#Imaginales23 – La science-fiction, toute une histoire… Ce genre littéraire, depuis le début, s’apparente à une exploration profonde de l’humain et des sociétés. Le tout, à travers la création d’imaginaires… mais quid de la politique ? Fait-elle forcément partie du genre ? À côté de l’émerveillement proposé, un aspect idéologique doit-il nécessairement exister ? En décalant dans le futur les problématiques du présent, est-il toujours question de considérations politiques ?
Le 28/05/2023 à 13:45 par Valentine Costantini
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Voici l’angle proposé par la table ronde de ce samedi 27 mai : « La Science-Fiction en contre-pouvoir. Écrire, un acte politique ? » En rôle de modérateur, Jean Baret, dont le nouveau roman, Le Monde de Julia, est à paraître aux éditions Mu.
Autour de lui, des univers bien différents : Margot Dessenne, jeune autrice qui fait déjà sensation avec Absolu (Bragelonne), son premier roman ; Claude Eken, toute à la fois écrivain de science-fiction et de fantastique, mais aussi critique littéraire et scénariste de bandes dessinées ; Brian Evenson, auteur américain aux œuvres post-apocalyptiques démentielles ; et Laurent Genefort, auteur de science-fiction et de fantasy, avec une soixantaine d’œuvres à son actif.
INTERVIEW – Brian Evenson, postapocalyptique
Le début de l'échange plonge immédiatement dans le dur du sujet, avec cette première question : « Comment définissez-vous l’acte politique, et fait-il partie de votre œuvre ? » Et c’est Claude Ecken qui lance le débat : « Lorsque je parle d’un autre univers, ou d’un futur imaginé, je suis bien obligé de prendre la politique en compte. » Même en écrivant sans aucune perspective idéologique, la politique semble se glisser entre les lignes. C’est d’autant plus le cas en montrant « des gens positifs qui essayent d’exister dans un espace de liberté qui se retreint ». La science-fiction devient alors un cri d’alarme, qui oblige à « être attentif aux vibrations du réel ».
De la même façon, Laurent Genefort explique : « Écrire n’est pas un acte politique pour moi, pourtant la politique est partout dans mes romans » Il précise cependant qu’il considère la politique dans son acception la plus large, soit celle qui organise des activités humaines. Ainsi, on n’échappe pas à la politique, elle s’impose ; il devient alors essentiel, pour l’auteur, d’être « conscient de ce qu’on dit dans nos textes autant que possible ».
Pour Margot Dessenne, « écrire de la science-fiction, c’est écrire le futur, mais c’est aussi parler du passé ». À travers les recherches effectuées pour l’écriture de son roman, la jeune autrice de 23 ans a découvert, notamment, comment les gens vivaient dans des régimes totalitaires militarisés, similaire à l’univers de Absolu — mais aussi leur forme de pensée. « Quand on écrit de la SF, on a cette contrainte de vouloir faire quelque chose qui sort du réel tout en créant quelque chose de plausible », explique-t-elle.
Brian Evenson, quant à lui, considère qu’il est « très difficile de ne pas avoir de politique personnelle dans notre travail, même si c’est toujours plus ou moins implicite : en plus, il y a quelque chose en particulier dans la science-fiction qui est très favorable à l’idée de l’exploration politique ».
Est-ce que la science-fiction peut, a pu ou pourra influencer, ou tout du moins avoir un effet sur la conception politique d’un peuple ? Peut-elle avoir un rôle réel ? À cette question ardue, plusieurs réponses convergent plus ou moins. Tout d’abord, Claude Ecken explique que ce genre littéraire aurait plutôt tendance à « impacter des individus qui ont, eux, un impact sur la société ». Et d’ajouter : « On touche alors des adolescents et des jeunes qui n’ont aucune conscience politique au départ, mais qui vont un jour découvrir par leur manière d’être leur orientation politique. Ça passe par ce qu’on fait passer avec l’histoire et les personnages. »
« La science-fiction a une utilité », affirme Laurent Genefort. En tant que champ d’exploration, ce genre littéraire, pour l’auteur, permet de réfléchir à tout ce qui touche à l’humain — autant sur le plan esthétique, politique ou sociétal. « Les lecteurs sont des êtres profondément empathiques », explique Margot Dessenne.
Ainsi, en lisant, les voici obligés de se glisser dans la peau d’un personnage ou d’un autre aux croyances fondamentalement différentes des leurs. « Il y a plein de manières d’écrire la science-fiction : le cœur est dans le fait de poser des questions. Sans avoir une influence sur un système entier, mais plutôt sur des personnes qui peuvent, par la suite, changer ce système. »
Brian Evenson soulève deux notions : « Si vous voulez avoir un impact politique, il existe des façons qui valent mieux que d’écrire un roman. » D’après lui, un livre peut certes influencer, mais uniquement un lecteur à la fois. « C’est un impact imperceptible. »
L’auteur mentionne ensuite le fameux Elon Musk et ses idées, qu’il dit inspirées par la science-fiction. « Pourtant, quand il nomme des titres, j’ai souvent l’impression de ne pas avoir lu le même livre que lui », explique l’auteur. Avant d’enchaîner : « Les gens qui ont le pouvoir, les politiciens notamment, sont très doués pour mal interpréter les choses en fonction de leurs propres objectifs ». Se pose donc la question de la manipulation d’information, le pouvoir de la réinterprétation et ses dangers. « Ne sous-estimez pas la capacité du pouvoir à modifier le sens de ce que vous écrivez. »
Une nouvelle question vient relancer le débat pour une dernière vague de réponses : « La science-fiction semble aller vers la politique, mais quid de l’inverse ? Et devrait-on se méfier de ces convergences ? Au point de craindre la politique ? »
Pour Claude Ecken, l’intérêt de la politique pour la science-fiction revient à observer « la concrétisation de nos rêves de lecteurs ou d’auteurs ». Pourtant, un soupçon de méfiance est inévitable : « La manière dont tout cela va se concrétiser peut sembler attractive, mais ce futur peut être rendu réel de façon bien différente. »
Margot Dessenne se fait concise : « En tant qu’auteurs de science-fiction, on tente de prévoir quelque chose, mais on ne peut pas prédire le futur. Quand on écrit des catastrophes, ce n’est pas pour qu’elles se réalisent. » Pour Brian Evenson, le rêve peut vite tourner au cauchemar. « Les gens qui semblent essayer de concrétiser ces rêves de science-fiction sont tout simplement très différents de ceux que nous imaginions. »
À Laurent Genefort le mot de la fin, en prenant l’exemple de l’incontournable classique de George Orwell, 1984 : « Ce roman a été récupéré par tout le monde — l’extrême gauche, l’extrême-droite… –, ce qui prouve bien que c’est devenu un élément de pop culture. Et c’est le destin de tout ce qui marche. » Ainsi, la récupération est inévitable, au point de faire partie intégrante de la politique, puisqu’il s’agit au final d’un moyen comme un autre d’influencer l’opinion. Une dernière recommandation pour la route : « Il faut se montrer prudent, ou tout du moins savoir s’écarter de la politique dans son sens idéologique. »
Crédits photo : Claude Ecken, Laurent Genefort, Jean Baret, Margot Dessenne, Brian Evenson (et son interprète) ; Valentine Constantini / ActuaLitté, CC BY SA 2.0
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