LAM2022 — Organiser un festival littéraire au même moment que des élections présidentielles est-il bon pour l'exercice démocratique ? Les statistiques de dimanche soir apporteront un début de réponse, mais, à la veille du premier tour, l'occasion était trop bonne pour ne pas prendre la température auprès de quelques auteurs invités. Si le panel n'est pas du tout représentatif, un certain sentiment surnage malgré tout...
Le dimanche reste sans doute le meilleur jour pour appeler aux urnes, en termes de contraintes professionnelles, mais les auteurs et autrices, comme d'autres travailleurs, ne chôment pas toujours en fin de semaine. Si certains sont à l'ouvrage, plusieurs dizaines seront au Livre à Metz, festival littéraire qui se clôturera ce dimanche 10 avril au soir.
Tous les auteurs que nous avons interrogés voteront à l'occasion de ce premier tour de l'élection présidentielle, en personne, comme Michel Bernard ou Ewen Blain — ce dernier a demandé « à partir un peu plus tôt spécialement » — ou grâce à des procurations, pour nombre d'entre eux qui seront encore en dédicace ou dans les transports. Seule Sophie Loubière déplore « un parcours extrêmement compliqué pour obtenir une procuration » qui, à cause de plusieurs contretemps indépendants de sa volonté, ne lui a pas permis de finaliser la procédure. « Extrêmement frustrée », elle dénonce des obstacles qui « empêchent les gens de voter, il faudrait vraiment simplifier les choses ».
L'intérêt pour les urnes et les suffrages est donc préservé, même si la campagne n'a pas vraiment passionné les artistes-auteurs interrogés, comme, semble-t-il, un certain nombre de Français. « Je suis tombé sur quelques articles qui expliquaient que la culture était la grande oubliée de la campagne », remarque Taï-Marc Le Thanh, qui reconnait avoir été « à l'écart » de celle-ci. Sophie Loubière, elle, a eu quelques échos par la Société des Gens de Lettres, dont elle est membre, avec un même constat : la culture représenterait une « faible partie » des programmes.
Deux programmes en particulier lui accordaient une place plus qu'honorable, très large même : celui de Yannick Jadot, le candidat des partis écologistes, et celui de Jean-Luc Mélenchon, de La France insoumise, se trouvaient sur ce point bien au-dessus de la mêlée.
Mais même les mesures culturelles ou relatives aux artistes auteurs de ces candidats n'ont pas vraiment retenu l'attention de nos interlocuteurs et interlocutrices — Sophie Loubière, qui a publié en juin 2021 De cendres et de larmes (Fleuve Noir), signale toutefois qu'« à part Mélenchon, personne ne met en avant la précarité des auteurs ». « Je sais très bien quels candidats en parlent un peu », développe cependant Ewen Blain, illustrateur jeunesse et auteur de bande dessinée depuis plus de 10 ans, « mais j'ai curieusement été plus attentif à d'autres mesures, cela ne faisait pas partie des sujets que j'avais en tête, même en étant conscient que le prochain président ou la prochaine présidente aura un impact sur ce domaine aussi. » Sa consoeur Constance Lagrange, jeune autrice, reconnait aussi être préoccupée par d'autres sujets, « notamment l'écologie, après la publication du dernier rapport du GIEC ».
Les attentes vis-à-vis de l'action politique, dans le domaine spécifique des artistes-auteurs, sont, pour dire le moins, plutôt faibles. « Je ne m'attends pas forcément à ce que ça aille mieux », remarque même Constance Lagrange. Taï-Marc Le Thanh constate pour sa part que la situation des artistes-auteurs, « ce sont les écuries d'Augias. On atteint un tel niveau de surréalisme avec l'URSSAF Limousin qu'un candidat qui voudrait résoudre le problème en a pour 6 mois, au moins... »
Autocollant anarchiste dans les rues de Metz (ActuaLitté, CC BY SA 2.0)
Michel Bernard, pour sa part, ne s'est absolument pas renseigné sur les propositions pour les artistes-auteurs, considérant que l'action politique n'a pas grand-chose à voir avec ces derniers. « Je comprends qu'un cheminot, un fonctionnaire s'y intéressent (aux propositions politiques, NdR), car leur situation dépend directement de la décision politique. Mais écrivain, ce n'est pas un métier, c'est plutôt un état, une relation au monde, une manière de voir la vie. C'est personnel, donc l'action politique a moins d'influence — je parle en tout cas pour les écrivains dans le domaine de la littérature. »
Métier ou activité, l'écriture, par tous les auteurs rencontrés, est décrite comme une situation « précaire, sans indemnisation chômage, sans garantie de revenus » (Sophie Loubière), « difficile financièrement, au niveau du rythme, de l'URSSAF, de la reconnaissance » (Constance Lagrange), « très solitaire » également, nous rappelle Sophie Astrabie, autrice de plusieurs romans qui a d'abord commencé par l'autoédition avant de voir ses écrits publiés.
