gallimard (Madrigall) ou encore Le Temps des Cerises.
À l'autre extrémité du spectre politique, Charles Maurras, né en 1868 et décédé en 1952, apporte aussi son œuvre au domaine public. Originaire de Martigues, dans les Bouches-du-Rhône, il s'intéresse d'abord à Frédéric Mistral, à la poésie et aux textes provençaux, tout en constituant sa culture philosophique. Il publie ses premiers livres à l'aube du XXe siècle, pratiquant la critique littéraire.
Au même moment, Maurras choisit son camp lors de l'affaire Dreyfus, se rangeant du côté des antidreyfusards. Converti au monarchisme, il se rapproche des nationalistes jusqu'à la fondation, en 1905, de la Ligue d'Action française, qui se dote bientôt qu'un journal, L’Action française. Ses idées antisémites se développent également.
L'œuvre de Maurras, foisonnante, se développera beaucoup à l'ombre de ces convictions politiques radicales. Malgré ses positions xénophobes et un engagement pour la France lors de la Première Guerre mondiale, Maurras se rangera du côté de l'occupant lors du second conflit international. Entre-temps, en 1938, il est entré à l'Académie française d'où il sera radié après la guerre en raison de sa dégradation nationale.
Mort en 1952, il a poursuivi ses activités d'écrivain après la Libération. En France, Maurras reste publié par Robert Laffont (Editis) et L'Herne, et connait un succès certain auprès de l'extrême droite et des nationalistes, notamment dans leur critique de la construction européenne.
L'entrée dans le domaine public n'équivaut pas seulement à une accessibilité plus grande des œuvres d'auteurs célébrés. Elle signifie également, pour des textes oubliés ou mis de côté par la postérité, une nouvelle chance d'atteindre un public plus large.
Éclipsée par ses confrères du mouvement dada, dont Paul Éluard, justement, l'autrice franco-roumaine Céline Arnauld (1885-1952) pourrait ainsi bénéficier d'un regain d'intérêt, même si son œuvre complète a déjà été publiée par les Éditions Classiques Garnier. Comme d'autres membres du mouvement et en raison de sa volonté d'indépendance, elle s'éloigne de dada tout en poursuivant son œuvre jusqu'à sa mort.
Évoquons également, dans l'histoire des mouvements d'avant-garde, Roger Vitrac (1899-1952), dadaïste tardif mais surréaliste proche d'André Breton. Il signera plusieurs scénarii, pour des films de Jean Grémillon et Jean Delannoy notamment.
De gauche à droite, rangée du haut : Louis Aragon, Théodore Fraenkel, Paul Eluard, Emmanuel Faÿ. Second rang : Paul Dermée, Philippe Soupault, Georges Ribemont-Dessaignes. Au premier rang : Tristan Tzara (avec le monocle), Céline Arnauld, Francis Picabia, André Breton (1920, domaine public)
Une redécouverte attend peut-être aussi la vaste bibliographie de Marguerite Burnat-Provins (1872-1952), peintre et écrivaine franco-suisse. Célébrée comme une pionnière de l'art brut, notamment par Jean Dubuffet pour ses dessins hallucinatoires, elle développa, parallèlement à son œuvre graphique, un corpus traversé par de nombreux recueils poétiques, dont Le Livre pour toi (1907) et Poèmes de la soif (1921).
Autre écrivain dessinateur, Ferdinand Bac (1859-1952) se constitua une solide réputation d'aménageur de jardins, tandis que son œuvre graphique se développait. Petit-cousin germain de Napoléon III, il racontera en images sa vie en Allemagne, mais aussi la vie parisienne, pratiquant par ailleurs l'art de la caricature dans la presse. Par ses origines (il est né à Stuttgart), il porte un regard original sur les conflits qui traversent l'Europe au carrefour des deux siècles.
Lauréate du Prix Femina en 1906 pour le recueil Gemmes et Moires, André Corthis, nom de plume d'Andrée Magdeleine Husson (1882-1952), vit son œuvre célébrée de son vivant, notamment par un Grand prix du roman de l'Académie française en 1919 pour son roman Pour moi seule (Albin Michel). Ses livres sont aujourd'hui disponibles uniquement au format numérique.
Du côté des dramaturges, Gaston Baty (1885-1952) fut l'un des quatre du Cartel, avec Louis Jouvet, Charles Dullin et Georges Pitoëff, qui marqua la production théâtrale parisienne de la première moitié du XXe siècle quand Romain Coolus (1868-1952) et Louis Verneuil (1893-1952) incarnent l'ouverture de la profession aux métiers du cinéma.
Léonce de Joncières (1871-1952) apparait dans les journaux de la même époque, en tant qu'illustrateur, mais propose également des images de sa composition dans ses propres recueils de poèmes. L'Âme du sphinx, paru en 1896, est particulièrement remarqué à l'époque.
Peintre et graveuse, Henriette Tirman (1875-1952) mit en images des œuvres d'autres, notamment Lettres du Japon de Rudyard Kipling ou les Portraits de femmes de Sainte-Beuve, mais aussi La Bhagavad-Gita, un des textes fondateurs de l'hindouisme.
Citons encore, parmi ces nouveaux entrants dans le domaine public, le peintre et poète Albert Clouard (1866-1952), figure bretonne, le peintre et dramaturge Henri-Eugène Brochet (1898-1952), le peintre et illustrateur Amédée Féau (1872-1952), le philosophe Émile Bréhier (1876-1952), à l'origine d'une imposante Histoire de la philosophie, l'historien Ferdinand Lot (1866-1952) et Lucien Fabre (1889-1952), Prix Goncourt 1923 pour Rabevel ou le Mal des ardents (Gallimard).
Photographie : Paul Éluard, en 1945, et Charles Maurras, en 1937, immortalisés par le Studio Harcourt
Par Antoine Oury
Contact : ao@actualitte.com
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1 Commentaire
Eric Dubois
19/12/2022 à 18:29
A la fin de l'article, des noms d'auteurs oubliés par la postérité et qui furent connus de leur vivant comme aussi sans doute certains des écrivains actuels qui bénéficient d'un succès commercial et/ou critiques. Ainsi va le temps, sans doute le seul critique en dehors des modes et des étoiles filantes.