Détaillant les sociétés matriarcales dans un impressionnant ouvrage, Heide Goettner-Abendroth fait logiquement état des cultes et religions qui les ont structurées. Traversant l’Asie, c’est dans les îles du Japon qu’elle nous projette, à la découverte des cultures des femmes du Sud et du Nord. Grâce aux éditions des femmes - Antoinette Fouque, ActuaLitté publie les bonnes feuilles de cette somme colossale.
Le 30/09/2019 à 09:54 par Auteur invité
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30/09/2019 à 09:54
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Le chamanisme féminin des « Mudang » en Corée ressemble à celui des « Miko » au Japon. Remontant aux temps les plus anciens, les Miko dominaient dans la religion originelle du Japon, le shintô. Au sein du shintô, trois périodes principales sont définies, périodes qui correspondent à l’évolution de la culture japonaise : du Néolithique à l’âge du bronze (de 4500 avant notre ère à 600 après), il y eut le shintô originel, dont les Miko étaient les prêtresses tribales ayant hérité de leur charge ; toute la gamme des pratiques religieuses reposait entre leurs mains.
Lui succéda, du Moyen Âge à l’époque moderne du Japon (du VIIe au XIXe siècle), un shintô officiel, ou shintô d’État, qui s’est accompagné durant des siècles d’une centralisation et d’une patriarcalisation imposées au Japon. Le shintô d’État officiel des empereurs et des dignitaires a été séparé du shintô populaire, qui est devenu une religion du peuple sans reconnaissance officielle. Dans les deux cas, les femmes occupaient la fonction de chamanes Miko, quoique non exclusivement dans le cas du shintô contrôlé par l’État.
Dans celui-ci, les hommes étaient instaurés prêtres officiels, mais ils portaient des noms féminins et des vêtements de femmes. Au cours du processus de centralisation intensive de l’ère de la Restauration Meiji (1868-1912), nationaliste et misogyne, les femmes ont été exclues de toutes les fonctions sacerdotales officiellement reconnues et la charge de Miko dans le shintô populaire a perdu nombre de ses prérogatives.
Le shintô d’État a été « purgé » de tous les éléments magiques et religieux et voué uniquement aux fonctions cérémonielles d’État. Il a évolué pour justifier la loi impériale et fut souvent imposé aux Japonais et aux sujets colonisés. En ce qui concerne, d’autre part, le shintô populaire, proscrire les vieilles coutumes n’a pas réussi à les éradiquer.
À présent, conséquence de l’effondrement du pouvoir impérial japonais après la Seconde Guerre mondiale, le shintô d’État est devenu une question d’ordre privé pour l’empereur et sa famille. Dans le même temps, le peuple embrasse de nouvelles religions ; celles-ci sont souvent dues à l’initiative des femmes, qui en reviennent donc aux anciennes pratiques des Miko. La prêtrise shintô n’a été que récemment ouverte aux femmes, et il y a à présent environ 10 % de femmes officiant dans l’effectif total des prêtres.
À l’époque du shintô originel, les femmes occupaient, en qualité de Miko, les rangs les plus élevés. Les chroniques chinoises et japonaises qui retracent cette période dressent la liste des multiples reines régnantes qui étaient également des chamanes à l’autorité charismatique. Il est avéré qu’une reine Himiko a régné aussi tardivement qu’au IIIe siècle de notre ère ; il ne s’agissait pas d’une exception, mais probablement de la dernière représentante d’une longue lignée de reines-chamanes portant le titre héréditaire de « Himiko ».
Du Néolithique au IIIe siècle, la prêtrise des femmes dans le shintô originel a correspondu au plus haut degré de la souveraineté dans les divers royaumes de reine, ce sur quoi s’appuie l’argument sans équivoque de bien des chercheuses et des chercheurs en faveur de l’existence du matriarcat dans l’ancien Japon.
Cette royauté sacrée de reine suivait la forme que nous avons déjà identifiée en tant que modèle matriarcal classique : la plus haute autorité religieuse était une femme, et son frère ou son fils étaient ses représentants délégués dans les affaires administratives, une tâche que nous qualifierions aujourd’hui de « profane », ou séculière, alors que les cultures matriarcales ne faisaient aucune distinction entre le sacré et le séculier. La reine-prêtresse ne s’autorisait que rarement à paraître dans le monde extérieur, mais elle était entourée d’« un millier de femmes qui la servaient » (écrits de Wei-Chih sur les Himiko).
Ces femmes en nombre impressionnant n’étaient certainement pas des servantes, mais plutôt de royales conseillères qui formaient le réseau de la reine la mettant en relation avec les clans matriarcaux de son peuple. La reine-prêtresse qui officiait dans le shintô originel était donc étroitement liée à la déesse, en particulier la déesse du soleil Amaterasu, dispensatrice de lumière, de vie et de fertilité, qu’elle vénérait et par laquelle elle était possédée dans le rituel chamanique.
En état d’extase, la reine-prêtresse était l’incarnation de la déesse elle-même. Ce que traduit le concept japonais exprimé par le mot « Kami » pour une divinité, puisque ce terme signifie à la fois « servir la divinité » et « être la divinité » — et ces deux significations ne se distinguent pas l’une de l’autre. Le frère de cette reine sacrée était le seul à veiller à ce que l’oracle divin fût mis en pratique.
