EXCLUSIF – Directeur de la Cité de la BD à Angoulême, Pierre Lungheretti s’était vu confier une mission de réflexion par Françoise Nyssen en 2018. Le FIBD battait son plein et la ministre de la Culture profitait de l’occasion pour travailler sur la politique nationale à mener en faveur de la BD. Attendu pour septembre dernier, le rapport sera en fait présenté cet après-midi à son successeur, Franck Riester, et toujours à Angoulême.
Le 26/01/2019 à 12:47 par Nicolas Gary
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26/01/2019 à 12:47
Le rapport sera donc remis ce 26 janvier 2019 et présenté à 15 h 15 à la Cité internationale. ActuaLitté a pu consulter en avant-première les éléments qu’il contient. Pour résumer, on peut dire qu’il prend la mesure de la gravité de la situation pour les auteurs, évoquant tour à tour les États généraux de la BD ou même la Ligue des auteurs professionnels. Et s’il se conscrit au marché de la bande dessinée, ses conclusions n’en demeurent pas moins applicables à l’ensemble du secteur.
Dans la presse, le ministre de la Culture fait d’ores et déjà écho au rapport. La Charente publie un entretien où Franck Riester revient sur les constats opérés par les organisations d’auteurs depuis quelque temps. « La création et l’édition ont connu de telles mutations ces dernières années que l’on doit prendre le temps de bien définir c’est qu’est aujourd’hui un auteur, un artiste », indique-t-il.
Et d’évoquer enfin la mission prospective – dont le responsable pourrait être dévoilé ce jour même – sur le statut des auteurs. « Améliorons la vie des artistes et leurs conditions de création. Sans auteurs, il n’y a plus de création », affirme-t-il. Des propos que l’on avait déjà entendus dans la bouche de Françoise Nyssen en novembre 2017.
À l’époque, c’était le vote au Sénat de la compensation de la hausse de la CSG pour les auteurs qui était au cœur des débats. Saluant l’adoption de cette mesure, la ministre prolongeait même : sans auteurs «il n’y a plus de démocratie ». Un message à peine différent de celui que portaient les organisations d’auteurs, lors d’une manifestation organisée dans les allées du Salon du livre de Paris en 2015 : pas d’auteurs, pas de livres.
Cette hausse de la CSG, dont le budget a été voté, sera bien compensée, affirme Franck Riester. Une mission diligentée pour assurer le suivi de cette mesure est d’ailleurs prévue.
« Lungheretti a fait un sacré boulot », commente une auteure. Et force est de constater que le document est en effet complet. À travers 54 propositions réparties en 7 grands axes, Pierre Lungheretti pose ainsi les bases d’une nouvelle approche de la bande dessinée. Les pistes sont les suivantes, déclinant chaque fois différentes approches recommandées, avec estimation de coûts et calendrier.
Le détail est des plus complets – à la limite du surréel, tant il explore une multitude de pistes.
Parmi les suggestions, faire de 2020 une année de la bande dessinée, et conforter le FIBD « en appuyant sa structuration physique et en confortant sa stabilité budgétaire ». Deux approches pour un coût de 150.000 et 100.000 €, respectivement. Toujours à Angoulême, envisager un label d’État pour que la ville devienne « pôle national de la bande dessinée ».
Si cette année, le centre de droits du FIBD a bénéficié d’une aide spécifique du CNL et de la Région, on propose de monter « une journée professionnelle spécifique pour le marché international des droits au FIBD ». Le rapport envisage également de constituer une chaire d’enseignement de l’histoire de la BD à l’université, en relation avec le ministère de l’Enseignement supérieur.
C’est côté auteur que le document frappe très fort : par exemple, en estimant qu’il faut « conditionner les aides publiques aux éditeurs à un code des usages auteurs/éditeurs ». Mais également « instituer une méthode de concertation entre les différents ministères concernés par les réformes du régime social et les organismes représentatifs des auteurs ».
Il pose aussi la nécessité d’un nouveau régime pour les revenus accessoires, « permettant l’augmentation du volume autorisé compte tenu de la demande croissante d’interventions de médiations d’auteurs ». Chose déjà en vigueur, mais encore mal appliquée, « conditionner les aides publiques aux festivals à la rémunération des auteurs pour leur présence ». Le Centre national du livre a en effet œuvré en ce sens, mais les couacs sont encore nombreux.
