À l'occasion d'une rencontre dans le Salon des maréchaux, la ministre de la Culture réunissait ce 20 juin, rue de Valois « les représentants des différents réseaux de librairies et des collectivités territoriales pour un premier échange sur l'avenir de la librairie », stipule un communiqué de presse du ministère de la Culture. C'est que les librairies sont importantes, pour la ministre, mais le changement, étant maintenant, les indépendants ne sont plus seuls à compter : les grandes surfaces spécialisées, ou GSS, font également leur entrée dans la cour.
Et depuis sa nomination, et la confirmation de son maintien au poste de la rue de Valois, après les législatives, Aurélie Filippetti va pouvoir se retrousser les manches. « Il faut que l'on travaille en concertation avec notre réseau de libraires, pour ne pas que la baisse de la TVA entraîne de nouveau des frais de changement des étiquetages. Donc, on va travailler avec eux, pour que cette baisse, qui a été annoncée et qui sera effective, puisse réellement leur servir. Notre idée est que le retour à une TVA à 5,5 % puisse leur permettre de retrouver les marges qu'ils ont perdues au cours des dernières années », expliquait-elle le 21 mai, sur France Inter. (voir notre actualitté)
Au cours du rendez-vous, des représentants de Leclerc, Fnac ou encore du Syndicat des Distributeurs de Loisirs Culturels étaient présents, aux côtés de la responsable livre de la rue de Valois ou encore du président du Syndicat de la librairie française, et le président du Centre national du livre. Que du beau monde, donc, pour l'occasion.
Les quelques pistes
Dans un délicieux communiqué, le ministère rapporte ce qui suit de la réunion :
Conformément à l'engagement pris par le Président de la République, la ministre a confirmé le retour au taux de TVA réduit de 5,5 %, selon un calendrier qui tiendra compte des contraintes techniques et logistiques du secteur. Le livre numérique sera aligné sur le livre imprimé.
Cette réunion a été également l'occasion d'échanges constructifs autour de propositions destinées à redonner aux librairies les marges économiques suffisantes pour financer leur activité et leur permettre d'accomplir pleinement leurs missions de promotion de la création éditoriale et de formation des citoyens.
Issues de la mission prospective coordonnée par Marc Sanson et Bruno Parent et du rapport du Contrôle général économique et financier sur l'accès des librairies aux marchés publics, remis en séance, ces propositions portent sur un renforcement de la loi du 10 août 1981 relative au prix du livre ; sur l'amélioration de l'accès des librairies indépendantes aux marchés publics de livres ; sur la création d'un futur médiateur du livre et sur la rationalisation et le renforcement des dispositifs d'aide publique existants, afin de mieux accompagner la modernisation des commerces de vente au détail et de leur permettre de faire leur entrée dans l'économie numérique. Cette concertation lancée par la ministre devra se poursuivre dans les mois à venir avec l'ensemble des acteurs de la chaîne du livre, particulièrement les éditeurs, que la ministre a rencontrés précédemment. [NdR : nous soulignons en gras]
La Ministre a salué également la réflexion entreprise par le Centre national du livre (CNL) et les professionnels de la filière, pour faire de la librairie indépendante un acteur du numérique et la doter d'une solution de vente en ligne. Elle a annoncé une mission confiée à l'Inspection générale des affaires culturelles, chargée d'identifier les pistes les plus opérationnelles, en concertation avec le CNL, les libraires et les éditeurs.
Estimant à 2 % le surcroît de rentabilité nécessaire à la librairie, la ministre a souligné l'exigence de responsabilité qui incombe à tous les partenaires de la chaîne du livre pour atteindre cet objectif collectif. Elle a souhaité voir l'ensemble des acteurs concernés, au premier rang desquels l'État, les collectivités locales et les éditeurs, se mobiliser pour mettre en oeuvre un plan de soutien ambitieux, selon un principe d'équitable répartition des efforts, afin de conforter le modèle économique de la librairie sur le long terme..
Selon les informations recueillies par ActuaLitté, il est tout de même primordial de noter l'apparition dans les discussions des enseignes de la grande distribution autour de la table. « On ne sauvera pas la librairie si l'on n'associe pas les GSS à leurs problématiques. Et la ministre l'a bien mieux compris que son prédécesseur », nous précise un acteur présent.
Quelques points de ce rendez-vous restent toutefois à préciser. Tout d'abord, et contrairement à ce qui a pu être écrit, la ministre n'a pas appuyé la création d'un fonds d'aide financier à la librairie. Et pour cause, elle risquerait d'aller droit dans le mur de Bercy, qui s'y opposerait de plein droit. Déjà qu'Aurélie Filippetti s'est dressée contre la révision de la politique fiscale concernant le mécénat, inutile de se mettre le ministère des Finances à dos en permanence.
La TVA à 5,5 %, et le fonds de soutien à la librairie
En revanche, il faut bien considérer ce qui va se passer. En décidant de faire revenir la TVA sur le livre à 5,5 %, en dépit des problèmes que cela posera, une période de latence existe. La décision de mettre en oeuvre ce retour au taux réduit sera voté dans le collectif budgétaire 2012, pour une application en 2013. Durant ce délai dérogatoire, l'État percevra donc des rentrées financières indues - les 7 % de TVA appliquée - dont les sommes pourraient être redirigées vers ce fameux fonds de soutien. Mais le couac, c'est que les taxes perçues par Bercy ne pourront pas être aussi facilement déplacées. Et d'ailleurs, Bercy s'opposerait à ce que cela soit mis en place. Donc... wait and see...