« Il y a un certain nombre de gens que je ne vois plus dans les salons », s'inquiète Sophie Loubière, qui signale qu'« un plafond de verre s'est épaissi, sur le marché de l'édition, avec le confinement et la pandémie ». « Les auteurs sont toujours instrumentalisés par un système qui accorde entre 8 et 12 % de rémunération sur le prix hors taxe du livre, avec une rémunération par à valoir », analyse-t-elle, déplorant par ailleurs « une dérive vers la simplification en matière d'éditorialisation des textes ».
Outre ses déboires avec l'URSSAF Limousin, Taï-Marc Le Thanh remarque pour sa part que la négociation reste la règle pour les auteurs, négociation « qui n'est parfois que d'un seul côté (celui de l'éditeur, NdR) ». « Quand un éditeur envoie une proposition de contrats, aujourd'hui, je sais dire non et lui demander de s'aligner. Mais cela reste toujours une petite épreuve, cette négociation, il faut savoir dire non. Au-delà, il faut savoir se vendre, dans une logique quasi libérale ou entrepreneuriale, ce qui reste compliqué pour de nombreux auteurs. »
Ewen Blain a récemment pu observer cette certaine stagnation des tarifs, grâce à son expérience : « Il y a 5 ou 6 ans, j'ai travaillé pour un magazine jeunesse, à un certain tarif. Il y a peu de temps, ce magazine m'a recontacté, en me proposant le même tarif pour la même chose : ce n'était déjà pas spécialement bien payé à la base, et même le SMIC augmente chaque année... »
« Je ne conseillerais pas à quelqu'un, âgé de 25 ans, d'arrêter ses études pour écrire : quelle folie ! Il faut avoir un métier, car cela donne une liberté, et l'on écrit », résume Michel Bernard. « Ensuite, parce qu'on a suffisamment de lecteurs ou obtenu un prix, on peut s'y consacrer entièrement. C'est ce que j'ai fait : à 5 années de ma retraite, je me suis mis en disponibilité de mon poste de sous-préfet, en faisant le choix de ne plus être payé pendant quelques années. » Pour l'auteur des Deux remords de Claude Monet (La Table Ronde), un métier permet par ailleurs « d'ouvrir une fenêtre sur un univers concret ».
Constance Lagrange, professeur dans un collège, fera pourtant ce choix l'année prochaine, pour ne se consacrer qu'à son oeuvre d'autrice de bande dessinée : « Je me prépare, je sais que cela va être plus difficile comme situation que fonctionnaire. »
Si les espoirs dans une action politique bénéfique aux auteurs et autrices de l'écrit sont donc plutôt ténus, la confiance dans l'action collective et la lutte reste, elle, plutôt vive. Taï-Marc Le Thanh assure ainsi que tous les auteurs « devraient réclamer les tarifs de La Charte » pour les rémunérations en salons, quand Ewen Blain salue notamment « les actions à Angoulême, entre autres, qui ont permis d'obtenir les rémunérations des dédicaces pendant les salons, pour les auteurs BD : si on avait parlé de ça il y a deux ans, personne ne l'aurait cru ». Selon lui, « il ne faut pas s'arrêter là, car il y a toujours un problème de répartition des richesses, avec l'auteur en dernière roue du carrosse ».
Le bilan du président sortant et de son quinquennat, en évoquant uniquement les mesures pour les artistes-auteurs, n'est pas très bien jugé par les principaux intéressés. Sophie Astrabie concède bien quelques mesures de soutien pour les auteurs de l'écrit, au début de la crise sanitaire, mais les juge « minimes » et se félicite d'avoir une autre activité en plus de l'écriture, qui lui a permis de limiter ses inquiétudes.
Camion de revendication présent régulièrement place de la République, à Metz (ActuaLitté, CC BY SA 2.0)
La quasi-totalité des auteurs se montre assez désemparée devant les cinq dernières années : « La culture, on a l'impression que c'est un grand cirque, avec des gens qui peuvent remplacer le mot “auteur” par n'importe quel autre métier dans leur discours », lâche Taï-Marc Le Thanh. Le rapport Racine, qui avait proposé plusieurs mesures pour améliorer la condition des auteurs, « a été de la poudre aux yeux », à ceux de Sophie Loubière.
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Quant à Ewen Blain, il joue la carte de l'humour un peu désabusé : « Il y a eu une action culturelle pendant 5 ans, vraiment ? Laquelle ? » A priori, le prochain ou la prochaine résidente de l'Élysée n'aura pas beaucoup de mal à faire mieux. Et personne ne souhaite vraiment imaginer pire...
Dossier : Le Livre à Metz 2022 : journalisme et littérature, “même pas peur” ?
Photographie : des affiches électorales, à Metz (ActuaLitté, CC BY SA 2.0)
DOSSIER - Le Livre à Metz 2022 : journalisme et littérature, “même pas peur” ?
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