L'étude du Syndicat national de l'édition (SNE) consacrée au partage de la valeur entre auteurs et éditeurs, présentée au début de ce mois de février, a été accueillie froidement par les organisations d'auteurs. Ces dernières reprochaient une approche « biaisée » et des résultats qui masquaient la situation économique des écrivains. Renaud Lefebvre, directeur général du SNE, répond aux critiques.
Le 22/02/2024 à 11:49 par Antoine Oury
4 Réactions | 551 Partages
Publié le :
22/02/2024 à 11:49
4
Commentaires
551
Partages
ActuaLitté : Comment a été défini le panel de maisons d'édition participant à l'étude ? Comment expliquer le très faible nombre de maisons d'édition indépendantes ?
Renaud Lefebvre : L’objectif était de disposer d’un échantillon représentatif en termes de taille et de poids. Pour ce faire, il nous a été nécessaire d’avoir recours à des acteurs grands et moyens de l’industrie de l’édition : non pas car nous n’aurions pas de considération pour les petites structures, mais parce que les éléments les concernant auraient été dilués sur l’approche en masse adoptée pour cette étude. L’échantillon utilisé permettait aussi de prendre en compte des données comptables. Si l’on collecte de la donnée auprès de nombreux contributeurs, il devient complexe de garantir l’homogénéité des résultats. Ici, nous avons pu disposer de données globales, solides, certifiées par des commissaires aux comptes et remises à l’administration fiscale. Il est difficile d’en trouver de plus solides.
Nos détracteurs nous adressent ce reproche : en nous basant sur cet échantillon, nous aurions minoré la marge des éditeurs, pour faire apparaitre un partage avantageux au bénéfice des auteurs. Est-ce que quelqu’un pense sérieusement que la rentabilité des petits éditeurs est supérieure à celle des autres acteurs du secteur ? Est-ce que le partage de la valeur aurait été différent ? Nous faire ce reproche et le mettre en relation avec un biais supposé n’a aucun sens, ce sont même des arguments de courte vue et de mauvaise foi. Le ministère de la Culture publiera bientôt une étude sur les petites et moyennes maisons d’édition, qui met d’ailleurs en avant la difficulté à réunir des données, mais aussi celle d’atteindre l’équilibre économique pour ces structures.
Cette étude avait pour but de proposer des éléments qui ne sont pas forcément connus de tout le monde, des chiffres globaux et des chiffres sectoriels. Si l’on introduit trois tailles d’entreprises, que l’on croise ensuite avec les différents secteurs, cela débouche sur 15 sous-échantillons à réaliser, ce qui n’était pas envisageable dans le cadre de l’étude, car beaucoup trop lourd en termes de moyens. Produire une telle étude en prenant en compte une centaine d’entreprises, ce n’était pas possible. Si d’autres peuvent le faire, ils sont les bienvenus.
Pour quelle(s) raison(s) les revenus liés aux activités de diffusion-distribution de certains éditeurs n'ont-ils pas été intégrés à l'étude ?
Renaud Lefebvre : Nous avons produit une étude économique sur le partage de la valeur entre auteur et éditeur, pas le diffuseur-distributeur ou le libraire. Nous souffrons globalement d’une sous-documentation concernant l’économie de la chaine du livre, je suis le premier à le dire, mais le champ de l’étude ne portait pas sur ces acteurs.
Le compte d’exploitation d’un distributeur ou d’un diffuseur n’a rigoureusement rien à voir en termes de structure, de formation des coûts, de marges, avec celui d’un éditeur. Un distributeur perçoit des marges sur des flux, représente une structure de coûts fixes, à l’intensité capitalistique considérable. Mélanger des comptes d’éditeurs et de distributeurs n’aurait eu aucun sens en termes de lisibilité et d’analyse.
De nombreuses critiques ont été faites au sujet de la présentation des résultats de l'étude, et notamment de l'information selon laquelle les droits d'auteur représentent 24,8 % du CA des éditeurs. Le SNE maintient-il cette donnée ? Si oui, quels éléments permettent de mieux l'expliquer ?
Renaud Lefebvre : Nous maintenons ces données, bien sûr, auxquelles nous sommes arrivés à l’issue de cette étude. J’ai sous les yeux la tribune de Christophe Hardy, dans laquelle il admet que ce chiffre n’est pas faux, dans le cadre défini par l’étude. Je suis ravi qu’il l’ait compris.
