Nul ne prendra acte sans sourire de ce nouveau revers dans les échanges entre les organisations d’auteurs et le syndicat patronal de l’édition. Le SNE a définitivement clos, à ses yeux, le dossier de la rémunération des créateurs et enterré l’idée d’un montant minimal. Un coup de force audacieux, à quelques semaines d’un jugement auquel même les éditeurs seraient contraints de se soumettre.
Le 13/10/2022 à 16:45 par Nicolas Gary
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Publié le :
13/10/2022 à 16:45
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Les Échos citent un courrier émanant du SNE à destination du ministère de la Culture et de différentes sociétés d’auteurs. La substance est limpide : touchez pas au grisbi. « Sur le plan économique, un minimum garanti, tout comme un taux minimum de rémunération, remettrait en question l’économie propre à chaque secteur et à chaque ouvrage ainsi que la péréquation dont on sait qu’elle permet la diversité éditoriale et la vitalité des réseaux de distribution », amorce le Syndicat pour justifier de la suite.
Et quelle suite : au terme des négociations où l’on avait posé sur la table un revenu minimum pour les auteurs, les éditeurs du Bureau ont dit niet. Ainsi, « un minimum garanti non amortissable, non remboursable et d’un taux minimum de rémunération ne peuvent pas faire l’objet de davantage de discussions ». Merci de ne pas insister et d’essuyer vos pieds sur le paillasson avant de sortir.
Alors, oui, aussi poliment que diplomatiquement, le directeur général assure que personne ne souhaite toucher au modèle actuel, mais que le dialogue n’est pas rompu sur « les autres points de discussion ». Ainsi le Syndicat ne serait pas hostile à renégocier la catégorie d’hôtels lors des festivals – d’autant plus que ce sont souvent les manifestations qui gèrent cette logistique. Mais stylos et feutres seraient offerts pour les dédicaces.
Le courrier évoqué par Les Échos est celui que le SNE a adressé à la ministre — et qui comporte de subtiles nuances avec celui que les organisations d’auteurs ont pu recevoir. En clair, il met l’accent sur le risque d’effondrement de l’industrie du livre si la question de la rémunération était révisée.
Certains, facétieux, voient pourtant dans cette lettre un point positif : celui du visage découvert. « Leur directeur général répond publiquement que le système ne doit pas bouger. Ce même modèle qui a conduit a 20 % de baisse de rémunération ces 20 dernières années », glisse un proche du dossier. En somme, tout va très bien madame la Marquise, pourquoi s’inquiéter de ce que la grange brûle ?
Il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée, rappelait le poète : pour comprendre le contexte dans lequel cette dernière est claquée, l’infographie ci-dessous, oeuvre de Denis Goulette, juriste en propriété intellectuelle, droit de l’audiovisuel et droit des syndicats, sera d’une aide précieuse.
Pour autant, que le Syndicat national de l’édition fasse ainsi preuve d’autorité ne doit pas occulter un prochain rendez-vous avec la justice. Car en fonction de la décision, ledit SNE pourrait bien se retrouver Gros-Jean comme devant avec ses démonstrations de pouvoir.
Car, si le cabinet de la ministre de la Culture, Rima Abdul-Malak, n’a découvert le rendez-vous de ce 17 octobre au Conseil d’État que très récemment – Roselyne Bachelot serait-elle partie avec les archives de son cabinet ? – les éditeurs, eux, l’ont bien en tête. « Une pareille temporalité dans leur communication, ça ne tombe évidemment pas de nulle part », poursuit une observatrice.
L’infographie débute en effet avec la directive de l’Union européenne, portant sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique. Elle intervenait pour instaurer dans l’ensemble des États des règles qui renforçaient la transparence des contrats d’auteurs et d’artistes interprètes ou exécutants, et d’autres, portant sur la rémunération de ces auteurs et artistes interprètes ou exécutants.
Elle consacre dans son article 18 le principe d’une rémunération appropriée et proportionnelle, après avoir encouragé les États membres, dans son considérant 73, de recourir à la négociation collective pour la mise en œuvre de cette exigence.
