LEP23 – Dès son enfance, Frédéric Pillot a trouvé du plaisir dans le dessin. Avec le temps, cette passion s'est transformée en une évidence : allier le dessin à la narration. La réflexion s'est alors orientée vers une activité génératrice de revenus. Une constellation d'idées s'est formée, mêlant le plaisir de raconter à celui de dessiner. Malgré des doutes et des impasses, Frédéric a persévéré. Aujourd'hui, il est un illustrateur reconnu, inspirant ceux qui souhaitent transformer leur passion en métier.
« À l’école des arts décoratifs à Strasbourg, j’ai eu le temps d’appréhender le rapport texte/image et l’objet livre », confie-t-il. Après ses études, il a exploré divers domaines : « J’ai d’abord bossé en presse, dans la communication, les jeux, les jouets, toujours autour de l’image. » Avec le temps, des collaborations plus significatives ont vu le jour, notamment avec des auteurs. « Des boulots plus importants, dans l’investissement et l’enjeu sont intervienus. J’ai donc collaboré avec des auteurs, avec qui, pour certains, je suis devenu ami », partage Frédéric.
Mais au-delà de la profession, une dimension essentielle a émergé dans son travail : le plaisir. « Enfant, on avait tendance à me le reprocher, mais le plaisir de faire est devenu essentiel », admet-il. Pour lui, le plaisir est un moteur. « Je lui fais confiance parce que nous sommes temps et énergie, le plaisir crée le lien », ajoute-t-il. Une approche qui fait évoluer avec le temps : « Se laisser aller au plaisir fait qu’on gagne confiance en soi, en ce que l’on a à dire, ou les maladresses qui font partie de la manière de dessiner, qui ont maturé : au terme on les assume et font partie de son style. »
Pour son premier ouvrage, le “mariage” avec le scénariste découla des choix de l'éditeur, Milan. Depuis, Frédéric Pillot a connu toutes les combinaisons possibles, « même de travailler avec des morts, parce que pour réaliser Deux ans de vacances, Jules Verne n'a pas été particulièrement bavard », plaisante-t-il. Un siècle d'intervalle, pas mal... mais avec son futur projet, le voyage dans le temps devient exceptionnel : c'est au Grand Œuvre du poète italien Ludovico Ariosto, dit L'Arioste qu'il s'attaque. Avec son camarade de jeu, Gérard Moncomble, il planche sur une adaptation de Orlando furioso (ou Roland furieux), un poème épique de quelque 35.000 vers.
« C’est une œuvre ultra connue au XIXe, mais aujourd’hui oubliée. Pourtant, tout le monde connaît les images tirées de l’œuvre, comme celles de Gustave Doré, Ingres ou Delacroix », explique Frédéric.
L’adaptation est signée Gérard Moncomble, avec qui Frédéric a déjà collaboré. « Lui s’est tapé les 35.000 vers et a rédigé une adaptation qui nécessitera 3/4 ans de travail », confie l’illustrateur. L’œuvre, riche en imagerie, évoque des dragons, un anneau magique et une multitude de personnages. « C’est inadaptable, parce que des récits qui s’entrelacent continuellement », ajoute-t-il.
La genèse du projet est fascinante. « Tout en structurant la culture de tout un continent. Pour moi, c’est ultra stimulant avec des scènes de fou : chevalier, violence, amour », détaille Frédéric Pillot. L’intrigue est captivante : « Roland a perdu la raison, qui est dans une fiole cachée sur la Lune. Charlemagne est enfermé dans Troie, ses deux paladins sont amoureux de la même femme. Il faut que Roland retrouve la raison, alors qu’il n’a plus le goût de la guerre. »
L’illustrateur évoque également une scène de duel marquante : « Même que je produis une scène où des chevaliers s’égorgent, on retrouve le dessin. » Pour la réalisation de cet ouvrage colossal, Frédéric bénéficie du soutien de Daniel Maghen. « Il joue un rôle de mécène par la vente d’originaux, ce qui me place dans une position de confort incroyable », confie-t-il.
Précédemment, l'auteur avait travaillé sur Balbuzar, également avec Gérard Moncomble, mais pour son Roland, le boulot s'annonce colossal : « 150 images, 250 pages de livre, certains dessins prendront un mois de travail. J’ai déjà des crayonnés », conclut-il.
Pour Frédéric Pillot, poster son travail en ligne n’est pas qu’une simple démarche de visibilité. « Cela fait partie du lien que l’on façonne », confie-t-il. « De manière égoïste, c’est d’abord pour chercher des réactions. Tu dessines pour toi, mais aussi pour montrer et chercher une reconnaissance. » Avant, il fallait attendre la parution d’une œuvre pour obtenir des retours. « Aujourd’hui, je montre mes recherches et tout ce qui précède la parution. J’adore voir ce qui se passe chez les autres », ajoute-t-il.
L’ère numérique a bouleversé la perception du temps. « Avoir un retour immédiat, sans attendre la mise en couleur ou l’arrivée en librairie, est hyper piégeant », explique Frédéric. Il évoque « Orlando Furioso », où le rapport au temps bouleverse les consciences. « Sur une base académique, il faut des années pour réaliser quelque chose. L’IA semble être un raccourci, mais il n’en existe pas. Tout doit être structuré pour progresser », insiste-t-il.
Frédéric évoque la « pyramide inversée » actuelle, où la technique prime sur l’essence, alors que la première n'est « qu’un moyen, pas un but. Elle constitue le socle essentiel : le plus il est large, le plus laba se sera stable. Nous sommes fascinés par l’outil, ce qui inverse les priorités ». Il espère que les étudiants restent conscients de la longueur d’une carrière, qui nécessite une base solide.
Originaire de la vallée minière de Moselle, Frédéric se souvient de son enfance. « Les mentalités correspondent à la géographie. J’avais une frustration d’image, et mon moteur était de dessiner ce que je voulais voir. »
Il aborde également le « diktat du temps imposé » qui va à l’encontre de notre biorythme. « La lampe pour le dessinateur est déjà un indicateur. Au printemps, j’ai une énergie folle, alors qu’en hiver, tout s’achève. » Il évoque le taux de suicide en Corée, lié à un système productif qui néglige le repos.
Frédéric trouve fascinant de se replonger dans des œuvres d’un autre temps, comme Orlando Furioso, qui a nécessité 10 ans d’écriture pour Arioste. Il évoque également Le vieux chêne et la relation intime qu’un lecteur peut avoir avec une œuvre. « C’est un voyage dans le temps littéral. Seule la lecture fait cela, et en même temps, l’auteur parle avec notre voix intérieure. »
Crédits photo : Frédéric Pillot - ActuaLitté, CC BY SA 2.0
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