Énième rebondissement dans l’examen du dossier Vivendi/Lagardère : Bruxelles reporte son report, après que lui ont été communiqués de nouveaux documents. Le groupe de Yannick Bolloré a fait part de remèdes supplémentaires, et la Commission européenne repousse encore sa décision au 14 juin. Attendue le 19 avril, la date avait déjà été repoussée au 23 mai.
Le 06/04/2023 à 18:40 par Nicolas Gary
1 Réactions | 789 Partages
Publié le :
06/04/2023 à 18:40
1
Commentaires
789
Partages
Voilà une petite semaine, Denis Olivennes faisait connaissance avec les Instances représentatives du personnel d’Editis. Un échange courtois, censé rassurer, et établir un premier contact entre le racheteur potentiel, Daniel Kretinsky et les salariés. Quelques gages, quelques hoquets, quelques silences polis, mais peu de réponses concrètes.
Cette séance extraordinaire du Comité Editis posait toutefois les bases d’une certaine franchise. Notamment sur le rachat : Vivendi avait présenté un modèle de distribution-cotation, avec vente des 30 % d’actions restantes, quand Daniel Kretinsky envisageait, dès le début, une reprise à 100 %. Quand le vendeur changea de braquet — suite aux réticences de la Commission vivement exprimées —, le milliardaire tchèque s’est immédiatement aligné.
Un schéma financier revu, qui convient tout à fait, soulignait d’ailleurs Denis Olivennes lors de la séance du 31 mars.
Reste que cette rencontre avait quelque chose d’insolite : certes, Vivendi a ouvert des négociations exclusives, ce qui implique que Kretinsky reste l’unique candidat en lice. Pas que les offres aient manqué, nous assure-t-on : d’autres acheteurs auraient bien présenté des projets de rachat à 100 %, sans être retenus.
Insolite, également, alors que la vente d’Editis n’est pas conclue. ActuaLitté apprend en effet que le dossier Vivendi continue de traîner auprès des instances européennes : le groupe a présenté une nouvelle salve de remèdes, au point que Bruxelles devienne une pharmacie. Des documents à examiner qui contraignent la CE à remettre sa décision au 14 juin, pour la Sainte Élisée.
D’avril à mai, de mai à juin… certains se demandent déjà si un supplément d’informations communiquées aux instances européennes ne conduira pas à renvoyer la décision à la rentrée. De quoi retarder d’autant la cession d’Editis, que Denis Olivennes espérait conclure au troisième trimestre 2023.
PORTRAIT: Denis Olivennes : l'homme médiatique de Kretinsky, futur patron d'Editis ?
Le choix d’un acheteur unique devait, à ce titre, répondre aux préoccupations de la CE : Vivendi s’alignait sur les recommandations pour faciliter l’adhésion de Bruxelles à son intention de reprendre Lagardère — donc Hachette Livre. La coexistence d’Editis et Hachette au sein de Vivendi n’était en effet pas une seule seconde acceptable, eu égard aux règles de la concurrence.
Le plan se déroule donc sur plusieurs niveaux : vendre à Kretinsky implique d’obtenir la validation par la CE sur trois critères connus. D’abord, l’indépendance par rapport à Vivendi, ensuite, la capacité financière et le modèle économique — des éléments pour l’heure inconnus. Enfin, que ce rachat n’entraîne pas de problèmes concurrentiels.
Or, si Denis Olivennes s’est voulu rassurant, faisant œuvre d’une véritable pédagogie financière, l’implication de Daniel Kretinsky, désormais majoritaire dans l’actionnariat de Fnac reste un sujet aux yeux des autorités européennes. Et l’on entend bien s’y pencher avec attention, car malgré les explications fournies lors du Comité Editis, l’Europe ne compte pas se faire enturbaner.
En ajoutant les multiples investissements minoritaires et le groupe de médias que représente CMI France, Daniel Kretinsky disposerait d’un arsenal inédit. « Cette situation de concentration verticale comporte un risque de distorsion de concurrence. En effet, l’expérience montre qu’il est possible de contrôler un groupe avec moins de 30 % du capital », pointe Filpac-CGT. « Sans compter qu'il ne cache pas son envie d’investir dans l’audiovisuel », les 5 % de TF1 en attestent.
Mais un ensemble en mesure de rivaliser avec Vivendi, détenteur de Lagardère, nuance-t-on. L’équilibre entre opérateurs devient fragile et se situe à des hauteurs vertigineuses.
À ce titre, soulignons qu’une vaste communication émanant de la représentante de Force Ouvrière Editis auprès des salariés – dégainée ce jour – met les pieds dans le plat. « Lors de la dernière réunion Comité Vivendi, la Direction a dit ne pas pouvoir demander ces garanties par écrit à M. Kretensky. Pourquoi ? Vivendi n’a-t-il pas le droit de choisir le repreneur d’Editis parmi d’autres avec des garanties fermes », interroge Isabelle Ménil.
Et de pointer par ailleurs que ni le dossier Lagardère ni celui Kretinsky n’ont reçu d’approbation. Pourquoi, alors, des informations-consultations sont déjà « lancées dans toutes les instances du groupe Editis », interroge le syndicat ? Ne vendrait-on pas la peau de l’ours, avant de l’avoir tué ?