Mais le rapport va plus loin : selon lui, même les séances de dédicaces devraient pouvoir faire l’objet d’une rémunération. « La notion de “dédicaces” est très différente selon qu’il s’agit d’auteurs de littérature ou de bande dessinée, la dédicace réalisée par un auteur de BD s’assimile à un travail de création puisqu’il s’agit la plupart du temps d’un dessin personnalisé offert par l’auteur à son lecteur », peut-on lire.
Pierre Lungheretti estime également que l’on peut progresser en matière de formation et d’intégration des auteurs à la politique et aux dispositifs des arts visuels du ministère de la Culture. Et dans cette continuité, proposer un incubateur national pour les jeunes auteurs sortants d’écoles publiques supérieures d’art.
La 23e proposition porte sur le besoin d’élaborer un code des usages entre éditeurs et auteurs pour améliorer certaines pratiques dans le prolongement de l’accord de juin 2017 pour équilibrer le rythme de parution des nouveautés tout au long de l’année.
Que ce soit à travers les territoires, la formation des bibliothécaires ou encore dans l’intégration aux contrats filières livres, il s’agit donc de mieux valoriser l’existence de la bande dessinée. Y compris dans la création de mises en réseau de lieux pour accueillir des expositions – facilitant la circulation des œuvres. Les libraires ne sont pas oubliés, avec la mise en oeuvre d'un « programme de formation continue pour les libraires généralistes et développer un module de formation à la bande dessinée dans le brevet professionnel des libraires ».
Le piratage de BD n’est pas exclu, frappant notamment le manga. Trois mesures pourraient voir le jour :
Ainsi, le ministère de la Culture pourrait, à l’occasion de « 2020 année de la bande dessinée », en lien avec la HADOPI, entreprendre une campagne de promotion des plateformes légales existantes.
La volonté de l’État d’une promotion de l’Éducation artistique et culturelle devrait également intégrer la bande dessinée. Ressources pédagogiques, internats d’excellence, option bande dessinée dans des établissements tests, ou encore résidence d’auteurs, les possibilités ne manquent pas. Et entre autres, s’assurer que l’offre la plus large possible de BD est présente dans le Pass Culture.
À ce titre, il réfléchit à la création d’un programme national visant la création de BD nativement numériques, « pour conquérir les marchés étrangers, et nourrir le Pass Culture ».
L’apprentissage du français par la bande dessinée est avancé, notamment pour l’aide apportée aux primo-arrivants et réfugiés. Et pourquoi pas, instaurer « un programme de création de bandes dessinées autour des migrations ».
Quant au déploiement à travers le monde de la bande dessinée française, plusieurs hypothèses sont posées. Cela passerait par la mise en œuvre de nouveaux modes d’action pour promouvoir la bande dessinée à l’international avec des territoires d’expérimentation ciblés croisant livre-animation-jeux vidéo en valorisant la créativité française.
Le soutien aux petits éditeurs, évoqué au niveau national, sera appliqué pour l’international.
L’idée d’un « programme de promotion et de diffusion de la francophonie avec la bande dessinée ciblée sur le monde arabe et l’Afrique subsaharienne » ne manque pas non plus d’intérêt.
Le volet patrimonial n’est pas occulté : que ce soit avec l’UNESCO et son label Mémoires du monde, ou dans la préservation des fonds patrimoniaux, notamment par une coopération avec la Bibliothèque nationale de France et le CIBDI, les perspectives ne manquent pas.
Il entend aussi renforcer l’information juridique et fiscale auprès des ayants droit d’auteurs pour favoriser les dons et les dations de fonds d’auteurs.
Un point important porte sur le marché des planches originales : si les ventes publiques sont en augmentation depuis 2000, la traçabilité des œuvres pose un véritable problème. « Il est indispensable de mettre en œuvre une recherche systématique sur l’origine des planches mises sur le marché des ventes publiques », pointe Pierre Lungheretti.
« Outre les réticences des opérateurs du marché à révéler leurs vendeurs et une certaine culture de la discrétion, les enjeux d’origine de la propriété de l’œuvre sont souvent perçus comme se limitant aux appartenances qui peuvent valoriser le bien, le caractériser en signalant son intégration à tel ou tel moment à la collection d’un collectionneur particulier par exemple. »
Mise à jour 14 h 10 :
Le rapport complet est disponible ci-dessous, ou à cette adresse pour le téléchargement.
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