Depuis la mi-mars, les bibliothèques et médiathèques françaises ont fermé leurs portes, comme d'autres équipements culturels. Si un travail interne se poursuit, le plus souvent en télétravail, le lien avec les usagers est parfois maintenu par la mise en place ou le maintien d'un service de portage de livres à domicile. Ce qui n'est pas sans susciter l'inquiétude.
Le 30/03/2020 à 17:02 par Antoine Oury
1 Réactions | 4 Partages
Publié le :
30/03/2020 à 17:02
1
Commentaires
4
Partages
Le livre est-il un bien de première nécessité ? La question, posée alors que la réouverture des librairies était évoquée par un ministre de L'Économie, concerne aussi les bibliothécaires et autres médiathécaires. Créateurs de lien social et culturel, ils se sont interrogés sur l'opportunité de maintenir leurs services en temps de pandémie et de confinement. Avec une réponse quasi unanime ou presque : « [L]e véritable héroïsme est de rester chez soi et de limiter ses déplacements au strict nécessaire », indiquait ainsi l'Association des Bibliothécaires de France.
Si l'organisation ne représente pas l'opinion de tous les professionnels ou des bénévoles qui exercent dans les établissements, cette recommandation a porté ses fruits : il n'est plus possible, dans une très grande partie de la France, d'emprunter ni de rendre des ouvrages et autres supports culturels.
Malgré le confinement, la distanciation sociale et les risques de contamination, certaines communes ont décidé de proposer un service de portage à domicile, souvent bien accueilli par les bénéficiaires, mais beaucoup moins par les professionnels ou les autres citoyens.
Preuve en est à Saint-Amand-les-Eaux, commune de la région Hauts-de-France, où la mairie avait décidé, malgré les réticences d'une partie du personnel, de mettre en œuvre un service de portage à domicile de livres, CD et DVD, avec la médiathèque des Encres. Comme le rapporte La Voix du Nord, le tollé essuyé sur les réseaux sociaux après la présentation du service a eu raison du projet, finalement suspendu par la municipalité.
À Pau, en Nouvelle-Aquitaine, un service similaire a été mis en place, suite à l'épidémie de coronavirus, avec la médiathèque André-Labarrère : « Ce service propose aux bénéficiaires du portage de repas de renseigner sur un flyer présent dans le panier, les demandes de livres CD et DVD, à se faire livrer à domicile en même temps que leur repas. Ce service gratuit permet ainsi à de nombreux seniors, aux personnes handicapées ou fragiles de mieux vivre le confinement à travers la mise à disposition de supports culturels et de divertissement », indique le site de la ville.
À Pau, les agents du Centre Communal d'Action Sociale (CCAS) assurent le service, comme indiqué, en même temps que le portage des repas, après préparation par les bibliothécaires de la médiathèque André-Labarrère. Une proposition à l'étude au sein des services de la ville depuis quelque temps, qui aura été mis en place cette semaine, dans le cadre du confinement.
« Les bénéficiaires peuvent fait leur demande sur le catalogue en ligne, mais se voient aussi proposer une fiche, avec leur repas, sur laquelle ils peuvent indiquer leurs souhaits. Un bibliothécaire du réseau leur prépare ensuite un choix de 6 documents, livres, CD ou DVD », explique Marie Carrega, directrice du réseau des médiathèques de la ville de Pau.
En 2 jours, 22 demandes ont déjà été reçues : les bibliothécaires de chaque établissement du réseau se relaient pour proposer des documents correspondant aux demandes, avant qu'un agent de l'établissement ne s'y déplace pour préparer les commandes. Le service de portage, pendant le confinement, concerne les personnes âgées ou handicapées, mais aussi les personnes empêchées, comme les personnes seules avec des jeunes enfants ou les personnes à mobilité réduite temporaire, qui commandent un repas. Un groupe d'agents du réseau de la ville travaille actuellement à la pérennité du service après la levée du confinement.