Pour parvenir à ce chiffre, nous nous sommes appuyés sur la seule base pertinente, le chiffre d’affaires des éditeurs, car le prix public des livres n’a aucun sens du point de vue de la valeur comptable. Si on fait souvent référence au prix public, c’est pour deux raisons, la première est juridique, puisque le législateur a considéré que ce prix public constitue la base de la rémunération des auteurs, la seconde est liée au prix unique du livre. Nous obtenons ainsi un chiffre d’affaires théorique, qui ne correspond pas au chiffre d’affaires réel des éditeurs — le rapport se situe autour de 1 à 2. Il faut aussi prendre en compte le fait qu’une majeure partie des droits d’auteur versés sont progressifs, dans les contrats [plus le livre est vendu, plus important est le taux de droit d’auteur] et qu’une partie des à-valoir versés ne sont pas couverts. Nous débouchons sur un ordre de grandeur qui n’a rien d’invraisemblable.
Que répond le SNE aux critiques émises par les organisations d'auteur, qui ont qualifié l'étude de « biaisée » ou expliqué qu'elle ne reflétait « pas la réalité des auteurs » ?
Renaud Lefebvre : Le travail présenté est une étude économique sur le partage de la valeur, en aucun cas une étude sur la situation des auteurs. Ce genre d’analyse est pertinente, je ne prétends pas le contraire, mais nous n’avons pas voulu la faire ici. Les éditeurs ne demandent pas aux auteurs de leur fournir leur déclaration fiscale ou leur budget personnel, et nous n’avions donc aucun moyen de mesurer cet aspect-là.
Je relève aussi un reproche mensonger, celui qui prétend que l’étude ne fait pas référence aux charges des auteurs, alors qu’on la trouve page 11 dans le document : « Sur cette rémunération, l’auteur doit couvrir ses propres charges et notamment ses cotisations sociales. » Que l’étude ne plaise pas, je peux le comprendre, mais un tel reproche est mensonger, et toute personne qui sait lire peut constater qu’il est faux.
Cependant, des questions posées par certaines prises de position sont intéressantes. La situation des auteurs, dans leur diversité, est très différente, mais il subsiste un élément que tout le monde doit garder en tête : le principal élément de rémunération des auteurs, ce n’est pas le taux inscrit au contrat, mais le nombre d’exemplaires vendus. C’est d’ailleurs le principal élément de rémunération de l’éditeur aussi, sa marge ne se fait que sur les ventes des ouvrages. Bien sûr, on peut déplorer la concentration des ventes, l’évolution des pratiques culturelles, mais le vrai combat, celui qu’on doit pouvoir mener ensemble avec les auteurs et les pouvoirs publics, est celui du livre et de la lecture. Quel est l’intérêt d’avoir un taux élevé de rémunération sur des livres qui ne se vendent pas ?
Au vu des résultats de cette étude, le SNE estime-t-il que le partage de la valeur du livre doit évoluer ? Si oui, dans quel sens ?
Renaud Lefebvre : Cette étude n’est pas une prise de position politique, elle apporte des éléments de compréhension utiles à tous. Nous avons mené des discussions l’an dernier avec les organisations d’auteurs, qui ont débouché sur un accord concernant un principe de généralisation des taux progressifs de rémunération des auteurs, retranscrit dans le contrat type du SNE et dans un guide de bonnes pratiques des éditeurs. Il y a des choses à faire pour améliorer les paliers des rémunérations, en termes de droit d‘auteur, et c’est déjà engagé.
Pour quelle(s) raison(s) les secteurs scolaire et universitaire ont-ils été écartés du périmètre de l'étude ?
Renaud Lefebvre : Encore une fois, ces secteurs auraient déformé les résultats de l’étude. Selon les années, le secteur scolaire connait de forts à-coups. La structure des droits d’auteur n’a rigoureusement rien à voir avec celle de l’édition générale, et nous aurions diminué la cohérence des chiffres. Par ailleurs, je n’ai jamais entendu de prise de position publique d’auteurs de manuels scolaires sur leur rémunération…
Dans l’universitaire, c’est un peu la même chose : l’édition universitaire mélange souvent des activités très différentes, puisque l’éditeur y publie des livres, des revues, mais exploite aussi des bases de données. En tant qu’ex-éditeur de manuels universitaires, je peux vous certifier que les taux au contrat, pour certains titres, n’ont rien à envier aux auteurs de best-sellers. Et, ici aussi, je n’ai pas le souvenir d’une prise de position publique de professeurs universitaires sur leur rémunération en tant qu’auteurs…
Une étude telle que celle que nous avons présentée demande une lourde charge de travail. Si des auteurs souhaitent faire des études complémentaires, libres à eux. Mais il faut poser une règle assez simple : si l’on veut mesurer les choses proprement, il faut prendre en compte des activités homogènes. Dans le cas contraire, on nous aurait reproché d’avoir tout mélangé.
