Depuis plusieurs semaines, des organisations françaises d'auteurs de l'écrit se sont lancées dans une campagne de soutien à une initiative législative du Parlement européen. L'objectif ? Inciter la Commission européenne à agir pour améliorer les conditions de vie des artistes-auteurs, notamment par la création d'un statut.
Le 18/01/2024 à 15:15 par Antoine Oury
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Publié le :
18/01/2024 à 15:15
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En fin d'année 2023, un rapport et un projet d’initiative législative remettaient au programme le projet d'un statut de l'artiste-auteur, au niveau européen. Avec plusieurs propositions, dont l'instauration de directives précises portant sur les garanties et droits sociaux des auteurs, ou encore des règles en matière de contrats et de rémunération.
D'ici le mois de mars, la Commission européenne devra prendre position sur le sujet, en faisant part de ses propres propositions pour améliorer la condition des créateurs, ou en détaillant pourquoi elle ne souhaite pas agir.
Dans sa feuille de route, la Belgique, qui assure la présidence du Conseil de l’Union européenne jusqu'au 30 juin 2024, a d'ores et déjà inscrit cette question, souhaitant mettre en lumière « les conditions de travail des artistes et des professionnels de la création ». Mais plusieurs organisations d'auteurs, en France, militent pour que la Commission européenne ne manque pas le coche.
Nous avons interrogé la Ligue des auteurs professionnels et La Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse, qui pilotent une campagne de mobilisation et de communication avec le Comité Pluridisciplinaire des Artistes-Auteurs·trices (CAAP).
ActuaLitté : Pour quelle(s) raison(s) l'initiative législative du Parlement européen devrait-elle susciter l'enthousiasme de tous les artistes-auteurs ?
Céline Bénabès, directrice de La Charte : Aucun artiste-auteur ne bénéficie d'un statut qui le reconnaissance et le protège comme un travailleur de la création, ce qui crée une paupérisation de cette catégorie professionnelle. L'initiative de ces députés européens a eu le mérite de reconnaître cette situation et de vouloir y répondre concrètement, ce que demandent les artistes-auteurs dans leur grande majorité. Résultat, en l'espace de 24h, plus de 3000 artistes-auteurs et autrices ont déjà signé la pétition sur le sujet. À travers le #payetonstatut les auteurs et autrices expriment en grand nombre leur soutien à ce projet, en postant des dessins ou photos d'eux abrités par le parapluie symboliquement de l'Europe.
Stéphanie Le Cam, directrice de La Ligue : Elle doit susciter l'enthousiasme des artistes-auteurs parce qu’elle est inédite par la sémantique utilisée : on y parle enfin du « travail » des artistes-auteurs et de leurs conditions financières en admettant qu'il faut un encadrement protecteur et de meilleures rémunérations à la fois pour la création et pour l’exploitation des œuvres. Inédite aussi parce qu’elle pointe d’une certaine manière cette logique romantique qui bloque les auteurs dans cet « état d’écrivain miséreux ». Créer est un métier, il faut admettre que c’est un travail. La résolution va en ce sens.
En ce sens, le programme de la Présidence Belge du Conseil de l’Union européenne nous rassure vivement « La Présidence entend mettre en avant le rôle du patrimoine, de la culture et de l’identité européenne. Elle mettra également en lumière les conditions de travail des artistes et des professionnels de la création. »
Du reste, elle est ambitieuse en proposant de créer une situation équitable et égalitaire pour toutes et tous.
Une loi européenne a-t-elle vraiment le potentiel de changer le quotidien des artistes-auteurs français ?
Céline Bénabès, directrice de La Charte : Rappelons tout d'abord que la France a été récemment condamnée par le Conseil d'État pour avoir mal transposé le droit à une rémunération des auteurs et autrices, qui a été consacré au niveau Européen par une Directive. Selon l'article 288 du traité sur le fonctionnement de l'Union Européenne, une directive est contraignante pour les États membres quant au résultat à atteindre. Même si cela laisse à chaque pays la liberté concernant la forme pour atteindre ce résultat, l'intention portée par la résolution récemment votée est claire : en finir avec le mythe des créateurs et créatrices miséreux, rééquilibrer un secteur non régulé où la souffrance sociale est grande.
