Chaque jour qui passe fait progresser l'enquête ouverte par la Commission européenne sur le rachat de Lagardère par Vivendi, qui doit aboutir à la création d'un nouveau géant de l'édition française. Vivendi troquerait Editis contre Hachette Livre, et doit présenter prochainement un repreneur aux services de Bruxelles. Mais ces derniers seraient passablement agacés par l'attitude des dirigeants de Vivendi, jusqu'à soupçonner une prise de contrôle anticipée de Lagardère.
Le 11/01/2023 à 10:58 par Antoine Oury
2 Réactions | 722 Partages
Publié le :
11/01/2023 à 10:58
2
Commentaires
722
Partages
Depuis la fin de l'année 2020, le rachat de la filiale d'édition de Lagardère par son groupe concurrent, Vivendi, est entrée dans le domaine du concret, renforçant les craintes relatives à la concentration des activités du secteur. La multinationale de Vincent Bolloré, pour finaliser son acquisition, doit néanmoins obtenir les autorisations de la Commission européenne, qui veille sur toute distorsion de concurrence.
Vivendi a conçu un plan au cordeau pour obtenir l'aval de Bruxelles, qui repose sur un principe assez simple malgré tout : l'achat de Lagardère Publishing (qui compte notamment Hachette Livre) serait « compensé », du point de vue du respect de la concurrence, par la cession d'Editis. La filiale assumait jusqu'à présent les activités de Vivendi dans l'industrie du livre.
Céder Editis pour acquérir Lagardère préserverait alors l'équilibre en France, et la concurrence au sein de celle-ci. Vivendi n'a toutefois pas encore dévoilé son favori au rachat d'Editis : le groupe cherche d'ailleurs un repreneur qui soit étranger à l'édition française, afin de ne pas se créer un concurrent trop imposant tout de même...
Parmi les intéressés, quatre resteraient en lice — un quatuor n'a pas bougé depuis le mois de décembre. Il réunit l'homme d'affaires tchèque Daniel Kretinsky, vendeur de pétrole, Reworld Media, groupe médiatique à la réputation peu reluisante quant à la gestion de ses titres de presse, Mondadori, groupe éditorial italien dirigé par Marina Berlusconi, fille de Silvio et, pour finir, Stéphane Courbit, magnat de l'audiovisuel, des jeux d'argent et des hôtels de luxe.
Ce casting de rêve pour assurer les belles heures de l'édition française placerait en tête, sans surprise, Stéphane Courbit, proche de Vincent Bolloré. Le groupe Vivendi est par ailleurs actionnaire de Banijay, une des sociétés de l'intéressé.
Selon Electron Libre, « une offre pour 100 % de la holding ne pourrait dépasser les 350 millions d'euros sur la base des multiples déjà vus dans le secteur, avec une reprise de la dette, bien évidemment ». Dette qui atteint 200 millions € pour Editis, tout de même. Si l'offre de Stéphane Courbit n'est pas connue, Daniel Kretinsky aurait avancé 700 millions € sur la table.
L'option préférée par Vivendi consiste en une mise en vente des 29,5 % du capital d'Editis détenus par le Groupe Bolloré et un versement des 70,5 % restants à ses actionnaires. Une telle solution avait été mise en oeuvre pour la cession d'Universal Music Group (UMG) en septembre 2021, avec une livraison de 60 % de son capital aux actionnaires de Vivendi. Une fois cette distribution effective, les actionnaires sont libres de conserver ou de revendre leurs titres.
Vivendi ne commente pas les offres des actionnaires, pour des raisons légales, mais espère une annonce du repreneur d'Editis à la fin du mois de janvier, nous précisent les services du groupe.
L'enquête de la Commission européenne sur le rachat s'est enrichie, en décembre, d'un nouveau volet consacré aux opérations de Vivendi depuis son acquisition de 57,35 % du capital de Lagardère, en juin 2022. L'entité dirigée par Yannick Bolloré en devenait donc propriétaire, sous réserve de l'aval des autorités de la concurrence françaises et de la Commission européenne. Dans l'intervalle, tout restait bloqué.