« La rémunération des auteurs et artistes interprètes ou exécutants devrait être appropriée et proportionnelle à la valeur économique réelle ou potentielle des droits octroyés sous licence ou transférés, compte tenu de la contribution de l’auteur ou de l’artiste interprète ou exécutant à l’ensemble de l’œuvre ou autre objet protégé et de toutes les autres circonstances de l’espèce, telles que les pratiques de marché ou l’exploitation réelle de l’œuvre. »
(considérant 73 - voir l’article 18)
La crise Covid a bouleversé les principes de transposition de la directive — l’adaptation en droit français des principes européens. Le Parlement, plutôt que la voie législative, a confié au gouvernement le soin de rédiger une ordonnance, publiée le 12 mai 2021. Or, cette dernière oublie ostensiblement de faire figurer le terme « approprié ».
Inquiets de cette rédaction, le CAAP et la Ligue des auteurs professionnels n’obtinrent des interlocuteurs au gouvernement que de piètres explications. Une mollesse qui ajoutait aux multiples griefs reprochés, quant aux processus d’arbitrages opaques qui avaient conduit à la traduction en français de la directive, traduction préjudiciable aux auteurs. (se référer à ce billet pour plus de détails)
En revanche, la traduction française de la directive prévoyait bien l’exigence des deux critères pour que la rémunération d’un auteur puisse être considérée comme juste. Par une pirouette, le gouvernement considère que si la rémunération est proportionnelle, automatiquement, elle est appropriée. On notera avec délectation que pour les artistes-interprètes, ce même gouvernement a pris soin de transposer les deux critères, sans pour autant être en mesure de justifier sérieusement cette différence de traitement.
D’un côté, les auteurs se contentent donc d’une rémunération proportionnelle, quand les artistes-interprètes, eux, bénéficient de la rémunération appropriée et proportionnelle.
Le législateur européen, lui, pensait la chose de manière globale : la notion « Appropriée » conduirait les exploitants d’œuvre à négocier collectivement avec les organisations d’auteur. Et sans accord collégial, l’éditeur pourrait voir chacun de ses contrats contestés, dès lors que les créateurs estimeraient être lésés avec une somme non-appropriée. Pour sécuriser ce cadre, seuls les accords collectifs apportent les verrous juridiques nécessaires.
Les étudiants en droit le savent : tant que l’ordonnance n’est pas ratifiée, elle peut être contestée. Et pour ce faire, on s’adresse au Conseil d’État : ce dernier vérifie le document, s’assure de sa légalité et de sa conformité aux règles et principes constitutionnels – ici, de ce que le document respecte les engagements internationaux de la France, en particulier vis-à-vis de l’Union.
Le CAAP et la Ligue ont donc fait un recours pour excès de pouvoir en juin 2021 et l’audience du Conseil d’État aura lieu le 17 octobre prochain. Les Sages devront trancher : la directive a-t-elle été correctement transposée en droit français par le gouvernement ? Au terme de sa décision, deux voies se profilent.
Première option : le Conseil d’État valide la transposition et confirme qu’une rémunération proportionnelle est de facto appropriée. Cela reviendrait à dire qu’une rémunération fixée, par exemple, à 1 % du prix public du livre sera de fait « appropriée ».
Non seulement le SNE aura donc fermé la porte à toute négociation sur des montants minimaux, mais en plus, les éditeurs disposeraient d’une légitimité totale pour diminuer plus encore les montants de rémunération. De leur côté, les organisations d’auteurs n’auront plus que leurs yeux pour pleurer : sans base légale, impossible de contraindre le SNE à des négociations collectives pour introduire une rémunération plus appropriée.
Seconde option, plus dérangeante : le Conseil d’État ne valide pas la transposition, estime que proportionnel ne garantit pas approprié… et l’ordonnance serait donc annulée, avec mission pour la rue de Valois de rapidement revoir sa copie. Cette fois, dans le respect des normes de l’Union européenne.