Une loi européenne est chargée de créer une Europe fédératrice des forces vives, l'Europe économique existe, pourquoi ne pas croire en une Europe sociale?
Stéphanie Le Cam, directrice de La Ligue : Bien évidemment ! La hiérarchie des normes est telle que l'obtention d’une directive forte et protectrice des conditions de travail des auteurs et autrices obligerait enfin la France à mettre en place un vrai statut professionnel.
C’est l’occasion de ressusciter le rapport Racine d’une certaine manière et de performer notre régime social pour une protection complète, de consacrer le principe que l’activité professionnelle doit être rémunérée de manière équitable, d’interdire les contrats abusifs, de renforcer les syndicats et la négociation collective et de régulariser l'Intelligence artificielle.
Le CAAP, la Ligue et la Charte ont-ils obtenu le soutien d'autres organisations d'auteurs françaises pour leur campagne ?
Céline Bénabès, directrice de La Charte : L'ADABD vient de rejoindre le mouvement, les relais se font au fur et à mesure de la diffusion de la pétition, l'engagement des autres organisations - y compris internationales - va s'étoffer rapidement dans le cadre d'une communication et d'une campagne qui est en train de se planifier sur une année. Mais plus important encore : les artistes-auteurs et autrices eux-mêmes s'emparent de ce projet pour le défendre, parce qu'il est le reflet très concret de leurs préoccupations !
Stéphanie Le Cam, directrice de La Ligue : Nous avons reçu des soutiens précieux du CAAP, du Trait, de l’ADABD, des EGBD, de Central Vapeur, de la Source aux auteurs, du Syndicat français des compositrices et compositeurs de musique contemporaine et de la Société des auteurs de jeux.
Nous sommes au début du mouvement, donc nous savons que d’autres nous réuniront prochainement.
De la même manière, d'autres organisations d'auteurs européennes ont-elles initié leur campagne ?
Céline Bénabès, directrice de La Charte : C'est en cours actuellement en lien avec la Ligue des auteurs professionnels. Pour rappel, si le rapport Racine a été enterré en France, tout le travail militant et d'analyses juridiques effectué par la Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse et la Ligue des auteurs professionnels a fortement essaimé les enjeux politiques au Québec, grâce au lien fort entretenu avec l'UNEQ. L'UNEQ a réussi à obtenir une évolution majeure du statut pour les artistes-auteurs et autrices québecois en s'appuyant sur ces travaux et en l'adaptant à la législation en vigueur là-bas. Résultat ? Enfin, les artistes-auteurs et autrices québecois ont accès à une négociation collective contraignante pour les éditeurs. Nous croyons profondément en ces synergies mutuelles à l'international.
Stéphanie Le Cam, directrice de La Ligue : Oui, l’engouement est inédit et prometteur. Les organisations européennes commencent à nous contacter pour savoir comment elles peuvent se joindre à l’action… Le festival d’Angoulême nous permettra de rencontrer leurs représentants, les actions qui vont suivre vont être nombreuses et nous projetons un évènement formidable dans quelques semaines dont on ne manquera pas de vous parler évidemment !
CAAP, Ligue et Charte estiment-ils qu'une loi européenne sur le statut des auteurs serait à même de donner une suite à la hauteur au rapport Racine ?
Céline Bénabès, directrice de La Charte : C'est une autre manière de sensibiliser aux manquements des institutions publiques sur la protection et la juste rémunération des travailleur·euses de la création. Les institutions nationales n'ont pas concrétisé les préconisations du rapport Racine, passons par des mesures européennes qui inciteront à un changement au niveau national. Quoiqu'il en soit, il est évident que le rapport Racine a permis un changement de paradigme dans la reconnaissance de la souffrance sociale de nos professions. C'est une excellente nouvelle que ces préconisations trouvent une autre forme dans laquelle se concrétiser. Il n'est pas étonnant qu'autant d'artistes-auteurs et autrices soutiennent ce projet avec un tel enthousiasme : c'est un nouvel espoir.