Toutefois, la ministre est consciente des différentes problématiques qui se posent, et des risques qui pendent au nez de ceux qui voudraient retoucher la loi sur le prix unique du livre de 1981. « Il nous faut ensemble évaluer ces risques, et réaliser un premier tour sur la faisabilité de certains projets », nous explique un autre acteur. C'est que, paradoxalement, certains points de la loi subiraient des retouches, quand d'autres seraient au contraire renforcés.
En premier lieu, ce serait la fin des 5 % de remise accordés dans le cadre de la loi. Une idée qui ennuie profondément Fnac, qui s'appuie sur cette ristourne légale pour assurer la fidélisation de ses clients. Rappelons que la loi de 81 interdit que l'on vende un livre à un prix autre que celui fixé par l'éditeur. Les 5 % interviennent selon l'envie des libraires. Et pour Fnac, justement, c'est un outil commercial dont la suppression impliquerait la fin de l'intérêt du public pour la carte adhérent. « Le goût de la lecture, c'est intéressant, mais pour le susciter, et l'entretenir, les marges de manoeuvre commerciales sont maigres. Sans la carte adhérent, que va-t-on pouvoir mettre en place ? Certains y sont favorables, évidemment, mais il faudra en parler », précise un observateur.
Retour trop complexe à une TVA de 5,5 %, l'impasse pour le gouvernement
Retouches de la loi Lang et resserrages...
L'autre enjeu, fer de lance du SLF, c'est la gratuité des frais de port, qui avait occasionné un long combat contre... Amazon. « Si l'on établit un texte de loi sur ce point, on ouvre la boîte de Pandore. On va inciter les uns et les autres à rechercher les possibilités de contournement, et finalement, les frais de port seraient tout de même passés à l'as dans des opérations commerciales. Personne ne serait dupe. » La solution passerait alors par la DGCCRF, que l'on mandaterait pour que soit respectée la loi Lang. Un processus qui passerait par un contrôle des sites internet, afin de s'assurer que les informations à destination du public ne relèvent pas de la publicité trompeuse ou mensongère. Large spectre d'action, donc.
Enfin, l'un des derniers points, rattaché à la question des frais de port et de la surveillance, c'est l'instauration d'un médiateur du livre. Derrière cette idée, on retrouve de nouveau le SLF, dont l'une des missions statutaires est la défense des intérêts des libraires devant la justice. Or, force est de constater qu'en dépit de la bonne volonté, les résultats ne sont pas brillants. La procédure juridique opposant à Amazon dans l'histoire des frais de port le démontrait bien. Ce poste de contrôleur en chef serait alors lié à une dimension juridique. Là encore, il est trop tôt pour évoquer sa constitution.
Désormais, le calendrier va donc se dérouler avec les questions liées à la TVA, au cours de négociations interprofessionnelles. Les groupes de travail devraient avoir du pain sur la planche dès le début du mois de juillet, inutile de perdre plus de temps.
Les contes des 1001 nuits, en librairie
Et puis, pour finir, il faut noter que si 1001libraires est mort, 1001libraires 2.0 pourrait tout à fait voir le jour. En effet, une étude de marché, basée sur une veille concurrentielle est prévue, pour la création d'une nouvelle plateforme. Attention cependant : chat échaudé craint l'eau froide, et si l'on nous évoque la constitution d'un futur projet avec une enveloppe avoisinant 1,5 million € pour sa création, il sera toujours temps d'en reparler avant qu'il ne voie le jour. Le CNL se lancerait cette fois avec le Cercle de la librairie pour mieux analyser la situation.
Déjà, le 23 mai dernier, la ministre de la Culture était intervenue, alors que l'on annonçait la fin du site. Elle rappelait ainsi « son ambition que le Ministère, dans le secteur du livre et de la lecture comme dans d'autres, joue le rôle de facilitateur et parfois de médiateur entre les auteurs, les éditeurs, les diffuseurs et l'ensemble des acteurs de la filière. Dans un contexte de financements publics limités, il faudra améliorer les outils existants, mutualiser les investissements, informer sur l'évolution du contexte, encourager les négociations entre les professionnels du livre et de la lecture ».
Et d'ajouter : « Regrettant la disparition du portail 1001libraires, la Ministre souhaite réaffirmer avec force son soutien au secteur de l'édition et à la librairie indépendante. Elle réunira rapidement les différents acteurs de la filière pour soutenir les libraires et relancer la réflexion sur un portail numérique commun librairies/maisons d'édition. Un des enjeux essentiels sera aussi d'accompagner les éditeurs, les libraires et les bibliothèques à prendre place sur le secteur des livres numériques. » (voir notre actualitté)
À cette heure, Matthieu de Montchalin, président du SLF, doit avoir reçu les propositions de trois organismes, Tite-Live, Librest et Dialogues, qui disposent tous trois de plateformes susceptibles de reprendre l'activité de 1001libraires, avec des offres différentes selon les acteurs. D'ailleurs, les libraires ayant souscrit à 1001libraires sont même censés avoir reçu de premières salves d'informations. Plusieurs d'entre eux ont déjà assuré à ActuaLitté n'avoir rien vu venir...
Anne, ma soeur Anne...
Seule absente de toutes les discussions, donc, la numérisation des oeuvres indisponibles. Mais probablement parce que cela ne concerne pas les libraires, finalement... ni les auteurs, d'ailleurs.
Par Clément Solym
Contact : clements@actualitte.com
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