Le projet suggéré en 2017 par Emmanuel Macron, alors candidat à l'élection présidentielle, se concrétise le 19 octobre prochain : la Cité internationale de la langue française sera inaugurée, dans les murs du château de Villers-Cotterêts. Après le chantier de rénovation à 211 millions € se profile un autre défi, faire de ce lieu une destination culturelle et touristique.
Le 12/10/2023 à 08:00 par Antoine Oury
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12/10/2023 à 08:00
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Le 19 octobre prochain, le président de la République inaugurera la Cité internationale de la langue française, un projet au long cours que l'« hyperprésident » doit laisser à la postérité. En mars 2017, Emmanuel Macron l'avait décrit comme un « pilier symbolique » de la francophonie, destiné à mettre en valeur la langue française et les francophones du monde entier.
Pour accueillir cette cité, le château de Villers-Cotterêts, une propriété de l'État commandée par François Ier au XVIe siècle, devenu à la fin du XIXe une maison de retraite, avant d'être condamné en 2014, laissé dans un état de décrépitude avancé.
Trois années de travaux auront été nécessaires pour réhabiliter le monument historique et le rendre apte à recevoir des visiteurs. En son sein fut signée l'ordonnance dite de Villers-Cotterêts, ou l'ordonnance du fait de justice, en 1539, par François Ier.
Ce texte normatif fit alors du français la langue officielle de l'administration et du droit, supplantant le latin qui prévalait jusqu'ici. Un acte considéré comme important pour l'unité de la nation française, mais qui n'impose pas pour autant la langue française dans tout le pays : un décret de 1794 viendra en effet l'appuyer, en visant cette fois la langue parlée. Et aux patois et autres régionalismes succèderont petit à petit une langue française plus normalisée...
Le parcours de visite permanent de la Cité s'est toutefois choisi comme point de départ cette date de 1539, et détaille « comment le français a évolué jusqu'à nos jours, et même comment il pourrait se transformer à l'avenir », explique l'Élysée, qui souligne que « seuls l'Italie et le Brésil disposent d'un lieu similaire, qui leur a permis de se pencher sur la langue italienne et la langue portugaise ».
Les visiteurs parcourront au total quinze salles, réparties en trois sections. Une première salle présente le château et le territoire du Valois, avant une entrée dans le vif du sujet : le français, qualifié de « langue-monde », avec ses ramifications, variantes et adaptations. Des dispositifs multimédias inviteront d'ailleurs chacune et chacun à tester les règles de la langue et à découvrir les multiples échanges culturels qu'elle suscite. Une bibliothèque interactive, gérée par l'intelligence artificielle, proposera quant à elle un « livre idéal » au visiteur qui répondra à quelques questions.
Une salle entière expose un sujet plus ou moins sensible, celui des langues régionales, avec près de 80 « langues de France » recensées. L'ordonnance dite de Villers-Cotterêts, document de 1539, viendra clore la visite. Son parcours a été conçu par Xavier North, Barbara Cassin, Zeev Gourarier et Hassane Kassi Kouyaté, sans irruption du pouvoir présidentiel, garantit l'Élysée.
Ce parcours de visite permanent ne définit pas à lui seul la Cité de la langue française. L'Élysée souligne qu'elle sera aussi le lieu d'expositions temporaires, de résidences d’enseignants, d'intellectuels, de chercheurs ou d'artistes, de conférences, de spectacles ou encore de concerts, grâce à son auditorium… « Une sorte de maison commune, pour que toutes et tous puissent trouver des ressources et valoriser leurs propres expériences du français et de la francophonie. »
Un café-salon de thé, ainsi qu'une boutique-librairie viendront compléter l'offre du lieu, dont la gestion a été confiée au Centre des Monuments nationaux. Celle-ci est d'ores et déjà critiquée par les syndicats de la culture, qui dénoncent le recours à « des emplois dégradés, précaires, sous-payés » par la Cité. 28 emplois publics sont créés, pour une quarantaine de postes, notamment pour l'accueil, l'entretien ou la sécurité, qui seront délégués à des sociétés privées.
Outre l'ambition du projet, l'Élysée souligne le choix de Villers-Cotterêts pour une institution d'envergure internationale, « dans un territoire qui connait un certain nombre de difficultés d'ordre économique et social ». Un discours battu en brèche par les syndicats : « On rate une occasion, par de l’emploi public, d’ancrer territorialement des fonctionnaires qui vont pouvoir participer à l’activité économique et sociale. On s’attendait à un projet plus structurant, avec une ambition réelle d’ancrage et de résolution d’un problème social et local », expliquait ainsi David Lecocq, secrétaire général de l’union départementale de la CGT de l’Aisne, en septembre 2023 auprès de France 3.
L'Élysée balaie ces critiques, assurant que la situation « n'a rien d'exceptionnel » et qu'« il s’agit de trouver pour ce lieu l’encadrement humain suffisant, pour que l’expérience de visite soit la plus qualitative possible ».
Par un système de péréquation, le Centre des Monuments nationaux prendra en charge le budget de fonctionnement de la Cité, estimé à 8 millions € par an. Du côté des visiteurs, le CMN vise les 200.000 entrées annuelles. À 1h de Paris en voiture seulement, la Cité mise sur cette proximité, mais se dotera aussi prochainement d'un hôtel, pour lequel l'opérateur doit encore être défini.