Dans la petite commune de Pussay (Île-de-France), c'est la bibliothécaire de l'établissement municipal Annick Laisné, Christelle Firon, qui assure elle-même le portage des livres chez les bénéficiaires. « Ce service existe depuis longtemps, au moins quatre ou cinq ans, et se destinait à l'origine aux personnes âgées, aux femmes enceintes, aux malades et aux autres publics empêchés », nous explique Christelle Firon. « En accord avec la mairie, nous l'avons étendu à tous ceux qui le demandent, sans limite dans les documents qu'il est possible d'emprunter. »
Comme dans la plupart des services de portage maintenu, le retour des documents n'est pas prévu avant la levée du confinement : « Nous les récupérerons plus tard, pour les nettoyer dans le respect des normes sanitaires et des modalités définies par l'ABF », précise la bibliothécaire. « De toute façon, les gens sont raisonnables avec le nombre de livres qu'ils demandent. »
Écartée par la mise en place d'un confinement réglementé, la possibilité d'un “drive” qui permettrait aux usagers de venir retirer leurs commandes à la bibliothèque a fait place à un système au sein duquel Christelle Firon effectue elle-même les livraisons, avec son véhicule : « Je préfère alléger le travail des agents du CCAS, et cela me permet d'entretenir un lien social avec les bénéficiaires. »
Si l'intérêt social du service ne fait pas tellement débat, les conditions de sa mise en œuvre sont plus polémiques : « Avec le maire, nous nous sommes renseignés, et je suis moi-même consciente des questions sanitaires et des polémiques. Nous avons bien pesé le pour et le contre : j'entends le point de vue contre le portage à domicile actuellement, mais nous sommes au service de personnes très isolées, ou d'enfants qui ont besoin de livres pour leur scolarité, par exemple », explique Christelle Firon.
« Nous ne forçons personne, ce sont les gens qui font la demande », poursuit la bibliothécaire, soutenue par Grégory Courtas, maire EELV de Pussay : « Nous sommes actuellement, la mairie, le seul lien entre l'intérieur et l'extérieur : nous fournissons des médicaments, la viande de chez le boucher et, donc, des livres. Dès le premier lundi du confinement, nous avions la liste des 280 personnes bénéficiaires du CCAS pour entendre leur demande. L'initiative redynamise un peu le genre humain et les contacts, dans une société de consommation », explique-t-il.
La recherche sur le coronavirus mobilise énormément de ressources et de moyens, mais les connaissances à son sujet restent parcellaires et sujettes à caution : au début de la crise, le service téléphonique mis en place par le gouvernement nous avait indiqué que le livre pouvait potentiellement transporter le virus pendant 3 heures, alors qu'il semblerait aujourd'hui, selon des études, que le carton en conserve des traces pendant 24h et le plastique pendant trois jours...
À Pussay, Christelle Firon fait en sorte « de ne pas toucher le papier, mais seulement les couvertures. Je lave mes mains régulièrement, bien sûr, et j'utilise des gants et du gel hydroalcoolique. Je conseille aux usagers de nettoyer les couvertures des livres chez eux, à nouveau. Pour la livraison, je pose le sac devant la porte, avant de me reculer et de prévenir les bénéficiaires, pour bien respecter les distances. Nous échangeons parfois quelques mots, à bonne distance. » Les ouvrages sont livrés dans des sacs en plastique neufs, jamais utilisés, et qui ne sont pas récupérés.
Du côté de Pau, les livres commandés sont réunis dans des sacs de papier kraft, et livrés aux bénéficiaires en même temps que les repas, « dans le respect des mesures d’hygiène requises ». « Les documents prêtés sont en quarantaine depuis quinze jours, depuis la fermeture des établissements », précise Marie Carrega, directrice du réseau des médiathèques de la ville de Pau. « Et nous n'envoyons pas des agents au domicile des bénéficiaires, puisque ces personnes reçoivent déjà des repas livrés par des porteurs. »
Une fois livrés, les livres ou CD des établissements de Pau pourront être conservés par les bénéficiaires jusqu'à la fin du confinement, ou bien rendus aux porteurs de repas avant de passer par une étape de décontamination — « nous les laissons dans un endroit pendant 48 heures, puis nous désinfecterons l'ensemble des documents ».
Pour l'Association des bibliothécaires de France, les services comme le portage « sont difficiles à exécuter dans le respect des règles diffusées tant par les autorités publiques que scientifiques et médicales en matière de distance physique, mais aussi de risques de contamination par les objets. Ils reviennent à faire courir des risques au public comme au personnel salarié ou bénévole ».
Par Antoine Oury
Contact : ao@actualitte.com
1 Commentaire
RonaldB
23/04/2020 à 15:29
Bravo aux communes/Bibliothécaires qui maintiennent le lien social...
Un livre n'est pas plus dangereux qu'une barquette de carottes râpées!!!
Et ça dure plus longtemps.
Continuez...