Habitué des pastiches, Pascal Fioretto s’en est encore donné à coeur joie face aux traits d’écriture et à l’ethos d’écrivaine qu’on relie à Annie Ernaux. Pour les fins connaisseurs de l’oeuvre de la Prix Nobel 2022, le rire devient vite irrépressible.
Le 22/04/2024 à 09:40 par Victor De Sepausy
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Publié le :
22/04/2024 à 09:40
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Pascal Fioretto n’est pas un nom qui doit vous être étranger. Sa plume aime à se jouer des mots et des grandes figures littéraires de notre temps. On lui doit des pastiches ô combien réussis de Marc Lévy, Christine Angot ou encore Anna Gavalda et Michel Houellebecq (Et si c'était niais ?, Pocket, 2008).
Et pour être un fin pasticheur, comme le fut Proust en son temps (cela mériterait presque une entrée anachronique dans le Dictionnaire des idées reçues de Flaubert !), il faut avant tout être un fin lecteur. Ce qu’est, à n’en pas douter, Pascal Fioretto qui vient de publier un très réussi Les Soldes chez But, attribué à une certaine Annie Ernox (95 pages, Herodios Editions, 12 €)...
Quand on aime, on ne compte pas, et, avouons-le d’emblée, nous aimons tous Annie Ernaux qui, par un style alliant subtilité et simplicité, et par l’ampleur des sujets qu’elle aborde, rend compte de tout un pan de l’histoire contemporaine de la société française. Au fond, on a presque tous une part d’Annie Ernaux en nous. On ne compte plus d’ailleurs les écrivains qui, aujourd’hui, se réclament de la grande Annie, d’Édouard Louis à Nicolas Mathieu, en passant par un sociologue comme Didier Eribon.
Il était donc temps, après son couronnement en 2022 par le Prix Nobel, qu’elle ait droit, elle aussi, à son pastiche. C’est la rançon de la gloire finalement. Et, n’en déplaise à ceux qui trouvent qu’elle n’a aucun style, c’est précisément une preuve de style que de pouvoir être repris, dans des jeux de parodie, qui ne pourront que faire rire les amoureux de La Place, des Années, ou bien encore de Mémoire de fille.
Déjà, dès le titre, le ton est donné. Avec Les Soldes chez But, l’écrivain et journaliste s’amuse du goût d’Annie Ernaux pour les lieux du quotidien, et plus particulièrement pour les grandes surfaces, un aspect de notre société moderne de consommation à la standardisation et à la déshumanisation particulièrement séduisante.
Michel Houellebecq est aussi de ceux qui jettent un regard acerbe et désenchanté sur ce monde de bonheur vanté par des publicitaires au talent plus ou moins heureux. Il faut dire, qu’à sa décharge, Annie Ernaux réside à Cergy depuis 1975, un haut-lieu de cet habitat massif organisé autour des nœuds de transport et des grands centres commerciaux.
En fin connaisseur de l’oeuvre d’Annie Ernaux, Pascal Fioretto a choisi de commencer par la description d’une photo, prise lors de la cérémonie de remise du Prix Nobel de littérature. Cette pratique, on la retrouve bien évidemment dans de nombreux ouvrages d’Annie Ernaux, une autrice qui joue de toutes les possibilités pour convoquer les souvenirs et pour se raconter. Mais, ne passez pas à côté de la préface, écrite en pseudo suédois : elle vaut son pesant de cacahuètes !
« En écrivant ‘elle’, elle pense ‘je’, car, une fois encore, c’est sur moi qu’elle écrit. »
La malice de Pascal Fioretto réside aussi certainement dans certaines formules qui, dans un jeu subtile, contiennent presque tout Annie Ernaux. Enfin, tout du moins, sous un angle quelque peu caricatural. Je vous laisse déjà savourer la dédicace : « Je dédie ce livre et mon prix Nobel de littératchure à celles et ceux qui lisent debout. » On se souvient de celle de La Place : « Je hasarde une explication : écrire c’est le dernier recours quand on a trahi », Jean Genet.