Dès l'année prochaine, la Cité internationale de la langue française sera mise à l'épreuve avec l'accueil du 19e Sommet de la Francophonie, de retour en France après plus de trente années dans d'autres pays de l'espace francophone. Ce grand rendez-vous, organisé pour la première fois sous François Mitterrand, en 1986 à Versailles, doit permettre de renforcer la coopération entre les membres de la communauté francophone.
Échanges culturels, bien sûr, mais aussi développement économique, la recherche scientifique et technologique ou encore la défense de la démocratie font partie des sujets abordés lors de ces sommets.
L'autre temps fort de la Cité sera le Festival de la Francophonie, un événement tout juste esquissé par l'Élysée, et qui n'a pas de dates officielles de lancement. Il est décrit comme un moment de « rencontres entre les artistes et les investisseurs, ouvertes au public, à Villers-Cotterêts et à Paris », explique-t-on.
Un certain nombre d'événements seront de toute façon nécessaires pour renforcer la cohésion au sein du bassin francophone. Si certains territoires sont coopératifs — le Québec a ainsi participé au financement de la Cité —, d'autres s'éloignent quelque peu du français et de son héritage, à l'image des pays du Sahel.
Au Burkina Faso, au Niger, au Mali et au Gabon, la France a ainsi payé, en quelques années, sa complaisance avec des régimes peu démocratiques, ou encore un héritage postcolonial pour le moins discutable, incarné, entre autres, par le franc CFA. En septembre dernier, le ministère des Affaires étrangères avait lui-même pris acte de ces liens distendus en faisant parvenir un message intimant aux structures culturelles des territoires français de « suspendre, jusqu’à nouvel ordre, toute coopération avec les pays suivants : Mali, Niger, Burkina Faso ».
Quelques jours plus tard, le ministère de la Culture assurait que le message était mal compris — ou mal écrit : en raison de la fermeture des services de visas, la France en a suspendu leur délivrance sur place, « ainsi que la mise en œuvre dans ces pays de nos actions de coopération culturelle », pour des raisons de sécurité.
Interrogé, l'Élysée promet que « les artistes, chercheurs, intellectuels, étudiants pourront continuer à se rendre en France et sont les bienvenus ». Et garantit par ailleurs que la Cité « est appelée à devenir le lieu d’accueil des artistes et des résidents de l’ensemble des pays francophones, sans que des considérations géopolitiques n'entrent en jeu ».
Les responsables étrangers et les pays représentés aux côtés d'Emmanuel Macron lors de l'inauguration, le 19 octobre prochain, donneront un premier aperçu de l'état de la francophonie. L'ouverture de la Cité sera aussi l'occasion, pour le gouvernement, de dresser le bilan du plan pour la langue française et le plurilinguisme, détaillé en 2018 par le président de la République.
Photographie : Château de Villers-Cotterêts
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Denis Griesmar
12/10/2023 à 13:54
Ce projet n'a pas été suggéré par Emmanuel Macron en 2017, mais lancé par le milieu associatif. L'idée initiale vient de moi, dans le cadre de l'Association Avenir de la Langue Française, dont le président, après Philippe Rossillon, est aujourd'hui l'ambassadeur Albert Salon. J'ai rédigé, sur le modèle de l'Ordre du Jour de Joffre à la Marne, l'Appel de Villers-Cotterêts du 7 octobre 2001, que j'ai prononcé depuis le balcon de la Salle des Etats, avec Gérard Bissainthe, ancien Recteur de l'Université de Port-au-Prince. Nous étions entourés de Renaud Dutreil, Jacques Myard, Paul-Henri Gendebien de Wallonie, Gilles Verrier du Québec, Alfred Mignot de Vox Latina, un représentant des Bruxellois et un Sénateur de Mayotte. Denis Griesmar, ancien Vice-Président de la Société Française des Fraducteurs.
Jobo
19/10/2023 à 13:16
Mille mercis de cette précision qui m'est fort utile, dans le cadre de l'essai que j'écris actuellement sur le thème "Faut-il légiférer pour défendre la langue française ?"
Encore merci, car en ce moment j'en suis au chapitre consacré aux instances chargés de défendre la langue française, dont les associations agréées.
Rhemus
13/10/2023 à 08:47
http://www.langue-francaise.org/Articles_Dossiers/Des_jetes_Griesmar.php
bourjoufle
13/10/2023 à 16:12
dans ce titre "a le droit de cité" : l'article renvoie-t-il à La Belle Province ? Supprimer ce dernier ne serait + pas indiqué ...surtout/art./langue française ?
BORY JOSÉ
19/10/2023 à 13:11
Je suis très heureux de cette grande considération accordée enfin à ce lieu symbolique, mais surtout à la langue française à laquelle nous sommes tous très attachés, tant elle est belle et merveiilleuse, sachant qu'elle n'a pas encore livré tous ses secrets.
De plus, j'écris actuellement un essai sur les obstacles qu'a pu rencontrer notre langue et sa renaissance constante, telle l'hydre de Lernes, depuis les serments de Strasbourg jusqu'à la loi Toubon, sans omettre le rôle de certains souverains comme Charles VIII et LOUIS XII.
Le fil conducteur que je me suis fixé est l'évolution concomitante du droit et de la langue française, à travers ce parcours, et leurs apports, adaptations et échanges respectifs pour leur affirmation, dans un contexte tant national, qu'européen ou international.