Stéphanie Le Cam, directrice de La Ligue : La Ligue milite sans relâche depuis des années pour la reconnaissance d’un vrai statut d’auteur. Les avancées obtenues en France sont trop minimes actuellement, pas à la hauteur des enjeux, puisque les politiques publiques sont dépourvues d’ambition.
Cette résolution nous redonne toute la vivacité indispensable au militantisme. Forts d’être de plus en plus nombreux et de mieux en mieux formés aux problématiques en cours, nous nous organisons pour que nos forces deviennent inépuisables. Les prochains mois seront capitaux et nous avons besoin plus que jamais de l’attention et du soutien de nos lecteurs et du public.
Photographie : illustration, Tybo, CC BY-NC-ND 2.0
Par Antoine Oury
Contact : ao@actualitte.com
11 Commentaires
Necroko
19/01/2024 à 04:15
C'est bien pour les auteurs (mais aussi les artistes / le Parlement veut aussi augmenter leurs revenues) mais j'espère qu'il y aura pas de hausse des prix dans les secteurs de la Culture, c'est déjà bien assez cher comme ça.
C'est aux actionnaires de financer leurs auteurs et artistes.
Mathias Lair
19/01/2024 à 09:43
Je note encore une fois votre prédilection pour la Charte et la Ligue, mais pourquoi donc ?
Il est vrai que ces deux organisations, parmi la quinzaine qui existe, sont les plus virulentes -- en même temps qu'irréalistes, sauf quand elles reprennent à leur compte les revendications des autres organisations en faisant croire qu'elles viennent d'inventer le fil à couper le beurre...
Antoine
20/01/2024 à 17:24
Ce sont surtout les seules organisations qui se bougent manifestement ! Rien du côté des autres sur une résolution politiquement importante, on se demande à quoi servent l'argent des cotisations de leurs membres... peut-être à des cocktails et des petits fours.
Samantha
20/01/2024 à 17:24
Bravo à la Charte et la Ligue !
Adrien
22/01/2024 à 17:17
On attend toujours que les autres organisations en question organisent quelque chose, revendiquent, militent, bref, fassent ce pour quoi elles prétendent exister : défendre les auteurs.
En attendant, le hasard le plus incroyable fait qu'on ne parle dans les médias que de celles qui FONT des trucs, au lieu de jouer au jeu des chaises musicales dans les couloirs de la Rue de Valois. Ça alors...
De rien
22/01/2024 à 17:42
Monsieur pétition de principe, pourriez-vous documenter vos assertions ?
Gonflé
22/01/2024 à 19:25
Vous vous y connaissez en virulence apparemment. Vous devriez la mettre au service des auteurs vous aussi. Ça ferait du bien à la cause.
Paul-Marie Henry, auteur, domicilié en Ardèche.
Jean-Philippe Senn
19/01/2024 à 10:47
Bonjour,
Quand on lit la déclaration de Javier Milei à Davos « Ne vous laissez pas intimider par les parasites qui vivent de l’État » ( https://legrandcontinent.eu/fr/2024/01/18/milei-a-davos-le-discours-integral/ ) et la volonté de toute puissance de certain on ne peut que souscrire à ce statut.
Même l'économiste Joseph Schumpeter, qui à théorisé l'économie de “La destruction créatrice“. Idée d'une société capitaliste, a conclu que seul le sociale et le politique étaient les clefs d'un futur possible.
Il faut fédérer les énergies !
SamSam
19/01/2024 à 21:18
En l'occurence, on fédère les âneries.
SamSam
19/01/2024 à 21:17
Depuis quand une charte, même avec un "C" majuscule va t-elle obliger les éditeurs ou autres à payer le travail essentiel et central des auteurs, compositeurs et autres ?...
C'est une connerie, un enfumage grand modèle, pour syndicat bénis oui-oui et auteurs ravis. Ca a le mérite de fournir un parapluie pour le gouvernement MEDEF en France, qui peut encore une fois cacher sa démission devant l'Argent.
Adrien
23/01/2024 à 18:56
Depuis quand ? Depuis la mise en place des tarifs Charte, par exemple, depuis maintenant un paquet d'années.
Renseignez-vous, vous apprendrez des choses.