Avec la patriarcalisation du Japon, qui à ses débuts a vu la montée en puissance du clan royal Yamato et l’unification de la quasi-totalité du Japon sous son hégémonie par l’emploi de la force militaire (période Kofun, 300-710 de notre ère), le shintô d’État a été rigoureusement séparé du shintô populaire. Le shintô d’État s’est approprié un grand nombre d’idées du shintô originel populaire et les a masculinisées.
L’empereur agissait à cette époque non seulement en tant que dirigeant politique, mais aussi en tant que grand prêtre du shintô officiel et chef de la vénération des ancêtres royaux. La déesse du soleil Amaterasu fut considérée comme la déesse tutélaire et l’aïeule du clan royal, et l’empereur — en tant que son descendant direct — est devenu une manifestation de Dieu. L’une de ses filles fut autorisée à devenir la « Saiô », ou princesse du culte du temple de l’ancêtre impériale ; toutefois, elle ne possédait plus aucun droit politique et vivait une existence de vierge recluse au sanctuaire d’État d’Ise.
Dans le shintô originel matriarcal, non seulement les reines devenaient prêtresses, mais toutes les femmes le devenaient. Chaque femme qui arrivait au terme des rites d’initiation possédait le titre de Miko et pouvait accomplir les rituels spontanés – d’autant plus si elle était une mère, ou une mère clanique, qui célébrait les rites familiaux pour le bien-être de ses enfants et du clan tout entier.
Ce n’est que plus tard que cette fonction sacrée générale à toutes les femmes s’est différenciée en des rôles tels que devineresse, sage-femme sacrée, prêtresse nécromancienne (ce qui, anciennement, signifiait entrer en état de transe pour communiquer avec les esprits des ancêtres), danseuse, musicienne, chanteuse (geisha). Les femmes sacrées qui servaient une seule déesse étaient appelées « Himmo » ou « Shômo », c’est-à-dire « mère divine ». Dans ce contexte, les multiples sens de l’ancien mot japonais « Imo » s’avèrent très intéressants : ce mot signifie tout à la fois sœur, amante et épouse.
Cet usage renvoie à la relation étroite entre sœur et frère dans les cultures matriarcales, comme l’illustre la situation des reines Himiko, qui en règle générale avaient leurs frères à leur côté en tant que codirigeants et peut-être aussi amants.
Heide Goettner-Abendroth ; Saskia Walentowitz ; trad. Camille Chapla – Les sociétés matriarcales ; recherches sur les cultures autochtones à travers le monde – Des Femmes Antoinette Fouque – 9782721007018 – 25 €
Dossier - Les sociétés matriarcales : les cultures autochtones dans le monde
Paru le 19/09/2019
574 pages
Editions des Femmes
25,00 €
2 Commentaires
Remi Maynègre
28/12/2022 à 21:29
Bonjour je souhaiterais connaître l'auteur ou l'autrice de cet article. Je voudrais connaître ses sources quant à l'histoire du Japon et s'il ou elle parle japonais, car plusieurs notions et traductions sont présentées et satisferont le profane mais sont malheureusement sans valeur réelle car les kanji ou sinogrammes originaux n'y figurent pas et donc on ne peut savoir vraiment.
Pour vous éclairer un peu, en japonais, le son "ken" a plus de 70 significations complètement différentes, cela peut signifier sabre, chien, question, préfecture, table, une unité de mesure...etc..etc...tant qu'on ne connait pas le caractère dont il est question : 研 , 犬 ou 県, il est impossible de comprendre réellement.
Concernant l'histoire je souhaite être capable de déterminer si l'auteur/trice a des sources plus fines que les miennes, ce qui est tout à fait possible, où s'iel a mal compris ou résumé l'histoire japonaise. Exemple, la reine Himiko / 卑弥呼 a réellement existé entre environ 175/180 et 245, on en a la preuve par des datations au carbone 14 qui recoupent les premiers textes de l'histoire japonaise comme le nihonshoki et d'autres textes chinois de ces époques dont je vous passe les titres. Bon, est-ce par convention, toujours est-il qu'il n'y en a qu'une de ce nom. C'est la première fois que j'entends ou lit "les reines Himiko". Alors est-ce une façon de parler d'une dynastie de reines descendante de Himiko ? pourquoi pas mais c'est un peu comme dire "les Louis XIV", pour parler de la dynastie des Bourbons, on peut dire "les Louis" à la rigueur.
Alors j'imagine que ce genre de considération vous dépasse largement hein, vous vous avez publié votre article et pis c'est marre, mais moi je fais actuellement des recherches en matière de matriarcat et surtout d'histoire japonaise et ça me fout un peu le bazar dans tout ça. Pour être clair votre en dit trop ou trop peu pour que je puisse savoir à quoi m'en tenir exactement.
Aussi si vous aviez la gentillesse de transmettre ou me mettre en relation avec l'autrice/auteur ce serait chouette merci !
Bonne journée
Rémi Maynègre
29/12/2022 à 01:31
OK excusez-moi, j'avais sauté l'intro de l'article sous le titre et au-dessus de la photo. Donc j'ai compris, ainsi l'autrice est Heide Goettner-Abendroth, l'article est un extrait du livre, et on doit y trouver les sources.
A force de travail j'ai plus les yeux en face des trous !
Bonnes fêtes et bon bout d'an !