De la même manière, pourquoi avoir écarté le manga ? L'étude précise qu'ils résultent d'achats de droits, mais certains titres sont pourtant signés par des auteurs français.
Renaud Lefebvre : Pour la même raison, nous savions que les comptes d’exploitation des maisons qui ne font que des mangas n’ont rien à voir avec ceux des autres maisons, en raison des achats de droits. Et la part de la production nationale dans la production générale de mangas reste assez faible, je pense. Et il faut m’expliquer en quoi l’absence du manga biaise les chiffres de l’étude : je peux prendre en compte l’argument et y répondre, mais il ne me parait pas très honnête intellectuellement.
Par ailleurs, les titres traduits ont-ils été pris en compte par l'étude ?
Renaud Lefebvre : Oui, les titres traduits ont été intégrés, ils pèsent à proportion de la production des maisons.
Pourquoi le SNE n'a-t-il pas inclus des statistiques relatives au taux moyen/médian de droits d'auteur versé aux auteurs, ou aux éventuels à-valoir ?
Renaud Lefebvre : Pour produire de telles données, il faudrait disposer des taux de chaque contrat individuel, sur les 650 millions € de CA des éditeurs français. Pour notre seul échantillon, cela constituerait des années de travail : 850.000 titres sont disponibles dans le commerce à l’heure actuelle, soit 250.000 titres environ pour les éditeurs pris en compte par l’étude. En partant des données comptables, nous n’avons pas ce type d’informations, mais si quelqu’un est capable de produire une médiane, je suis preneur.
Le SNE compte-t-il effectuer d'autres études sur le sujet du partage de la valeur ?
Renaud Lefebvre : Celle-ci nous a beaucoup occupés, mais nous allons prochainement disposer d’une autre étude, en cours de finalisation, sur le poids de la création dans le secteur spécifique de la BD. Nous attendons par ailleurs l’étude sur la situation des entreprises d’édition de taille petite et moyenne. D’une manière générale, toute étude sérieuse, qui utilise des données de qualité équivalente à celles réunies pour celle sur le partage de la valeur, nous l’accueillerons avec plaisir.
Les données de l’étude sur le partage de la valeur serviront-elles de base pour les négociations avec les auteurs ?
Renaud Lefebvre : Nous ne « négocions » pas sur la base d’une étude, mais nous poursuivons le dialogue : précisons à ce titre que toutes les organisations d’auteurs ont été conviées au siège du SNE pour une présentation de l’étude, avant sa publication. Nous travaillons sur le guide des bonnes pratiques des éditeurs, sur la mise en place d’une instance de médiation pour régler les conflits relatifs au contrat d’édition et sur la mise à jour du contrat type proposé par le SNE.
Photographie : illustration, ActuaLitté, CC BY SA 2.0
Par Antoine Oury
Contact : ao@actualitte.com
4 Commentaires
Hervé Lejeux
22/02/2024 à 13:25
ChatGPT dit : Cette étude ne rentre pas dans ma base de compréhension, pourriez-vous reformuler avec plus de clarté et précision les éléments en votre possession afin que je puisse clarifier une situation délicate.
ChatGPT poursuit : Donnez de courtes réponses simples afin d'assouplir la lisibilité de vos propos.
ChatGPT termine : Si vous désirez vous faire aider, contactez votre ministère de tutelle.
Necroko
23/02/2024 à 03:23
Je me demandais justement combien pouvait toucher les auteurs de Mangas et Comics sur le marché Français ; 25% (hors revendeur) c'est pas mal (la part qui va à la Shueisha ou Marvel est compris dans les 25% ???)
Jean
23/02/2024 à 10:36
Merci M. Lefebvre, nous ne sommes pas idiots.
Le problème vient du fait de présenter comme une "étude" une série de chiffres bruts et incomplets, qui devraient servir de matériau à une recherche et conduire à la commande d'une vraie étude.
Quand on publie cela, et qu'il n'y a aucune conclusion valable à tirer de ces chiffres, lesquels souffrent de plus d'immenses biais méthodoliques, on ne fait pas semblant de se draper dans une vertu blessée.
OTTO JEAN
13/03/2024 à 19:33
Bonsoir, je pense que je me suis fais roulé par MAIA qui depuis 2022, malgré mes relances, ne me verse AUCUN revenus. Mon livre :
Elle ne parlais qu'avec les yeux...
Alors, que voulez-vous que je pense... j'ai 76 ans, les vieux cons (moi,ancien civil de la marine à Toulon) ne mériteraient-il que cela ?
Pour mon 2éme, je me pose des questions mais surement plus aller chez lui. Ni dédicaces, ni rien, sauf de la pub dans les ordinateurs des librairies ?
CDT
Jean Vuotto