Sauf que, selon La Lettre A, « [l]a Commission européenne suspecte le groupe de Vincent Bolloré d'avoir imposé ses décisions au top management [les hauts responsables, NdR] d'Arnaud Lagardère avant même d'avoir été autorisé à mener cette acquisition ». En décembre 2022, les services de Bruxelles auraient procédé à une saisie à distance des boîtes mail de responsables de Vivendi, Lagardère, Editis et Hachette.
À LIRE: Pour vendre Editis, faut-il museler ActuaLitté ?
« Le management de la branche média de Lagardère y a aussi été soumis, de même que celui du groupe de presse Prisma Media (Capital, Gala, Femme actuelle...), propriété de Vivendi », précise le titre. D'après La Lettre A, ce type d'opération découlerait d'une dénonciation « d'un concurrent ou d'un tiers opposé à l'opération ». D'éventuelles victimes de ces ordres avant acquisition effective auraient par ailleurs pu alerter la Commission.
Inquiets de ce « gun jumping » — nom donné à ce type de comportement dans le jargon —, les services de Bruxelles réuniraient les éléments qui prouveraient ce contrôle anticipé de Lagardère par Vivendi. Ce dernier ne fait aucun commentaire sur les informations de La Lettre A.
Si ce point était avéré et confirmé, le groupe encourrait alors une amende susceptible de monter jusqu’à 10 % de son chiffre d’affaires sur l’année 2022. Il s’évaluait à 9,572 milliards € en 2021 (en croissance de 10,4 %) et pour les trois premiers trimestres de 2022, s’élève à 7,451 milliards € – 8,5 % de mieux que sur la même période l’an passé. La douloureuse grimperait alors autour du milliard.
Deux échappatoires : saisir la Cour de justice de l’Union, ou abandonner le projet de rachat.
En décembre 2022, des propos de Nicolas Sarkozy sur les contrats d'édition de Jean d'Ormesson laissaient imaginer que des informations contractuelles d'Editis auraient pu filtrer chez Lagardère, dont l'ancien président est un administrateur. D'autant plus qu'Arnaud de Puyfontaine, qui figure aussi parmi les administrateurs de Lagardère, occupe le poste de président du directoire de Vivendi et du conseil d’administration d’Editis...
Répondant aux sollicitations d'ActuaLitté, les deux groupes avaient nié toute circulation d'information : « [I]l y a un ring-fencing absolu et [...] Vivendi n’a pas accès, pendant que Bruxelles instruit son dossier, aux infos commerciales ni à quoi que ce soit concernant Hachette et plus généralement le pôle Édition de Lagardère », assurait-on alors.
Rappelons que la Commission européenne a ouvert une enquête approfondie sur le rachat de Lagardère par Vivendi en novembre dernier. Dans le cadre de celle-ci, intitulée « Phase II », les agents de la Commission peuvent avoir accès à « un plus grand nombre d'informations », dont « des documents internes des sociétés, des données économiques élargies, des questionnaires plus détaillés », qui peuvent éventuellement être complétés par des visites sur sites, précise l'institution européenne.
À partir du déclenchement de la Phase II, la Commission européenne se donne 90 jours ouvrés pour présenter ses conclusions. Ce qui fixe comme date butoir, dans ce cas, le 4 avril 2023.
Les saisies des boites mail pourraient donc s'intégrer dans ce cadre de l'enquête approfondie. Enquête prise très au sérieux par Bruxelles, encore plus après la décision, aux États-Unis, de bloquer un rachat d'envergure pour l'édition, celui de Simon & Schuster par son concurrent Penguin Random House.
Bruisse ainsi, de plus en plus fort, dans l'interprofession, que la Commission s'opposerait au rachat, en imposant des conditions qui rendraient l'opération invivable : prophétie que certains souhaiteraient autoréalisatrice ou véritable conclusion ?
Photographie : illustration, ActuaLitté, CC BY SA 2.0
Par Antoine Oury
Contact : ao@actualitte.com
2 Commentaires
kujawski
11/01/2023 à 21:41
La commission européenne bloquerait le rachat, juste avant les élections européennes, par exemple ? On flaire le bon coup pour Renew et les groupes libéraux un peu moins bon signe pour les relations Macron / Sarkozy...
Henri
18/01/2023 à 21:13
Bolloré ,Vincent ,est lui seul le chef d'orchestre. Attention