Célébrissime, auprès des gourmets, pour son restaurant L’As du Fallafel, la rue des rosiers porte de nombreux symboles. Située dans le Marais, emblématique de la communauté juive, elle accueillera mi-septembre une librairie. Et pas n’importe laquelle : il s’agit d’une extension de Smith&Son (anciennement nommée WH Smith) sise au 248 rue de Rivoli. Le tout porté par Patrick Moynot, qui avait repris l’établissement en 2017.
Le 01/09/2022 à 14:20 par Nicolas Gary
4 Réactions | 1115 Partages
Publié le :
01/09/2022 à 14:20
4
Commentaires
1115
Partages
50m2, 3000 références, la librairie occupera le local qui avait accueilli une célèbre boutique, Diasporama (spécialisée dans les articles cultuels juifs, bijouterie fantaisie, souvenirs de Paris, musiques et livres juifs).
Au sein du quartier Saint-Gervais, véritable petit village, elle proposera une sélection de titres en anglais, comme sa grande sœur de Rivoli, ainsi que de la presse – magazines internationaux, haut de gamme et plutôt tournés mode, ainsi que presse nationale française.
« La rue des rosiers n’échappe pas à la gentrification des centres-ville : les loyers explosent, et seuls demeurent les commerces de vêtements, d’internet ou de bouche », note le propriétaire. « Pour vivre, un quartier a besoin d’une librairie, parce qu’elle apporte un rééquilibrage. Et tous les commerçants autour ont accueilli avec joie notre ouverture. »
Ce projet découle des multiples restrictions imposées par la préfecture de Paris, en 2018, lors des manifestations Gilets jaunes. « Les stations de métro Louvre, Palais Royal, Tuileries étaient systématiquement fermées. Parfois, ni bus ni voitures ne pouvaient accéder à la rue de Rivoli — quand elle n’était pas interdite aux piétons », se souvient Patrick Moynot. « C’était apocalyptique : sur certains week-ends, nous réalisions 20 % de notre chiffre d’affaires usuel — alors qu’il n’y avait pas de manifestation sur la rue. »
Propriétaire de l’établissement de Rivoli depuis 2020, racheté au groupe britannique WH Smith, il constate : « Les lecteurs ne se déplaçaient pas, quand le préfet Didier Lallement imposait ses consignes sécuritaires. » Conclusion : il fallait une parade. « Avec l’année 2022, nous profitons d’un retour important du tourisme, avec des résultats financiers qui nous donnent les moyens de nous développer. »
2020 et 2021 furent plutôt sombres : le lectorat habituel a fait défaut : zone peu résidentielle, tournée vers les locations touristiques, avec de nombreux commerces fermés… « Inversement, nous assistons à une croissance significative depuis le début de l’année. » De là, Patrick Moynot conçoit un autre espace de vente, qui échapperait à de nouvelles crises giletsjauniennes : la rue des Rosiers se présente comme une opportunité que l’on ne refuse pas.
« J’ai arpenté toutes les rues du quartier, cherchant les espaces qui seraient disponibles. Le 20 de la rue était occupé par des vendeurs de vêtements qui ont fermé. Il a fallu quelques travaux pour réaménager, et nous y voici, bientôt. » Soon, en effet, mais avec les contraintes que la crise du bois implique : un manque d’approvisionnement en matériaux, doublé d’une période critique, celle d’août, où les entreprises de construction sont en congés.
Smith&Son approche des dernières finitions, et testera son petit format prochainement. La logistique et les achats se pilotent depuis le magasin de Rivoli, permettant une extrême flexibilité. « Si un rayon ne fonctionne pas rue des Rosiers, on renvoie tout et on expérimente autre chose. »
Les trois salariés des Rosiers puiseront ainsi dans le stock qu’abritent les caves de l’établissement, sans besoin de commander. Le tout avec une sélection éditoriale tournée « vers les livres qui se vendent, notamment auprès du jeune public ». Car le Pass Culture, une fois encore, a changé la donne : « Chaque semaine, près de deux cents commandes émanant de cet outil nous parviennent : les jeunes lisent en anglais de plus en plus tôt, et les ouvrages Young Adult sont particulièrement accessibles. »
Des auteurs comme Alice Oseman ou Colleen Hoover ont remplacé les anciens best-sellers qu’étaient John Le Carré, Ken Follett… et même Michelle Obama. « En repositionnant l’enseigne WH Smith et après les travaux de 2020, nous avons vu une clientèle de 13/17 ans arriver. Lectrices et lecteurs poussent sur les réseaux sociaux nos ouvrages, ce qui a totalement bousculé les traditionnelles meilleures ventes. »
Dans le top 20 de Rivoli, se retrouvent ainsi près de 18 titres Young Adult. « La clientèle, vue comme vieillissante, s’est considérablement rajeunie, imposant aussi ses propres demandes en lecture. L’exemple de Heartstopper d’Oseman devient significatif : cette histoire de jeunes garçons homosexuels, racontée comme une histoire d’amour classique, fait florès. De même, la série de Hoover, Heart Bones : ce sont 50 à 70 exemplaires que l’on nous achète chaque semaine, depuis 18 mois. »
Le premier est traduit chez Hachette par Valérie Drouet, le second, chez Hugo, par Pauline Vidal.