FO interpelle alors le repreneur, pour qu’il apporte de véritables garanties – maintien des postes de tous les salariés, des sites et des structures éditoriales. Sans quoi…
Filpac-CGT enfonce le clou, insistant sur la concentration qui « constitue l’une des explications du mode de recrutement des candidats à l’achat d’Editis. Plus un groupe est gros et cher, moins les éditeurs sont capables de l’acquérir ». Rappelons que Vivendi avait exclu dès l’annonce de son projet de cession l’idée de vendre à des éditeurs français, avec un mot d’ordre : “Ils n’auront rien.”
Pour le syndicat, les montants qu’implique l’acquisition imposent les industriels ou les fonds d’investissement, seuls disposant des ressources. « Ceci renforce notre conviction qu’il faut lutter contre la concentration dans l’édition, si l’on veut éviter que des managers non issus de l’économie du livre opèrent une gestion à côté de la plaque et mettent le groupe en danger », poursuit le syndicat.
Et de conclure : « Au contraire, nous avons besoin de professionnels, avec une vision et un engagement sur le long terme. Sans exigence trop forte de rentabilité. Il convient de le rappeler, le livre n’est pas une marchandise ! »
Avant qu’Editis ne devienne une filiale de International Media Invest, le groupe de Daniel Kretinsky, quelques jalons restent donc à franchir. Attendu que le racheteur est originaire d’un pays de l’Union, la CE n’exprimera aucune réticence — un point en faveur du milliardaire. Bien entendu, si un acteur de Corée du Nord s’était manifesté, la chanson aurait été bien différente.
L’irruption de cette salve de remèdes — non communiqués publiquement — repousse la sortie du rapport sur Lagardère. Pas de fausses joies : aucun nom de repreneur ne figurera dans le message que Bruxelles diffusera le 14 juin.
À LIRE: Vivendi : vendre Editis en totalité... ou saisir la justice européenne ?
En revanche, cette nouvelle date conditionne l’avis de la CE concernant le rachat d’Editis. Selon les informations obtenues par ActuaLitté, aucune date ne peut, à ce jour, être avancée avec certitude : le temps de l’analyse s’avère incompressible. Alors, oui, pour 2023, mais peut-être plus au quatrième trimestre.
À ce titre, précisons que Bruxelles n’a pas la possibilité d’empêcher la vente d’Editis à Kretinsky. Elle fixera cependant des règles, découlant des engagements pris : si le futur actionnaire y dérogeait, il s’exposerait à des sanctions — donc une amende.
À ce titre, l’intégrité du groupe éditorial et sa préservation dans la durée feront l’objet de la plus grande attention. Margrethe Vestager, commissaire européenne à la concurrence en avait déjà souligné l’importance, à ses yeux. D’ailleurs, début mars, la vice-présidente de la CE avait retoqué le projet de Vivendi, et conclu « à titre préliminaire que l’opération n’est pas compatible avec le marché intérieur et le bon fonctionnement de l’accord sur l’espace économique européen ».
Pour autant, elle est dans l’incapacité d’imposer cette idée au repreneur… Au mieux sera-t-elle, comme cela a lieu dans des circonstances similaires, en mesure de nommer un expert — facturé au vendeur — pour encadrer le devenir d’Editis post-vente. Une prudence qui garantira la confidentialité des informations, en détachant totalement Editis de son précédent propriétaire.
Il est également à prévoir que plusieurs personnalités — Comité exécutif, etc. — se verront imposer des clauses de non-concurrence, aussi bien que des restrictions quant à leur prochain emploi. Et ce, de sorte à protéger là encore Editis qui deviendra le concurrent de son futur ex-actionnaire.
Depuis quelque temps, plusieurs noms circulent, de personnalités à même de prendre la direction d'Editis, après le rachat : Mathieu Gallet, aujourd’hui à la tête de Majelan (présenté comme « le Netflix du podcast »), Étienne Berthier, précédemment Président du Conseil de Surveillance de CMI France, remplacé par Denis Olivennes depuis novembre 2022.
Et un certain Frédéric Mériot, ex-directeur général d’Humensis, débarqué en début d’année…
Crédits photo : ActuaLitté, CC BY SA 2.0
1 Commentaire
Isabelle Ménil
13/04/2023 à 14:14
Force Ouvrière a demandé hier l’annulation de l’information consultation sur le projet de cession d’Interforum à CMI. Nous ne comprenons pas pourquoi l’info/consult. a démarré alors que la CE n’a toujours pas validé ni le dossier Lagardère ni le dossier de reprise par M. Kretinsky. Nous avons déjà fait une info/consult. sur la cotation distribution en bourse avec un expert qui n’avait pas lieu d’être puisque la CE ne l’avait pas validé et là, rebelote on nous fait du forcing. Incompréhension totale !! L’expert Secafi ne se prononce même pas et laisse faire les choses. Que vont-ils bien pouvoir expertiser d’ailleurs en ce moment même alors que le nom du repreneur n’est toujours pas validé par la CE ????