Contrairement à l’hypothèse première, les sociétés d’auteurs auraient la matière — à travers une décision majeure — pour que les partenaires sociaux reprennent les discussions. Dès lors, la notion de rémunération appropriée sera sur la table des négociations – et pourquoi pas, poussant l’approprié jusqu’à… minimal ? Imaginer que le Code de la Propriété intellectuelle ne soit pas conforme au droit européen aurait de sérieuses répercussions : que le SNE coupe court aux discussions interprofessionnelles est une chose. Qu’il tente d’échapper à la législation européenne serait plus audacieux…
Dans l’attente de la mise en œuvre des accords qui découleront des échanges, les auteurs disposeront d’un droit individuel à contester en justice tout taux de rémunération proportionnel qu’ils estimeraient trop bas.
On ajoutera à cela que la décision fera en quelque sorte jurisprudence au sein de l’Union européenne… Par effets d’ondulation, les législations des autres États membres pourraient alors évoluer dans un sens ou dans un autre, plus ou moins favorable pour les auteurs.
D'ailleurs, si le Conseil d'État optait pour la première solution, il resterait le recours devant la Cour de Justice de l'Union européenne. Le SNE le sait : c'est ainsi que ReLIRE avait subi le même sort qu'Icare.
Crédits photo : ActuaLitté, CC BY SA 2.0 – Tampon réalisé par Le Tampographe Sardon
Par Nicolas Gary
Contact : ng@actualitte.com
6 Commentaires
Marianne L.
14/10/2022 à 05:36
Courage aux auteurs dans la poursuite de leur combat, quand on a en face de soi des expert ès mauvaise foi et l'inertie terrible de l'administration, la tâche devient si lourde qu'à côté, soulever des montagnes pourrait presque passer pour une sinécure ...
Editeur Jeunesse
14/10/2022 à 08:44
Editer un album ou un roman sans verser la moindre avance, une situation que trop d'auteurs acceptent pour être publiés et que des éditeurs justifient par la variété éditoriale, la création, bla, bla. En période se surproduction, est-ce justifié de publier toujours plus? Parfois avec des subventions publiques!
Une avance minimum devrait être un usage, pourquoi payer l'imprimeur et pas l'auteur. Mais est-ce que les auteurs réalisent bien que cela impliquera une diminution importante du nombre d'ouvrages publiés.
Dans un marché qui plafonne depuis des années, moins de livres dans un CA global = de meilleures ventes par titre, donc des droits plus importants pour les auteurs qui resteront dans la course.
Un choix qui devra être fait, un jour…
AlbertGine
14/10/2022 à 11:20
Bref, que les auteurs se démerdent...
Encore une fois, joue le rôle d'un MEDEF en proposant directives et lois qui cassent toujours les droits, les acquis et les revendications des créateurs.
Et les syndicats se battent dans le bac à sable qu'on leur accorde, avec juste l'idée d'implorer le conseil d'Etat, qui va les envoyer paître. Au lieu de tenter un coup d'éclat, un rapport de force, par exemple occuper les locaux des marchands du SNE.
LEBON
14/10/2022 à 13:05
Malheureusement trop d'auteurs et combien vivent de leur métier?Tout d'abord est ce un métier ? Les exigences de rémunération qui paraissent normales par rapport au travail fourni sont elles compatibles à la rentabilité du livre? .Même les dédicaces sont payantes ce qui poussent les libraires à limiter l'intervention des auteurs..
Un observateur
14/10/2022 à 15:16
Les dédicaces ne sont pas payantes, dans aucun cas, en librairie.
Seules les dédicaces dessinées par les auteurs de bd sont, dans certains festivals, payées par ce dernier, le Centre national du livre et la Sofia. Cela concerne moins de cinquante festivals.
Vérifiez vos informations.
Romuald Muzard
12/11/2022 à 09:28
Et éditeur, c'est un métier ? A l'époque du financement participatif et des outils numériques, c'est quoi le rôle d'un éditeur ? Garant du bon goût ? Ayant droit ? C'est quoi la qualification professionnelle d'un ayant droit ?