Et d'autres encore : Jenny Han, impressionnant phénomène, également adapté sur Netflix, The Summer I turned Pretty, Taylor Jenkins Reed, The Seven Husbands of Evelyn Hugo, 0Ana Huang, Trusted Love ou encore Elena Armas, Spanish Love Deception.
Les perspectives 2023 tournent entre 600.000 et 1 million € de chiffre d’affaires pour Smith&Son Rosiers, avec ses trois salariés à temps plein. Et les projets d’expansion ne manquent pas : « Tout est question d’opportunités, mais si le concept vit sur 50m2, alors à Bruxelles ou Amsterdam, il devrait y avoir de la place. » La clientèle, sinon anglophone, du moins anglophile est nécessaire, certes.
Or, sans retour possible — contrairement à ses confrères —, l’établissement doit vendre. Donc, sélectionner avec soin. Ainsi, malgré l’attrait d’une clientèle jeune, pas de mangas dans les rayons — ni à Rivoli ni aux Rosiers. « Les best-sellers internationaux émanent de l’édition anglo-saxonne : des entreprises structurées, avec des filières impeccables. Et pour le public amateur de VO, nous devenons incontournables. Nous profitons même d’un regain d’intérêt pour la VO quand les ouvrages sont traduits en français et promus par les éditeurs. »
En revanche, le marché français profite d’une large avance sur le volet manga : les publications s’effectuent au Japon, et l’Hexagone est souvent la première destination de traduction. « Il manque, outre-Atlantique, un Glénat qui aurait structuré l’ensemble du marché », analyse Patrick Moynot.
Sur Paris, deux autres librairies sont spécialisées dans les titres de langue anglaise : Shakespeare & Co et Galignani, voisine de Smith&Son. Toutes trois ont subi de plein fouet la crise du Brexit, avec un coût d’export multiplié par trois. Les délais d’approvisionnement, qui sont montés jusqu’à 20 jours, ont retrouvé leur plus traditionnelle dizaine de journées d’attente.
En parallèle, la crise du papier et la hausse des coûts de production conduisent les éditeurs anglo-saxons, comme les autres, à réviser leurs tarifs. « Ce qui devient le plus pesant, c’est qu’en parallèle des hausses tarifaires, le fonds se raréfie : les produits épuisés ne sont plus réimprimés et l’on a des difficultés à obtenir les ouvrages », note Patrick Moynot.
Cette nouvelle aventure, qui s’effectuera avec un vélo cargo pour acheminer les titres depuis Rivoli vers les Rosiers, bénéficie d’un soutien des fournisseurs. « Les deux tiers voire les trois quarts de nos ventes viennent du marché britannique. Le reste, des États-Unis. C’est une question logistique de simplification et rationalisation des coûts : on passe par les UK pour obtenir les livres », note le gérant. Et ses partenaires savourent les perspectives présentées.
« Dans les années 2000, quand la librairie de Rivoli appartenait à WH Smith, elle faisait 8 millions € de chiffre d’affaires. Après les Gilets jaunes, est tombé sous les 4 millions €. Cette année, on retrouve le niveau de 2015, avec une croissance très forte et un CA prévisionnel de 5,4 millions €. » Sauf que ce dernier est régulièrement révisé… à la hausse.
« Après avoir le rachat de Rivoli, en 2020, j’ai réduit tout ce que le groupe WH Smith aimait vendre : nourriture, stylos, etc. Aujourd’hui, nous sommes à 70 %, au moins, de ventes liées au livre : j’en ai remis partout, pour recréer une identité. » Laquelle se déclinera désormais dans sa succursale du IVe arrondissement… avant de partir à la conquête de l’Europe ?
Crédits photo : ActuaLitté, CC BY SA 2.0
Par Nicolas Gary
Contact : ng@actualitte.com
Paru le 21/04/2022
278 pages
Hugo et Compagnie
17,00 €
Paru le 18/05/2022
272 pages
Hachette
15,00 €
4 Commentaires
Alix76
02/09/2022 à 09:24
Je me souviens de la librairie "Bibliophane" précisément rue des Rosiers
Masson Pierre
05/09/2022 à 03:56
Bonjour à tous.
Bonne chance à cette nouvelle librairie !
Remarque aux rédacteurs journalistes : Vous citez d’autres librairies mais vous oubliez au moins deux librairies anglophones parisiennes, l’une rue Monsieur le Prince « San Francisco » et l’autre « Abbey Bookshop » rue la parcheminerie…. Pas très sérieux et pas sympa pour eux…
Lisa
06/01/2023 à 21:42
En ce qui concerne les librairies internationales (anglophones et autre) il y une liste ici https://fusac.fr/bookstores-in-paris/ qui est à jour et complet.
Bravo à Smith pour cette nouvelle boutique!
TILLOU
22/01/2023 à 19:26
J'habite rue des Rosiers, quartier tellement touristique et tellement polyglotte ! les librairies sont indispensables et en plus les libraires de Smith sont formidables ! Allez-y vite !