Mais le meilleur est encore certainement à venir, dans une première partie intitulée finement « Le prix des choses », avec cette profonde réflexion sur l’ambiguïté des pronoms dans toutes les œuvres d’Annie Ernaux : « En écrivant ‘elle’, elle pense ‘je’, car, une fois encore, c’est sur moi qu’elle écrit. En cinquante ans de livres, son dilemme principal aura toujours été l’impossible choix entre les pronoms personnels qui s’offrent à elle quand elle parle de moi. Elle trouve qu’il y a dans le ‘soi’ quelque chose de rabougri et qui sonne ‘petit propriétaire’. Mais ‘elle’ refuse de se dire ‘tu’ pour respecter la distance, féconde qui nous sépare moi de l’autre. Alors elle passe du ‘je’ au ‘elle’. Même si certains trouvent ça complètement ‘on’. » Peut-on dire mieux ?
Avant de vous laisser déguster ce bel hommage, qui est un brin taquin il faut bien l’avouer, voici un dernier extrait qui se savoure : « Sur le cliché, elle semble coiffée comme d’habitude (‘Comme l’as de pique, avec les pieds du réveil !’ aurait dit son père, qui aimait la taquiner pour cacher sa fierté paternelle). Rien dans l’image pour rendre justice aux trois heures qu’elle a passées chez Coiff’hair à Osny (Val d’O.), la tête renversée dans le bac ; de la mise en conformité de sa chevelure avec les canons esthétiques de la classe dominante subsiste sur la photo un méchage blond un peu appuyé, qu’un goût petit-bourgeois n’eût pas choisi. »
Tout le style d’Annie Ernaux est joliment pastiché, avec les effets de citation inimitables, qui contribuent fortement à faire sa patte, avec la possibilité de laisser entendre non pas seulement une voix, la sienne, mais celle de toute une génération, celle de tous les siens, celle de tous les nôtres, en somme.
Certains pourront reprocher à Pascal Fioretto d’avoir, au passage, quelques formules un peu acides à l’encontre de la Prix Nobel... Mais, il ne faudrait pas s’arrêter à cela. Comme avec « les doigts ont les articulations noueuses de celle qui, depuis qu’elle sait écrire, a toujours signé des pétitions. »
Oui, c'est un peu taquin, avouons-le, mais cela reste savoureux : le pastiche est toujours une forme de délicieux hommage.
Crédits illustration Pexels CC 0
Par Victor De Sepausy
Contact : vds@actualitte.com
Paru le 05/04/2024
95 pages
Herodios Editions
12,00 €
Paru le 27/04/2007
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Paru le 22/04/2009
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7 Commentaires
NAUWELAERS
23/04/2024 à 00:24
Impression d'une totale vacuité...
Bof...
CHRISTIAN NAUWELAERS
Jappert
23/04/2024 à 06:42
Bel hommage à celle qui apparemment ne "méritait" rien car trop acerbe et réaliste, emportée et critique,au style "jalousée", à la féminité "déconcertante"....en fait,un beau cadeau...Tout dire en étant habillée et nue à la fois.
Mystère
23/04/2024 à 06:55
Merci M. Fioretto. Le pastiche sert à montrer l’affectation, la fausse simplicité étant la plus perverse des affectations. Une inquiétude pourtant: Et si votre livre lui donnait envie d’écrire un nouveau livre?!
Joce B.
27/04/2024 à 23:31
Article très tendancieux et péremptoire !!
Je sais lire et n'ai aucune obligation d'aimer Annie Ernaux, contrairement à vos écrits nous donnant cette injonction :nous aimerions "TOUS" cet auteur !
Genet
29/04/2024 à 00:13
J'adore
Michel
05/05/2024 à 10:21
C'est l'heure du pastiche !
Annie Ernaux, à l'affiche ?
Comme je m'en fiche...
Admirez l'acrostiche !
Lorain lebon
06/05/2024 à 15:15
12 euros pour la poubelle.